Face aux policiers ronchons depuis maintenant dix jours, Bernie n’a pas hésité. Le mercredi 26 octobre, il a annoncé, en fanfare, un « plan de sécurité publique » dans lequel est compris l’examen minutieux de la loi encadrant la légitime défense pour les policiers, des mesures pour protéger leur anonymat, une plus grande sévérité pour l’outrage ainsi qu’une enveloppe pleine de sous pour moderniser l’équipement.
250 millions d’euros, voilà donc la somme qu’il fallait débloquer pour calmer les policiers. Avec cette somme rondelette, on va pouvoir acheter des gilets pare-balles qui résistent aux tirs de Kalashnikovs (apparemment suffisamment fréquents de nos jours en France pour justifier l’équipement de toute la police nationale), des flash-balls plus gros, plus rigolos ; on va même pouvoir faire un peu de papier peint et de plomberie dans certains commissariats décrépits. Avec les discussions ouvertes sur la légitime défense, le port de la cagoule, le durcissement des peines pour outrage, les syndicats sont extatiques : c’est un carton plein et tout le monde est content, à commencer par Cazeneuve qui n’a pas pu s’empêcher de fanfaronner :
« Toutes ces mesures (…) sont destinées à faire entrer dans le droit des dispositions de nature à protéger les représentants des forces de l’ordre et à imposer le respect qui leur est dû »… Parce que comme chacun sait, le respect ne se développe pas naturellement d’un environnement qui l’aurait installé, par les pairs, par l’exemple et par les institutions. Non, le respect s’impose, se décrète et peut même s’acheter pour 250 millions d’euros.
Maintenant, si on écarte les bruyants syndicats du tableau d’ensemble et qu’on se concentre un peu plus sur la base policière, celle-là même qui organisa les premières manifestations, on se rend compte que la joie n’est pas aussi unanime. Du reste, si on s’en tient aux petits articles de la presse subventionnée, on aura bien du mal à obtenir une photographie fidèle de ce qui se passe réellement dans les forces de l’ordre actuellement en France.
D’un côté, les syndicats de police et le gouvernement se félicitent de l’accord trouvé, ainsi que du magot dégotté on ne sait où mais qui permettra de faire des miracles. De l’autre, la base a largement montré qu’elle ne croyait plus en ses syndicats, dont elle s’est largement passée pour émettre des grognements au point de ne même plus suivre leurs mots d’ordre comme l’a démontré le bide de la manifestation d’origine syndicale organisée le 25 octobre dernier.
À ceci s’ajoute la liste, pas du tout officielle, des revendications de nos policiers. Selon les syndicats, il s’agit essentiellement d’un problème de moyens (alpha et oméga des demandes syndicales depuis que le syndicalisme existe ou pas loin), auquel on peut ajouter le reproche d’une justice par trop laxiste. Selon la base, il s’agit d’un problème d’écoute de la hiérarchie, de fatigue accumulée, de difficulté à riposter en cas de danger tout en respectant le cadre de la légitime défense, ou de tâches considérées indues ou inappropriées.
Sur ce mélange des revendications différentes entre base et syndicats, on fera fort d’ajouter la petite danse maintenant habituelle du gouvernement pour tenter de se débarrasser de la patate chaude en en faisant le moins possible. Lorsque la fronde a éclaté, la direction policière a immédiatement fait les gros yeux et menacé de sanctions. Ce qui ne fit qu’accroître les manifestations de grogne. Cherchant l’apaisement et n’obtenant toujours pas dispersion des ronchonneurs, il fut ensuite tenté d’amalgamer cette grogne au Front National. Peine perdue, la grogne a persisté. Acculé, le gouvernement sort son chéquier.
Pourtant, en première analyse et lorsqu’on revient aux sources de ces mouvements d’humeurs, à savoir une attaque en règle, au cocktail Molotov, de quatre policiers dans deux voitures en surveillance, il ne semble pas que la question financière soit immédiatement apparue comme cruciale. De loin, il semble bien que les policiers n’avaient pas d’abord besoin d’argent et qu’on leur en a donc donné autant que possible.
Peut-être les policiers sont-ils excédés de voir le décalage grandissant entre ce qu’ils vivent au quotidien et le pouvoir politique, qui qualifie les criminels de « sauvageons » ?
Peut-être la maréchaussée prend-elle confusément conscience qu’elle sert à la fois de chair à canon dans les quartiers
Peut-être la base policière, nonobstant les problèmes de moyens, réels ou exagérés, se rend-elle compte qu’il y a un vrai souci de conception de l’ordre et de la morale dans un pays ou une préfète ne semble pas s’émouvoir d’incendies volontaires (une tradition, mon brave, rien qu’une tradition) provoqués par des personnes en situation irrégulière ?
Peut-être ceux qui œuvrent pour la police finissent-ils par se rendre compte qu’ils sont détestés par une proportion grandissante de la population qu’ils alpaguent pour des trivialités routières, et doivent laisser filer (pour ne surtout pas déclencher d’émeutes) un nombre toujours croissant de crimes et délits que la doxa politique, visqueuse et hontectomisée, classera benoîtement dans les « incivilités » même pas dignes d’entrefilets dans la presse locale aux ordres ?
Peut-être la police, épuisée de mener une guerre à la drogue aux résultats catastrophiques, de faire semblant de lutter contre un terrorisme en se plantant niaisement devant des bâtiments institutionnels ou des VIP bouffis de leur importance, se rend-elle compte que la sécurité que les Français réclament s’obtient par une politique cohérente ? Que cette politique s’inscrit sur la durée, qu’elle ne cherche pas des peines toujours plus dures mais plutôt à appliquer, enfin, celles qui existent ? Qu’elle ne cherche pas à tout prix à éviter de construire des prisons alors que la France, selon tous les standards mondiaux, en manque cruellement ? Que lorsqu’elle en construit, elle ne cherche pas à en faire un gambit politico-politicien à des fins de capitalisme de connivence éhonté ?
Peut-être la base comprend-elle confusément qu’on est en train, encore une fois, de la balader avec des mots et un peu d’argent là où il faudrait réformes et remises en question ?
En attendant, ces 250 millions d’euros ont résolument le parfum d’un nouveau foutage de gueule : la République trouve des petits mouchoirs financiers pour sécher les larmes et faire oublier les frustrations, alors que ce n’est pas d’argent dont les forces de l’ordre ont le plus besoin actuellement, mais de l’assurance que leur travail est profitable à la société. Rien, dans ce qu’ont fait les membres du gouvernement, ne permet d’avancer à ce sujet.