Michel est calme, posé. Pondéré, même, si l’on s’en tient à la rotondité de son ample personne et des arguments qu’il déploie lorsqu’il s’agit d’annoncer une triste nouvelle.
Oh, cela ne lui arrive guère souvent, la France est si bien gérée qu’il serait impensable qu’une décision économique d’importance échappe à sa surveillance et lance le pays sur les mauvais rails. Mais parfois, l’automne et ses feuilles mortes aidant peut-être et à l’instar de certaines locomotives de certaine entreprise publique de transports collectifs ferrés, la France patine quelque peu en côte. Et voilà notre bonhomme Michel, la mine sérieuse et les sourcils froncés, nous annoncer un petit incident de parcours.
À l’instar d’un Brejnev de Prisunic (Alain Juppé powa !), le Sapin de Bercy n’hésite pas à manier la litote et le sens de l’ironie en expliquant que « tout va bien » ou quasiment. En effet, on apprend de lui il y a quelques jours que la croissance française, au départ prévue, que dis-je, planifiée à 1,5% par l’intelligentsia en charge de notre économie ne pourra que s’approcher de cet objectif en frôlant gentiment les 1,4%. Dans la bouche du rond Michel, cela donne même ceci :
« La croissance sera quelque part entre 1,3 et 1,5% »… Oui, quelque part entre un chiffre et un autre, avec une précision pas trop diabolique, et voilà qui devrait le faire. Et en plus, cet abaissement de la croissance sera même neutre sur le reste de l’économie française, puisque, toujours selon le conifère économiste, la baisse du chômage continuera, d’autant « qu’on n’a jamais créé autant d’emplois, d’emplois nets (..) depuis la crise ». Quant à 2017, même pas mal, on obtiendra les mêmes chiffres roses et joyeux avec toujours 1,5% de croissance prévue, et youplaboum.
Puis, son annonce faite, le
Tout ceci serait drôle s’il n’y avait pas cet entêtant parfum de statistiques bidonnées et de gestion de l’économie à la soviétique dans les meilleures années de guerre froide.
Eh oui, les petits jeux de jambe de Sapin n’arrivent pas à camoufler la réalité, toujours aussi catastrophique, des comptes publics français. D’une part, il devient difficile au locataire de Bercy de faire oublier que le consensus des différentes institutions financières internationales à l’égard de la France situe la croissance du pays autour de 1,2% plutôt que les 1,4% (et à plus forte raison, 1,5%) du minustre financier.
Dans les milieux économiques, même vaguement lucides, on est obligé de constater que la timide reprise observée pendant l’automne n’est qu’un phénomène très passager, qui n’a pas été concrétisée plus que ça pour cause d’un manque de plus en plus évident de confiance des acteurs économiques dans le futur français et, afférent à ce manque de confiance, le manque d’investissement.
Bizarrement, le matraquage fiscal permanent que s’emploie à faire pleuvoir Hollande et son équipe semble décourager les entrepreneurs à investir dans notre beau pays.
Étonnamment, un nombre croissant de ménages français diminue sa consommation courante et prépare des noisettes pour des périodes rudes à venir, sentant bien qu’il vaudra mieux en avoir sous le coude que, au contraire de nos élites, derrière la musette.
Curieusement, l’absence presque parfaite de tout programme crédible ou de tout candidat solide dans le camp socialiste (même en comptant Juppé) ne semble pas gêner le gouvernement dont on imagine alors qu’il prend les décisions avec une sérénité d’airain pour les prochaines années.
Tout ceci sent extrêmement bon.
Et le pompon est même atteint lorsqu’on apprend qu’en plus et pour la première fois depuis le début de la Vème République, le Sénat a refusé d’examiner le projet de loi de Finances (PLF) pour 2017 au motif que « son insincérité prive de tout intérêt réel et sérieux le travail » de la Haute-Assemblée : la majorité sénatoriale refuse ainsi de valider une vision économique dont le taux de croissance affiché semble bidon et n’est là que pour permettre de tabler sur des recettes fiscales dont tout indique qu’elles seront bien moindres, même en tenant compte de l’averse drue d’impôts et de vexations taxatoires. Quant au déficit, on le voit mal se réduire (même de loin) dans ces conditions.
Rassurez-vous, nous ne découvrirons ces petits nuggets de plaisirs fiscaux à venir qu’une fois l’élection présidentielle passée, et ce, pour deux raisons.
D’une part, parce que les lois de finance prennent du temps à être concrétiséeset que les votes n’interviendront qu’une fois l’Assemblée nationale renouvelée. On peut imaginer beaucoup de choses, mais difficilement que le rythme va s’accélérer… Au contraire, il n’est pas idiot de penser qu’on va découvrir — avec effroi ? — la catastrophe budgétaire alors que nous serons bien dans l’été 2017.
D’autre part, parce qu’encore une fois, la presse est copieusement en dessous de tout. À l’exception de quelques opuscules spécialisés et du nécessaire entrefilet dans l’un ou l’autre journal, histoire de justifier le coût de l’abonnement à l’AFP, le fait que la croissance française calanche, que le budget est complètement bidonné et que les prévisions de déficit sont parfaitement grotesques ne semble pas du tout atteindre les milieux jacassants. Totalement obnubilés par une campagne présidentielle dont les programmes économiques ont été pour ainsi dire escamotés au profit de frites, de pains au chocolat, de l’avortement, du catholicisme de l’un et surtout pas du casier judiciaire de l’autre, les médias ne s’occupent absolument plus de ce qui peut bien se passer sur le territoire (il aura fallu attendre mercredi pour qu’on commence à voir en Une des informations sur le projet d’attentat, déjoué dimanche).
Dans un monde normal, la presse ne devrait passer qu’un temps fort modéré sur la désignation d’un candidat à la présidentielle par un parti qui n’a, pour le moment, jamais réussir à produire autre chose que des semi-conservateurs mous, des sociaux-démocrates pénibles et des tombereaux de promesses non tenues. Cette même presse devrait en revanche se déchaîner sur l’incurie de l’actuel gouvernement tant en matière de sécurité qu’en matière d’économie.
Dans un monde enfumé par une presse sur-subventionnée, évidemment, c’est un peu une autre musique.
Cette musique qui autorise des présidents graves.