Il faut dire qu’entre les débuts de cette carte scolaire, dans les années 60, et son actuelle utilisation, les choses ont un peu évolué.
À commencer par les populations : plus nombreuses ici, moins là, le planisme a vaguement fait ce qu’il a pu pour suivre et, comme dans absolument toutes les expériences de planification étatique, a bien évidemment foiré. Les établissements aux classes vides se sont disputés aux établissements bondés, sans que personne ne puisse réellement mitiger le problème.
Les idéologies, ensuite. S’il était clair au départ que cette carte devait remplir un but pratique, presque terre-à-terre, d’optimisation des ressources, l’échec assez patent de cette optimisation n’a pourtant pas affaibli la croyance de ses concepteurs en une utilité, et peu importe laquelle. En somme, comme on peut très bien enfoncer un clou avec une clé à molette à condition de taper suffisamment fort, l’outil Carte Scolaire était créé, et même s’il ne servait plus du tout à optimiser les ressources, autant l’utiliser pour autre chose, comme lutter contre les discriminations, égaliser les élèves et puis pour les mixer un peu, aussi.
Encore une fois, l’idée de base est à la fois simple, facile à mettre en œuvre et parfaitement idiote : on va mélanger les élèves des classes aisées avec les élèves des classes défavorisées, ce qui va instantanément se traduire par une amélioration générale des performances des uns et des autres parce que, parce que, parce que bon voilà.
De façon surprenante, ça ne marche pas.
Concrètement par exemple, les parents, tant des milieux aisés que des milieux défavorisés, ne l’entendent pas de cette oreille et font même absolument tout pour contourner la carte scolaire dès qu’ils en ont l’occasion. Et comble de l’affaire, ce contournement marche plutôt pas mal : un élève sur deux se retrouve dans le privé, les autres bénéficient de dérogations grâces aux options habilement choisies, ou du regroupement par fratrie, sans parler de ces familles qui utilisent les fausses domiciliations obtenues par des proches ou d’autres systèmes.
Décidément, les gens sont vraiment méchants en refusant ainsi de se conformer aux injonctions de l’État, du ministère et de toute la société qui, par ses porte-paroles officieux (journalistes, philosophes, sociologues et experts pédagogos rigolos) s’empresse de faire comprendre à tout ce petit monde réfractaire que, pourtant, la mixité est absolument souhaitable, indispensable même, pour faire de beaux citoyens républicains et ouverts sur le monde.
Dès lors, lorsque la réalité ne se plie pas aux diktats égalitaro-vivrensemblistes, il devient impératif d’agir. Et bien sûr, il ne s’agit pas de changer son fusil d’épaule, mais de modifier la réalité, en utilisant la loi, les décrets et les impératifs. Ça marche. Des statistiques l’ont prouvé. L’État songe donc à intervenir (parce que lorsqu’il songe à intervenir, voire lorsqu’il fait mine de faire un truc, en général, ça aboutit à des choses géniales, et lorsqu’il bouge pour de bon, c’est carrément l’apothéose). Or, qui mieux que Najat Vallaud-Belkacem pour plier les barres de réalités autour des concepts les plus tordus ?Ça tombe bien : après sa réforme des collèges si magnifiquement pensée et si génialement mise en place, Najat frôlait la rupture de charge et devait bien trouver à s’occuper. Rien de tel qu’une Opération Mixité pour redonner du punch et du dynamisme à son équipe de fiers baltringues et autres intermittents de l’éducologie : et la voilà qui, début novembre, devrait annoncer publiquement une série d’expérimentations hardiment qualifiées d’inédites dont une dizaine de départements seront les joyeux cobayes pour « expérimenter une modification de la sectorisation », dont l’objectif est la réintroduction
Bien sûr, tout ceci se déroule dans la plus grande discrétion : « On ne veut surtout pas faire de bruit » confie-t-on à voix basse et regard fuyant dans l’entourage du ministre. Eh oui, il en faut, de la discrétion pour un tel projet : tout le monde sait que lorsque toute une société vise, comme un seul homme, à une belle mixité, lorsque tout le monde est d’accord pour tenter des expériences, la plus grande discrétion est de mise de peur, sans doute, de recueillir trop vite l’assentiment massif et les vivats de la foule.
Najat est donc lancée, telle un petit train à vapeurs (éthyliques ?), et plus rien ne pourra arrêter la délicieuse
Cela n’est pas sans poser quelques problèmes, comme le souligne un ardent défenseur de ce triomphe en devenir, Stéphane Troussel, le président socialiste (assurément socialiste, et socialiste assumé) de la Seine-Saint-Denis, qui ne peut s’empêcher de poser une question pleine de cette réalité poisseuse qui va singulièrement compliquer les torsions belkacémiennes : « Oui, enfin quand vous n’avez aucune mixité sociale sur l’ensemble de la ville, vous faites comment ? »
Rooooh, sacré Troussel qui fait mine de ne pas comprendre ! C’est pourtant simple, quand il y a une vraie volonté, z’inquitiez pas qu’il y aura des solutions. Qu’est-ce qui empêche vraiment les autorités d’aller choper en bus du collégien d’une certaine classe sociale, au petit matin, et de
Mais après tout, si l’on y réfléchit bien profondément, c’est bien à cause de cette liberté insupportable des adultes à choisir ce qui est bon pour leurs enfants que cette mixité refuse de se réaliser. C’est bien parce que les adultes sont libres de déménager, de choisir des options bizarres pour leurs enfants, de les inscrire dans le privé que la plupart des moutards ne vont pas là où ils devraient aller, scrogneugneu de scrogneugneu.La suite logique consistera donc à ne plus donner aucune dérogation, aucun choix, ni aucune latitude. Trop de liberté tuant la mixité, tuons la liberté. Ne vous inquiétez pas, Najat Vallaud-Belkacem s’y emploie.