Comment ? Vous ne comprenez pas de quoi il retourne ? C’est pourtant simple !
Il y a quelques jours, les Sénateurs ont refusé de supprimer l’article 23 quater du projet de Loi Numérique, cette loi pondue par Axelle Lemaire pour laisser son empreinte dans les codes pourtant déjà touffus de notre belle (et indivisible) République. C’était pourtant couru d’avance : lorsqu’on écrit une nouvelle loi (dont l’humanité se passait pourtant très bien avant), on prend le risque d’y voir ajoutés des trucs et des bidules, cavaliers législatifs plus ou moins malins, par les tenants et les opposants de la loi.La sobriété législative limiterait de facto cette production dantesque d’amendements et de dispositions parallèles qui alourdissent tant et plus des textes déjà particulièrement pesants ; mais cette sobriété a un gros défaut : elle ne permet pas à la caste politicienne de se faire mousser en séance, sur les plateaux télé et dans les médias…
Bilan : l’article 23 quater, ajouté en Commission des Finances du Sénat, reste donc dans la Loi Numérique.
Concrètement, cet article oblige toutes les plateformes web dites « d’économie collaborative » à déclarer au fisc l’ensemble des « revenus bruts » perçus par un utilisateur à travers les services qui y sont offerts. En somme, si vous vendez de vieux objets (que ce soit parce qu’ils ne vous servent plus à rien, ou que vous estimez que ses pièces, détachées, pourront servir à d’autres), la plateforme qui a servi pour la transaction devra vous
Vous l’avez compris : vous, utilisateur du Bon Coin ou des petites annonces de Facebook, vendeur compulsif sur eBay et commerçant de fortune, vous allez être pisté sans relâche par Bercy grâce à ces plateformes qui vont devenir, à l’instar d’autres professions, les courroies de transmission de l’administration, de la douane au fisc en passant par la sécurité sociale. Sous cet angle, la France de la Surveillance Des Crypto-Kapitalistes vient encore de prendre de l’épaisseur.
C’est, bien évidemment, parfaitement inique et surtout, totalement con.
Inique, parce qu’en l’occurrence, la démarche des sénateurs ne consiste pas ici à encadrer les cas, très spécifiques, des professionnels exerçant leur commerce sur ces plateformes en lignes et qui sont déjà largement couverts par la loi, mais qu’ils cherchent à attraper dans une nasse de plus en plus large aux mailles de plus en plus serrées un nombre toujours plus grand de particuliers qui tirent un petit revenu d’appoint de ces transactions. De surcroît, la majeure partie des transactions le sont sur des biens d’occasion qui ont, par définition, déjà largement fait l’objet de taxations et qui ne présenteront une plus-value pour le vendeur que dans des cas limités.
Autrement dit, le Sénat fait tout pour augmenter le nombre de victimes du bombardement fiscal qui caractérise la France actuellement.
Et c’est bien sûr totalement con, parce que ce faisant, les sénateurs louperont trois fois leur cible.
La première fois parce qu’on se rendra assez vite compte du coût exorbitant de ce genre de mesures : les sites devront s’assurer de la validité des données collectées, que le prix de vente effectif est bien celui fourni au site, et tout un tas d’autres contraintes techniques qui rendront la vente en ligne parfaitement rebutante. En conséquence, le gain taxatoire obtenu en face sera très inférieur à ces coûts, et ce d’autant plus que les particuliers, lassés de cette pluie diluvienne de vexations fiscales, choisiront plus que probablement d’abandonner purement et simplement ces plateformes si, d’aventures, elles les conduisent à des hausses d’impôts et des tracas administratifs sans fin.
La deuxième fois, parce ceux qui ont largement trouvé un moyen de subsistance dans ces transactions en ligne ne renonceront que sur la méthode et pas sur le principe. Autrement dit, ils passeront « sous le radar » de ce législateur abruti par son manque de thunes : entre l’échange direct, l’utilisation de plateformes « grises » (i.e. hors de France, cachées, …), bien malin celui qui pourra les attraper. Mais surtout, avec les nouvelles applications pair-à-pair, comme OpenBazaar, dont j’ai déjà longuement parlé ici, il sera effectivement impossible aux Sénateurs, à Bercy et à toutes les armées du monde fiscal de choper les impétrants. En somme, avec ce genre de législations stupides, nos politiciens, toujours aussi malins, poussent vigoureusement le consommateur / contribuable dans ses voies de retranchement, là où, précisément, ces mêmes politiciens ne pourront pas les attraper, sciant ainsi la branche sur laquelle l’État est assis et, avec lui, nos compulsifs de la taxe.
La troisième fois, parce qu’en taxant ainsi ce genre de transactions, les Sénateurs appliquent le même mécanisme que celui qui veut qu’en taxant lourdement un vice, on le pousse à devenir marginal. En somme, taxer ainsi le travail, la consommation et l’échange de richesse est-il vraiment si judicieux, en France, actuellement ?
Enfin, notons qu’outre un nouvel horion dans l’image déjà fort abîmée des Sénateurs auprès du public, cette loi va encore une fois impacter directement les plus faibles, les moins outillés et les moins riches : eh oui, messieurs de la Haute Chambre, ceux qui vendent sur LeBonCoin sont en majorité ceux qui veulent faire un peu d’argent de poche sur des biens usagés et nul doute que le « 1% » ne s’y rend pas si souvent. Encore une fois, la loi va cogner les pauvres. Bien joué.
En fait, on assiste hébété à la guéguerre stupide et ridicule entre le Sénat, de droite, et le gribouillage législatif pénible poussé par Axelle Lemaire, de gauche. Devant ce constat, on doit se demander combien de petits jeux politiques idiots on va devoir encore se fader, jeux qui finissent tous, sans exception, par coûter des pans de liberté à chacun d’entre nous, et, plus prosaïquement, des fortunes en opportunités financières perdues, en boulets administratifs insupportables. Combien de lois débiles va-t-on devoir supporter encore, lois qui, toutes, aboutissent à augmenter l’insécurité juridique et à restreindre nos possibilités d’enfin créer des moyens de subsistance, de revenu, de richesse ?
Avec combien de principes fiscaux aberrants allons-nous devoir continuer à composer, pendant que nos pauvres deviennent plus pauvres et nos riches s’expatrient pour fuir l’enfer fiscal que ce pays devient ?