En quelques heures, tout le monde comprend qu’il se passe quelque chose d’insensé : la France, pays des droits de l’Homme et du Citoyen, qui permet à chaque individu d’exprimer sur son territoire aussi vocalement que possible son désaccord avec ses dirigeants, même s’ils ont été démocratiquement élus, cette France si généreuse de la parole et des deniers publics se retrouve à museler honteusement la voix de son peuple ?
Non ! Ce n’est pas possible !No Pasaran s’écrient toutes les rédactions d’une presse nationale outrée ! Il est des concepts fondamentaux dans ce pays auxquels on ne peut pas toucher, et le droit de manifester en est un ! Parce que si l’on cède pour cela, au motif que, d’après le Ministre de l’Intérieur, de dangereux groupes extrémistes et des casseurs se seraient glissés dans les rangs protestataires, on sait qu’on devra céder pour tout le reste, et c’en sera fini de la démocratie française !
Tous les médias se rangent, vent debout, contre les velléités du ministre. Toutes les classes bavardes de la société française, faisant fi de leurs habituelles disparités et dissensions éventuelles, se rassemblent comme un seul corps et s’écrient : cela suffit !
Sans attendre, le ministre est renvoyé.
…
Les lecteurs les plus perspicaces (ou les moins endormis, plutôt) auront compris que ceci n’est qu’une aimable fiction. D’une part, Sarkozy, aussi perdu fut-il dans les méandres de sa non-ligne politique, n’a jamais tenté d’interdire des manifestations d’ampleur nationale en mai 2011. D’autre part, quand bien même ses manœuvres politiciennes (comme les débats bidons sur l’Identité Nationale) avaient à l’époque pas mal divisé le pays, jamais de manifestations n’avaient rassemblé suffisamment de monde pour que le Ministre de l’Intérieur puisse prétendre perdre son calme. Et s’il est entendu que ces divisions firent grand bruit, s’il est notoire que la politique politicienne et polémique du précédent Chef de l’État aura laissé un pays globalement dégoûté d’une droite à côté de ses pompes, on ne peut rien dire de différent de l’actuel locataire de l’Élysée.
Et la situation actuelle laisse d’autant plus perplexe que, justement, le silence de ces franges loquaces de la société est quasi-complet alors qu’on a dépassé le stade des rumeurs concernant le Ministre de l’Intérieur. En effet, Manuel Valls, l’actuel chef des pandores, ne cache absolument pas son envie d’empêcher par tous les moyens l’énième avatar de la Manif Pour Tous qui aura lieu ce dimanche (à l’heure où vous lisez ces lignes) et il s’en est ouvertement expliqué dans les locaux de France Info : utilisant avec la légèreté habituelle de ce genre de récupération les événements terroristes récents pour pousser dans la tête de tous les auditeurs l’idée que la menace terroriste est partout, omniprésente, le ministre nous explique sans sourciller :
« [L'interdiction du "Printemps Français"] Nous allons l’étudier ; il n’y a pas de place pour des groupes qui défient la République, la démocratie. »Car les gens qui expriment leur plus vif désaccord avec la loi ou le gouvernement, s’ils le font avec des termes qui choquent, cela doit être interdit. C’est comme ça que ça se passe dans une République menée par les humanistes au pouvoir. L’absence de réaction de la presse en atteste à l’évidence.
D’ailleurs, aucun tract syndical n’a jamais contenu de mots durs. Aucun appel à la grève ou à la mobilisation, que ce soit du Front de Gauche, du PC, du PS ou de l’un de ces syndicats si délicieusement apolitique n’a jamais comparé le gouvernement à un occupant illégitime. Il n’y a pas eu de réclamations bruyantes ou de merguez-parties nationales lorsqu’une loi était voté dans le mauvais sens par des parlementaires élus démocratiquement mais malheureusement à droite.
Non : la gauche, de ce point de vue, a toujours été exemplaire, et n’a jamais fait piétiner la démocratie sous les milliers de sabots des collectivistes lors de manifestations intersyndicales ou autres. Et ce même peuple de gauche — qui ne moufte pas devant les velléités du Ministre de l’Intérieur d’interdire un mouvement populaire — n’a jamais contenu dans ses rangs des éléments mafieux, terroristes oucriminels. Autrement dit : cette gauche-là étant irréprochable, elle peut s’attendre, que dis-je, elle doit exiger que la droite le soit aussi.
Mieux : le pouvoir en place doit exiger des services d’ordres musclés autour de cette tentative puérile de mobilisation contre une loi déjà votée et entérinée, pardi, non mais alors, quitte à disperser la foule à coups de matraques, tasers et autres lacrymogènes. Et ce, même s’il lui fut rigoureusement impossible d’en mettre un en place pour un événement « festif » dont absolument tout indiquait qu’il allait déborder (ne serait-ce qu’avec la répétition la veille au soir).
Pour le Ministre, tout se résume à une opération de police bien nécessaire, m’ame Ginette, parce que cette manifestation n’est qu’un prétexte, voyons :
« Des groupes radicaux d’extrême droite veulent venir en nombre pour créer l’affrontement et le désordre et pour s’en prendre aux symboles de la République, une République que ces groupes d’extrême-droite haïssent. »Car oui, c’est bien connu, les groupes d’extrême-droite, nationalistes qui badigeonnent leurs discours de Nation et de Patrie dès qu’ils le peuvent, haïraient à présent la République dont ils se réclament tous de façon assez bruyante, allant jusqu’à secouer des fanions et drapeaux français de cette vigueur que seuls les vrais haineux savent déployer. Il est vrai que ces groupes chantent souvent la Marseillaise, et après tout, comme le fait si judicieusement remarquer la sénatrice Blandin (EELV), c’est un chant xénophobe, hein. Donc les natios, tous des anti-républicains (mais si, suivez un peu, quoi).
De toute façon, c’est dit : le mouvement d’opposition au mariage homosexuel contient, forcément, des éléments d’extrême-droite. Il contient, forcément, des gens qui veulent l’affrontement. Il contient, forcément, des terroristes. Puisqu’il s’oppose alors que la loi a été votée, il est, forcément, antidémocratique (et non, ce n’est pas comme les manifestations contre le CPE, l’augmentation de la durée de retraite, etc…) Pire, puisque ce mouvement d’opposition a même touché les militaires, et qu’il a insidieusement poussé certains à l’opposition visible, introduisant la sédition et – qui sait ? – l’insubordination dans les rangs même de l’armée, il va falloir prendre des mesures concrètes pour que les soldats concernés rentrent dans le rang.
Forcément, il faut rapidement arrêter tout ça. Forcément, il faut que ces gens arrêtent de s’exprimer. Où va-t-on si les gens mécontents l’affichent aussi ouvertement ? Où va-t-on si le Premier Ministre ne saisit pas l’occasion politico-politicienne pour rejetter tout débordement futur sur l’opposition ? Où va-t-on si le Ministre de l’Intérieur devient maintenant responsable d’assurer la sécurité des manifestants pacifiques contre les éventuels casseurs ? Où va-t-on si la police et la gendarmerie doivent assurer le maintien de l’ordre ?
Il ne manquerait plus que les renseignements généraux fassent leur travail ! Il ne manquerait plus que la police soit présente et visible pour éviter des casseurs ! Du reste, peut-on imaginer merder comme ce fut le cas le soir du lundi 20 mai au Trocadéro ?
Pas question de prendre un tel risque. Pas question qu’on voie la partialité des uns et des autres, pas question qu’on découvre un nouveau Deux Poids, Deux Mesures dans ce pays de socialisme généralisé, devenu lentement mais sûrement synonyme de Guerre de Tous Contre Tous. Il faut que toute cette contestation s’arrête. Il faut que les gens cessent de s’exprimer aussi bruyamment !
Pas de doute. La liberté d’expression, son plus beau profil est le gauche. Forcément.