Ce n’est pas nouveau : lorsqu’Anne Hidalgo parvient à la Mairie de Paris, elle hérite de la situation financière particulièrement tendue laissée par Bertrand Delanoë. Emportée par l’élan politicien typique qui fête les victoires en distribuant d’abondantes prébendes, conjugué à l’indécrottable habitude socialiste de gérer n’importe comment l’argent public, les finances de la ville font un plongeon moelleux de plusieurs centaines de millions d’euros, sous les vivats de la foule parisienne qui n’a que faire de ce genre d’informations.
2015 sera à ce titre une année joyeuse où, entre deux festivités pas toujours liées à la ville, la Maire oubliera toute velléité de saine gestion et d’austérité et imposera un style très particulier dans la comptabilité municipale qui balance du steak, bouscule du poney à la dynamite, et satellise du chaton mignon.On se souvient par exemple du renflouement in extremis de « Ma Tante », le fameux Crédit Municipal de Paris, dont les activités bancaires battent de l’aile au point de d’approcher de la faillite tout l’institution plusieurs fois centenaire. Et malgré les 300 millions de déficit budgétaire, la mairie relève le défi de trouver 42 millions pour sauver l’institution malgré des années de pertes (16,9 millions d’euros depuis 2011).
Compte-tenu de l’hybris, de la force de l’habitude et – il faut l’avouer – d’une parfaite déconnexion des dirigeants avec la réalité, ce qui s’est passé en 2015 devait inévitablement se reproduire en 2016, avec au moins autant de dynamisme. Et c’est exactement ce qui s’est produit ; de ce point de vue, la prédictibilité de nos amis socialistes est quasiment magique : si une ânerie budgétaire doit être faite, elle le sera ; si un choix technique, moral, sociétal ou politique peut provoquer une erreur tragique, il sera fait, elle sera commise, avec force, conviction et doigt dans l’œil.
C’est ainsi qu’on apprend il y a quelques semaines qu’une décision positivement innovante a été prise pour boucler, au forceps, le budget de la ville pour 2016 : passer en encaissement en une seule année tous les loyers que les bailleurs sociaux auraient dû lui verser pendant la durée des baux emphytéotiques (60 ans). Autrement dit, l’équipe municipale, manifestement adepte de la cascade comptable sans filet avec double salto arrière carpé sur surface glissante, a choisi de créditer le budget de sommes qui ne seront touchées qu’au fil de l’eau, sur les soixante prochaines années.
Apparemment, comme le soulignent des élus de droite d’autant plus outrés qu’ils n’ont pas pensé faire la même abomination comptable lorsqu’ils étaient au pouvoir, ce ne serait pas la première fois que la Mairie comptabiliserait ainsi ces baux emphytéotiques, mais pour le coup, cela n’a jamais été fait « dans ces volumes et jamais sur 60 ans ». Voilà qui est couillu, non ? En tout cas, c’est particulièrement bienvenu dans un budget serré comme un café georgecloonesque puisque ce sont 360 millions d’euros qui ont été comptabilisés en section de fonctionnement par la mairie, au lieu de la seule la quote-part annuelle de la recette de loyers.
La manœuvre est d’ailleurs tellement inédite que certains élus de l’opposition (dont l’insubmersible Nathalie Kosciusko-Morizet) envisagent d’attaquer juridiquement la sincérité des comptes municipaux. On ne s’étonnera pas que, dans les rangs de la majorité, on brandisse l’argument ultime en expliquant avoir le blanc-seing de Bercy, na d’abord et même pas mal. Rien d’étonnant au fond à ce que l’État explique ses meilleurs tours de passe-passe budgétaire aux municipalités bien introduites ; et avec Hidalgo à la tête de Paris, on sait que la capitale aura toute l’attention du Président, qui n’est pas le dernier en terme de petites bidouilles comptables audacieuses et de camouflages éhontés.Reste néanmoins le constat entêtant que pour en arriver à ces extrémités comptables qui, sans être illégales, n’en sont pas moins douteuses, la ville de Paris doit furieusement manquer d’argent. On s’attendrait donc à ce qu’a minima, la municipalité fasse en parallèle tout ce qui puisse être fait pour favoriser les rentrées d’argent frais.
La mentalité socialiste étant ce qu’elle est, une des méthodes de choix consiste bien sûr à augmenter les impôts, les taxes et les différentes vexations, automobiles notamment. Les dernières années ont largement montré que cette méthode de renflouement était mise en pratique, même si on est en droit de douter de leur succès.
L’autre méthode consiste bien évidemment à favoriser le commerce qui finira par rapporter à la municipalité via, justement, les taxes. Et puis, ça tombe bien : Paris s’est régulièrement déclarée en faveur des entreprises, notamment celles innovantes qui amènent – outre un peu de hype & de fashion – pas mal de brouzouffes dans les comptes de la capitale exsangue : en somme, vivent les start-up et le numérique qui rapportent des taxes !
Ou pas.
Depuis jeudi dernier, Amazon, le site d’e-commerce, propose de livrer gratuitement ses clients « Premium » dans les deux heures suivant leur achat, mais la municipalité a vivement réagi ce dimanche contre cette offre « susceptible de déstabiliser gravement les équilibres commerciaux parisiens ». Il faut dire qu’Amazon pratique, encore une fois, la pire des méchanceté en n’attaquant pas seulement les livres et les DVD, mais aussi l’épicerie et, plus récemment, le frais !
Oh ! Quelle horreur !
La mairie, outrée, a donc déclaré en oubliant que nous ne sommes pas encore tout à fait en Union Soviétique, ce qui la chagrine beaucoup :
« Cette grande entreprise américaine n’a jugé bon d’informer la Ville de Paris que quelques jours avant le lancement… »… tout en s’inquiétant, après avoir mis un petit mouchoir pudique sur toute forme de mauvaise foi flagrante, du « degré de pollution et autres nuisances que pourraient générer les véhicules de l’entreprise ».
Ah oui, c’est vrai, on aurait presque oublié les milliers de livreurs d’Amazon qui voyageront seuls dans Paris dans leurs gros camion qui crament 50 l/100 de diesel dans de grandes volutes crasseuses, ainsi que les autres milliers de coursiers en motos surpuissantes faisant des wheelings et des burns de folie d’une artère à l’autre pour le compte du « géant américain » (comme l’aiment à l’appeler notre presse frémissante). Et c’est évident qu’à côté des trois minibus électriques sympas de la RATP, des douzes petits vélos chics et des deux voiturettes de la Mairie de Paris, la pollution de ces livreurs « Amazon » va être dantesque.
Eh oui, la mairie de Paris n’a plus une thune, mais elle a des principes : les montages comptables douteux, oui ; l’endettement des Parisiens sur des générations durant, pas de souci ! Le renflouement des canards boiteux à fonds publics, oui encore. Mais les petits livreurs qui gagneraient leur vie grâce à Amazon, tous les jours, non, et puis quoi encore ?! Ces milliers de Parisiens à mobilité réduite dépannés par ce genre d’offre, c’est encore non, ‘ faut pas dérailler ! Ces vendeurs qui utilisent la plateforme du « géant américain » pour toucher un public autrement inaccessible, c’est toujours non, franchement, sans façon, merci, au revoir !
Et puis faire du commerce sans prévenir le bourgmestre, c’estoit définitivement une déclaration de guerre. À la bonne heure, on y laisserait faire, et rapidement, des manants commençailleraient à marcheer fruits & légumes, viandes & poissons, étoffes & cabetenc, arts & travaux directement, de fabricants à clients, sans avoir gagné patente de la Mairie et pour sûr, ce serait vitement folÿe capitaliste. Tous ces siècles de progrès jetés ainsi aux pourceaux, c’est intolérable !
La juxtaposition des problèmes de l’équipe municipale de Paris avec les non-solutions qu’elle nous propose, non-solutions à ce point stupides qu’elles en deviennent agressives, illustrent à merveille pourquoi l’avenir semble tracé d’une main ferme et d’un pas décidé…
…dans une direction catastrophique.