Certes, quelques nids de poule se sont creusés sur la route sinueuse de
Certes, ces petits aléas rendent l’avancée vers une meilleure société un peu plus chaotique. Mais le fond reste : l’Etat est là pour notre plus grand bien. Malheureusement, les Français ne semblent pas tous convaincus qu’il agit toujours dans leur meilleur intérêt. Bon, il faut avouer qu’il ne semble lui-même pas toujours le savoir : régulièrement, rien ne va plus entre étages du mille-feuille administratif, entre comités et agences, entre l’attaché culturel de la communauté de communes et le responsable évènementiel du conseil régional ou le président de l’association locale loi 1901 des Modeleurs d’Intemporels… au point que les uns portent parfois plainte contre les autres.
Il suffit de se rappeler des maires de certaines communes bretonnes qui portent plainte contre l’État lorsque les algues vertes, résultant de l’élevage porcin intensif massivement favorisé par l’État et la commune, envahissaient leurs plages, rendant l’air toxique et le coin moins touristique. Bien sûr, au final, le citoyen paiera mais de la même façon qu’ils tentent de facturer leurs soins de santé ou leur assurance-chômage à la collectivité, les maires reportent la charge de dépollution sur tous les Français plutôt que sur leurs administrés.
Et dans la série « l’État contre l’État », un nouvel épisode vient de sortir avec le déraillement d’un train contenant des déchets nucléaires. Dégâts mineurs, plus de bruit que de peur que de mal, l’incident n’est finalement qu’un prétexte : ce que dénonce le maire, c’est que des marchandises dangereuses traversent ainsi sa commune. Ici, peu importe qui a raison ou tort du gentil maire qui défend ses administrés ou des gentils fournisseurs de service public. Simplement, le maire de Drancy a bien compris qu’électoralement, les stades de foot ou les centres culturels rapportaient plus que les projets décharges, lignes TGV ou trucs qui font du bruit, sont dangereux ou ne sentent pas bon. C’est ici que toute la pertinence des instancesad hoc créées pour
État contre État, on voit que cette série à succès peut continuer longtemps. Mais on peut aller plus loin !
Ils auraient pu faire grève et paralyser Bussy. Ils auraient pu se déguiser en syndicalistes et défoncer la permanence du député local pour se faire entendre, ou séquestrer avec décontraction un vague employé France Télécom (voire le maire de Bussy), le tout — magie de l’État de droit — sans risquer de poursuites. Mais ils ont décidé de faire la grève de l’impôt jusqu’à obtenir l’ADSL.
« Nous sommes des citoyens de seconde zone, oubliés de tous. En revanche, quand il s’agit de réclamer des impôts, là, on ne nous oublie pas. »De qui s’agit-il donc ? Comme l’explique l’article, adorablement tendres avec nos graines d’anarchistes rebelles de l’impôt, il s’agit d’une trentaine d’habitants de Bussy, hameau de Sainte-Anne-Saint-Priest (près de Châteauneuf-la-Forêt, 154 habitants), présentés comme « affables et accueillants » : remontés comme des coucous parce qu’ils n’ont toujours pas l’accès Internet haut-débit ; l’ADSL n’est pas envisageable, et ce salaud de France Télécom (dans lequel l’État est toujours un gros actionnaire et qui ne pense qu’au profit facile) a renoncé depuis longtemps à investir dans ce domaine.
En 2003 fut pourtant créé le syndicat mixte Dorsal, structure publique chargée d’installer le haut débit dans ces zones dites blanches, en utilisant la technologie WiMax (ondes radios). Las, Bussy résiste encore et toujours à l’Internet Haut Débit !
Malgré tout,
« Dieu sait pourtant que nos élus se vantent de la couverture numérique du Limousin »… lance un habitant en brandissant une publication du conseil régional (payée avec ses impôts), pourtant réputée pour ne contenir que des vérités solides et aucune propagande électorale. Dans la structure publique Dorsal où l’action est toujours mise en avant face au blabla inopérant, le directeur, Yan Pamboutzoglou, fait des petits bruits mous avec sa bouche et lâche, vaincu :
« Nous avons malheureusement dans la région des zones comme celles-ci où, effectivement, on ne peut rien faire. Ce n’est pas agréable à entendre, mais je rappelle que nous avons nos propres limites techniques et financières. Bussy est loin d’être un cas isolé en France. »Quoi ? On a une structure publique qui est chargée de répandre la bonne parole et Internet partout en France, on a des présidents de conseils généraux, régionaux et de tout le pays qui entendent réduire la fracture numérique à tout prix, et patatras, l’impulsion puissante donnée par toute la République s’englue dans des considérations terre-à-terre à base de budget serré, de limitations techniques mesquines et d’intendance ridicule ? C’est ça, la Cinquième Puissance Mondiale ? Saperlipopette ! Où partent nos impôts, hein ? Et elle est où, l’universalité républicaine ? Et l’internet pour tous, c’est pas maintenant ? Sapristi, l’État fait payer à tous des missions de service public universel qu’il n’assure pas, et fait payer aux habitants de Bussy un service qu’il ne rend pas. C’est scandaleux, n’est-ce pas.
Trêve de plaisanterie, on comprend mieux la grogne d’un nombre croissant de Français qui paient de plus en plus cher des services de plus en plus médiocres : de courageux indépendants ont ainsi lancé depuis quelques mois une grève des cotisations pour réclamer un RSI à la hauteur de son coût. Certains affrontent le péril administratif et judiciaire pour quitter le défunt monopole de la Sécurité Sociale et bénéficier des mêmes prestations à moindres frais, tant parce qu’ils sont contributeurs nets de la Sécurité Sociale, et parce que les concurrents privés sont mieux gérées et ne flambent pas l’argent de leurs clients.
Ces Français ont choisi d’attaquer l’État au portefeuille, de cesser de financer un Léviathan dont seuls les plus crédules pensent encore qu’il est bien géré par des individus compétents soucieux de l’intérêt général, et qui protège leurs libertés. Leur action est risquée ; légitime et parfois légale, elle n’est pas reconnue comme telle par les garants de la retraite à 55 ans, du jour de carence et de la pause sieste qui, on peut le parier, se battront pied à pied pour empêcher que ces pionniers retrouvent leur liberté.
Mais des résultats similaires peuvent être atteints à moindres risques : il est en effet possible de s’expatrier, de réduire son activité et sa consommation, et de profiter de ces alternatives à l’échange marchand qui permettent de s’affranchir de lourdes déclarations. Bien sûr, on trouvera facilement des zélateurs étatiques pour condamner ce genre de pratiques qui ont le mauvais goût de menacer leur train de vie. Mais comment défendre un État qui ne remplit plus des missions même pas légitimes ? Pourquoi abonder au budget d’un État va-t-en guerre qui accroît chaque jour un peu plus le champ de son contrôle des citoyens ? Comment justifier qu’un citoyen opposé à leurs idées soit contraint de financer le Parti Communiste, le Front National et l’Humanité ? Plus que jamais, les idées de Thoreau sont d’actualité : ainsi, il refusait il y a 150 ans de financer un État esclavagiste faisant la guerre au Mexique.
Mais il est important de ne pas se tromper de combat.
Comme ces affables et accueillants « anarchistes » de Bussy, faire grève des impôts pour demander plus de dépense est le fruit d’années de lavage de cerveau et de déformation économique. Et que l’État en vienne à porter de plus en plus souvent plainte contre lui-même indique qu’il est trop présent : il n’est pas un domaine de la vie, pas un activité humaine où il ne se soit immiscé d’une façon ou d’une autre en République Populaire & Démocratique de France. Mais demander le recul de l’État pour reprendre nos vies n’est pas un combat égoïste ; c’est la proposition d’un nouveau modèle de société qui a pour double avantage d’être viable et de ne contraindre personne à faire ce qu’il n’estime pas être juste.
C’est un combat qui entraîne risques et sacrifices, à l’évidence, mais ne rien faire, c’est prendre un risque encore plus grand et s’assurer des sacrifices immenses.