H16
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Je suis naturellement grand, beau, j’ai le teint buriné par le soleil et le sourire enjôleur et des mocassins à gland, un très gros zizi et une absence totale de lucidité sur mes qualités et mes défauts !
J'ai un blog sur lequel j'aime enquiquiner le monde : Petites chroniques désabusées d'un pays en lente décomposition...
Le bonheur : pas trop vite, pas trop fort
Audience de l'article : 1466 lecturesVous aimez avoir le teint hâlé même en hiver ? Plus pragmatiquement, vous avez noté que le fait d’être exposé de façon correcte au soleil améliorait votre humeur, votre santé et vous fournissait de la vitamine D en suffisance ? Et logiquement, vous avez donc décidé de passer de temps en temps par la cabine de bronzage à UV ? Qu’à cela ne tienne, le Sénat intervient pour vous protéger complètement contre tout abus en sucrant purement et simplement ces cabines qui seraient, d’après le Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire, responsables de 19 à 76 décès annuels (notez l’écart des deux valeurs) par mélanome cutané.
Parce que les sénateurs savent ce qui est bon ou pas pour vous. Les sénateurs savent pertinemment que si l’on laisse les professionnels de santé expliquer aux individus comment se servir de ces lampes à bronzer, ou pourquoi s’en passer, ou bien encore comment éviter les abus, ils n’y parviendront jamais seuls. Les sénateurs sont les aides efficaces et pertinentes de nos dermatologues. Alors les sénateurs peuvent interdire. Et ils peuvent le faire même lorsqu’ils savent pertinemment que leur interdiction sera retoquée en seconde lecture à l’Assemblée, parce que même dans ce cas de travail parfaitement inutile, ils sont payés et peuvent ainsi faire leur propre publicité à peu de frais.
Du reste, ce si charmant empressement à chouchouter notre santé épidermique de la part des sénateurs tombe à point nommé au moment où ces mêmes sénateurs s’occupent d’autoriser l’ouverture et l’expérimentation des salles de shoot, dont la première doit ouvrir à Paris à Lariboisière.
La cohérence assez violente de ces deux décisions mises l’une à côté de l’autre laisse un peu groggy, mais baste, passons ; car s’ils savent mieux que vous ce que vous devez faire de votre bronzage et de vos veines, ils savent bien évidemment aussi quelle quantité vous devez boire et manger.
On savait depuis un moment déjà que l’État, dans son immense sagesse, s’était très judicieusement improvisé nutritionniste en établissant une pyramide alimentaire tout à fait crédible et pas du tout pathogène. La chasse permanente aux lipides (celle contre l’huile de palme en est devenue caricaturale) et la profusion invraisemblable de sucre dans l’alimentation courante, directement issues des « recommandations » catastrophiques de nos gouvernants, n’a bien sûr absolument rien à voir avec l’explosion des diabètes ou des maladies cardio-vasculaires qu’on observe partout où leurs indications sont suivies scrupuleusement.
On découvre à présent que nos sénateurs, continuant la même tendance qui consiste à se mêler d’absolument tous les aspects de notre vie à commencer par notre régime alimentaire, viennent de prendre quelques dispositions dans ce sens.
Il est maintenant clair qu’on ne devra surtout pas boire ou manger trop peu : le Sénat a modifié il y a quelques jours un article du projet de loi sur la Santé qui tentait déjà de résoudre le délicat et prégnant problème de la silhouette des mannequins en soumettant son activité à un indice de masse corporelle (IMC) minimal. Par décision sénatoriale, la mode vient donc d’être régulée, le régime alimentaire des mannequins aussi, et les choix de nos couturiers clairement rappelés à l’ordre. Les sénateurs ont tranché : si vous êtes trop maigre, même si c’est naturel, il vous sera impossible d’en tirer profit dans la mode. N’y revenez plus. Et allez manger plus gras, plus salé, plus sucré au lieu de gémir bêtement sur votre liberté rabotée. C’est pour vot’bien qu’on vous dit.
D’un autre côté, il ne faudrait pas sombrer non plus dans l’excès inverse et boire trop, par exemple. Si vous comptiez vous enfiler une bière ou deux pour oublier vos problèmes de maigreur naturelle mais inemployable sur les plateaux de shooting mode ou sur les catwalks, n’y comptez pas non plus. Là encore, nos amis sénateurs se sont jetés tels le guépard bourré sur une proie trop grosse et ont décidé de s’attaquer à la consommation excessive d’alcool chez les jeunes en adoptant un amendement fixant un prix seuil lors d’opérations de promotion, les fameuses Happy Hour, périodes au cours desquelles un débit de boissons propose assez scandaleusement de l’alcool à des« tarifs plus avantageux que d’ordinaire et parfois très bas », comme le dénonce Franck Mautaugé (évidemment PS), auteur de l’amendement et tout a fait outré de ce genre de pratiques qui jettent les âmes faibles dans les affres de l’alcoolisme et de la déchéance (au moins).
Car tout le monde sait que les « happy hours » engendrent l’alcoolisme. Tout le monde sait que les jeunes attendent le moment propice pour se torcher, dans des bars coûteux. Tout le monde sait qu’en régulant les prix, on résout le problème. Tout le monde sait que les sénateurs sont les mieux placés pour cette tâche. Et tout le monde sait qu’est maintenant largement révolu le temps où les sénateurs, du haut de leur sagesse, se penchaient avec parcimonie sur le travail législatif, prenaient leur temps et adoucissaient l’interventionnisme de l’Assemblée en agissant avec prudence. C’est maintenant l’ère médiatique où il faut pouvoir faire parler de soi, et quoi de mieux qu’un amendement à la con, une loi bâclée, une procédure foutraque et une disposition débile pour montrer qu’on ne tremble pas trop et qu’on existe encore ?
Maladie de la sénilité ? Croyance, futile mais trop fermement ancrée, d’une indispensable utilité au point de légiférer sur tout, n’importe quoi et n’importe comment ? Volonté réfléchie entre deux vins trop capiteux d’influer sur la vie de leurs concitoyens ? Décisions malencontreusement prises derrière les brouillards épais d’un stupéfiant médical trop libéralement avalé avant le repos postprandial ? Difficile de savoir ce qui, précisément, pousse les sénateurs à ainsi légiférer dans ces domaines (et d’autres encore) pour le plus grand désarroi du Français lambda confronté, ensuite, à l’application de cette avalanche de textes débiles.
En tout cas, une chose est sûre : les sénateurs ne sont pas les seuls à se vautrer ainsi dans l’expression la plus consternante de l’exercice du pouvoir, qui consiste à faire pleuvoir sur les citoyens victimes les décisions arbitraires comme pleut le ciel sur certain Président. Ce qu’on trouve au plus haut niveau de la République est reproduit, religieusement et avec zèle, même, au niveau de chaque commune, par chacun des maires qui se sentira pousser la fibre dictatoriale et l’envie d’en découdre avec la réalité.
C’est ainsi que les maires de 42 communes membres de Grenoble-Alpes-Métropole, « la Métro », se sont décidé à furieusement contraindre la vitesse des automobiles en agglomération, en inversant la logique qui prévaut à la limitation en vigueur : à partir de la mi-2016, la vitesse maximale autorisée sera de 30 km/h et non plus de 50, cette dernière vitesse étant réservée pour des zones explicitement indiquée. Eh oui, en effet, si à 50 km/h, 45% des piétons heurtés par un véhicule motorisé décèdent, la mortalité tombe à 5% si on réduit la vitesse à 30 km/h, sans oublier du reste que si on réduit encore à 0 km/h, la mortalité à cause de la voiture s’effondre à 0 aussi.
Le zéro mort par la voiture est donc à portée de main, ou plutôt, à portée d’interdiction. Du reste, une ville dont les commerces auront fui, les entreprises se seront retirées, n’aura rapidement plus suffisamment d’intérêt pour attirer la voiture et l’objectif sera là encore, atteint.
Plus aucune voiture, des consommations millimétrées (ni trop, ni trop peu), avec bien sûr pas trop de gras, de sel et de sucre, du sport pour conserver son esprit neurasthénique dans un corps sain … Les hommes et les femmes de pouvoir, tant au Sénat qu’au plus près de nous, travaillent chaque jour à notre bonheur. Mais attention : le bonheur, c’est surtout pas trop vite, et surtout pas trop fort.
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