Il fallait au moins ça pour atténuer un peu l’impression persistante de n’importe quoi chimiquement pur qui semble baigner la politique en France. Et Christiane n’est pas à son coup d’essai en matière de mobilisation de l’opinion publique, fut-ce contre elle.
Cette fois, elle avance prudemment mais n’hésite pas à médiatiser son action (le contre-feu est nécessaire, la république titube pendant que la présidence découche). Il faudra donc rien moins qu’une Réforme Complète Et Entière. Comme Taubira est à la justice, soit, c’est la Justice qui prendra. Elle est habitué : elle a déjà avalé une bonne rasade avec un magnifique Consensus sur la Récidive et l’introduction d’un stage sur « l’identité de genre » pour les magistrats. Il n’y aura donc aucune difficulté pour la révolution qu’entend introduire la Garde des Sots dans la gestion de la Justice en France : le passage a déjà été largement lubrifié par les précédentes expériences, ça devrait rentrer tout seul.
Et c’est donc une véritable remise à plat complète, totale et sans pitié dans laquelle se lance Christiane Taubira afin de rapprocher la Justice des citoyens en général et des justiciables en particulier. L’AFP a courageusement retranscrit les quelques éléments que la Garde des Sots aura donnés, et ces précieuses informations se sont ensuite retrouvées recopiées dans une demi-douzaines d’articles palpitants d’analyse comme seule une presse subventionnée est capable de réaliser, coincée qu’elle est entre ses cadences d’enfer et les sujets d’importance comme
Que trouve-t-on dans cette réforme ? Pour le moment, difficile d’avoir le détail dont on sait déjà qu’il va être gratiné puisqu’il y aurait 268 propositions (parce que 100 eut été mesquin, et 1000 probablement trop), mais en tout cas, trois axes se dessinent (et s’infographisent mêmecomme on peut le voir dans de mignonnes tentatives). En substance, elle veut introduire un guichet unique, réduire le nombre de tribunaux et favoriser le traitement numérique de certaines démarches juridiques, et enfin transformer certains délits en contraventions. Sur le papier, ce serait presque intéressant.
Et tout ça est placé sous d’excellentes auspices puisque, comme elle l’explique elle-même à qui veut l’entendre, elle a choisi de « réuni(r) l’ensemble des acteurs du monde judiciaire en groupe de travail qui ont planché pendant dix mois », ce qui n’avait — il faut bien le dire — pas dû leur arriver depuis un moment (d’être réunis, hein, pas de travailler, mauvaises langues que vous êtes, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit). Un tel groupe qui travaille pendant dix mois, ça ne peut aboutir qu’à du solide, de la réforme qui cogne du chaton. En plus, Taubira a fait (dit-elle) le « pari de l’intelligence collective », ce qui n’est à bien y réfléchir pas un pari, mais une gageure, voire un oxymore.
Bref : c’est donc à un putatif mais volontaire « choc de simplification juridique » que nous allons peut-être assister. C’est merveilleux : s’il a le même impact que le choc fiscal (dont l’effet de souffle aura propulsé des millions d’individus dans le champ lexical des contribuables), on peut raisonnablement s’attendre à une catastrophe, mais ne soyons pas bégueule : nous jugerons le pari à son résultat dans les prochains mois, une fois tout ceci mis en place avec la vélocité et la pertinence qui ont toujours caractérisé les grandes réformes du pays sur les 50 dernières années. Attendons-nous à quelques moments Kodak. Mais indépendamment des résultats, quelques remarques s’imposent tout de même devant ce qui ressemble fort à de l’empressement de la part de la Ministre à pousser une nouvelle réforme (révolutionnaire celle-ci) dans les tuyaux chromés, nombreux et alambiqués du système juridique français.
On peut en effet louer la volonté de Taubira de vouloir ramener le citoyen et le justiciable au centre des préoccupations de la Justice française ; si, grâce aux différents moyens que propose la ministre, il pouvait avoir une réponse à ses questions juridiques en une heure chrono (comme Manu Valls a prouvé qu’il était possible d’avoir avec le Conseil d’État), cela pourrait donner lieu à une véritable amélioration de la justice. Et puis ce petit côté « Pizza Hut » de la magistrature donnera un aspect résolument moderne à une institution dont les évolutions se sont toujours faites dans la douleur et sur la durée, la volonté (sanitaire, sans doute) de déplacer le minimum de poussière jouant sans doute beaucoup dans la précautionneuse lenteur de tout changement dans le milieu.
Mais il reste deux gros problèmes dont les
D’une part, toute réforme de la Justice actuellement en France, pour prétendre à un minimum de crédibilité, devrait commencer par un rétablissement de son indépendance vis-à-vis des politiciens. On l’a vu récemment, avec les affaires culinaires de Valls, il semble beaucoup plus facile à un ministre ou un politicien de mobiliser la justice qu’à un contribuable lambda. De façon générale, la Cinquième République, dans ses institutions, n’a jamais réussi à réellement faire croire à l’indépendance de cette justice ; entre l’existence même d’un ministre de la Justice placé directement sous les ordres de l’exécutif, et la multiplication des passerelles entre le monde politique et le monde juridique (le passage par le barreau n’étant qu’une formalité pour un élu malin), on se demande exactement ce qui reste de cette indépendance si ce n’est quelques grands principes momifiés. Comment, en effet, justifier de la présence dans le barreau de Paris de noms comme Jean Glavany, Pierre Joxe, Dominique Perben, Ségolène Royal, Dominique Paillé, Jean-François Copé, Dominique de Villepin, Manuel Aeschlimann, Frédéric Lefebvre, Pascal Clément, Rachida Dati, Hervé de Charette ou du vert Noël Mamère ? En quoi l’élection a-t-elle donné une aura particulière et un talent notoire à ces personnes ? Comment parler encore d’indépendance pour ces personnes lorsqu’elles font du lobbying en mode turbo ? Et puis, comment garantir que l’honoraire perçu par l’avocat (ex-élu ou ex-ministre) ne constituera pas le produit d’une influence auprès de son réseau, son ancienne circonscription, son ancienne administration ou toute autre administration ?
Rassurez-vous : les bricolages taubiresques n’aborderont probablement pas la question.
D’autre part, et c’est un problème bien plus aigu, comment garantir l’égalité devant la loi de tous les citoyens alors que chaque jour qui passe montre des écarts flagrants, que ce soit dans le traitement du droit d’expression illustré récemment ou dans tous les autres domaines pour lesquels l’expression de la justice ressemble de plus en plus à un jeu de hasard ? Comment garantir cette égalité alors que le nombre de justiciables semble exploser exponentiellement, et que les moyens mis en œuvre pour répondre aux demandes n’augmentent que de façon marginale et à peine linéaire ?
En réalité, ce dernier problème est le fruit direct de l’avalanche continue de lois, décrets et règlements qui ont gonflé tous les codes dans des proportions inimaginables sur les quatre ou cinq dernières décennies. Chaque nouvelle loi, chaque nouvel amendement, chaque modification plus ou moins impromptue des codes entraîne un gonflement du droit correspondant, et augmente d’autant la possibilité de litiges et donc du nombre de plaignants. Chaque nouveau « droit à » créé par des députés enfiévrés, l’étendard républicain au poing, provoque immanquablement une nouvelle fournée dantesque de petits justiciables plus ou moins braillards et vindicatifs de faire valoir leurs nouveaux droits. À ces brouettés de nouveaux droits correspondent des containers entiers de justiciables réclamant l’application impossible de ces usines à gaz pondues par des parlementaires incapables d’écrire dans un Français clair, et distribuant de la Justice comme d’autres des cacahuètes à l’apéritif.
Or, de cette réforme là, qui consisterait (chantier pharaonique dans ses proportions) à réécrire l’ensemble des codes pour les consolider, les rendre lisibles et les débarrasser de ses scories inutiles accumulées depuis des décennies, on n’en voit pas le début du bout. De cette réforme, qui consisterait à élaguer les droits ridicules, ces droits créances sur le reste de la société au dépend des autres, portés par un individu-citoyen-adulescent rendu progressivement irresponsable de tout par la force de textes contradictoires et illisibles, il n’est absolument pas question.
Avec Taubira, il est même plutôt question d’en rajouter une couche.