Ce petit rappel à la réalité est indispensable pour chacun d’entre nous et nous permet de bien nous rappeler que le patron, en France, c’est l’État. C’est lui qui sait, mieux que nous-mêmes, enfants imprudents, ce qui est bon pour nous. C’est lui qui détermine ce qui est juste et bon par le truchement de nos élites que nous avons élues et qui, ointes du saint sacrement du suffrage universel, ne font jamais d’erreur. C’est lui enfin qui autorise ou qui interdit avec équité et finesse d’analyse ce qui se passe en France, pays où tout est a priori soumis à autorisation sauf cas explicitement prévus par La Loi.
Muni de ce rappel et de ce cadre, il nous est alors facile de comprendre la mésaventure tragi-comique survenue à Jean-Michel Bonnus, un citoyen de la République qui a eu l’audace de croire qu’étant propriétaire de son bar, il lui était permis de pratiquer horaires et tarifs à sa guise (l’inconscient).
Pourtant, n’importe qui de sensé aurait expliqué dès le départ que notre barman s’engageait dans une bien mauvaise passe : ce dernier, en commun accord avec lui-même et apparemment sans consulter le Commissariat au Plan dédié à la gestion des Bars et Estaminets de la République, a en effet décidé de consacrer son établissement aux cocktails le soir venu : passé 17 heures, notre entrepreneur ne voulait plus laisser de tables pour la consommation d’un café.
Dans un premier temps, Jean-Michel a décidé de ne plus vendre de cafés après 17 heures, libérant ainsi les tables pour de plus lucratifs cocktails. Sa manœuvre honteuse serait passée inaperçue des valeureux services de l’État pendant plusieurs années si le civisme d’un client mécontent n’avait pas rappelé notre homme à ses devoirs : pour n’avoir pu recevoir de café après 17 heures et à la suite d’une plainte dûment déposée, la DGCCRF est intervenue pour rappeler à l’impétrant qu’il lui est interdit de refuser de vendre du café après une certaine heure. C’est comme ça. Circulez, il n’y a rien à discuter.
Dans un bar, on vend des alcools et du café, depuis l’heure d’ouverture jusqu’à l’heure de fermeture, sans qu’il soit apparemment possible de négocier les produits. Et puis c’est tout. Du reste, on le comprend : un bar qui commencerait à vendre autre chose que de l’alcool (des cigarettes par exemple) deviendrait vite autre chose qu’un simple bar. Et ça, sans les bonnes licences, les bons agréments, obtenus par les formulaires et autres cerfas dûment remplis, auprès des bonnes administrations et des bons services de l’État, c’est parfaitement impensable. Laisser faire, c’est risquer l’anarchie, le chaos, le début de la dangereuse sédition contre-révolutionnaire qui mènera, on peut le parier, à la restauration d’un Roi de France, l’invasion des Maures ou l’occupation des Anglois dans nos contrées chéries !
Le comble n’est pourtant pas atteint.
Malgré la rossée (évidemment méritée !) que l’administration aura distribuée à l’insolent tenancier, ce dernier ne s’avoue pas vaincu et retente le diable d’un façon encore plus fourbe ! Parbleu, ces entrepreneurs français n’ont aucune honte, aucune limite et tentent toujours, par tous les moyens, de prêcher leur capitalisme débridé et leur libéralisme nauséabond à toutes les occasions : devant l’impossibilité de refuser de vendre du café passé 17 heures, le fourbe patron de bar décide alors d’augmenter son prix à des niveaux stratosphériques ! Voilà le petit noir qui passe à 10€ après 17 heures !
C’est un scandale !
La réaction de la clientèle ne se fait pas attendre : prendre une telle liberté avec les clients, c’est un parfait scandale et comme la Loi est malheureusement respectée, il ne reste plus aux consommateurs que la rébellion et la violence pour enfin retrouver le café à 1.50€, droit de l’homme honnête pourtant inaliénable, saperlipopette ! Et si les armes ne sont pas encore prises, au moins les insultes et les lettres de menaces peuvent s’accumuler contre le propriétaire et, pour faire bonne mesure, contre ses enfants.
«On m’a insulté et surtout des gens ont menacé mes enfants sur les réseaux sociaux. Je suis dépité, je ne comprends pas ces réactions aussi virulentes»Il ne comprend pas, le faquin ! Mais, sacrebleu, en mettant ainsi le café à 10€ après 17 heures, il est évident qu’il contraint les clients à la ruine parce que, tout le monde sait ça, ses clients sont obligés de venir consommer chez lui, tout comme ils sont obligés de consommer un café (et pas une petite menthe à l’eau ou un thé, au prix très démocratique de 2.50€). Le bar se situant à Toulon, tout le monde comprendra aussi aisément qu’il n’y a aucune concurrence et qu’il n’y a aucun produit ni aucun établissement de substitution aux cafés à 10€ proposés par Jean-Michel Bonnus, véritable monopoleur du petit noir !
Et tout le monde sait aussi que pratiquer les prix qu’on veut dans son établissement, aux horaires que l’on veut, c’est faire un affront au client qui non seulement est roi, mais a la Loi pour lui, c’est la DGCCRF qui le dit !
Décidément, magnifique État que celui qui règne en France, où il se mêle de vous imposer ce que vous pouvez vendre ou non, ce que vous avez le droit de faire ou pas dans votre propriété qui n’est plus privée que par abus de langage.
Décidément, magnifique ambiance que celle qui règne en France où le consommateur se sent le droit d’insulter, de menacer lorsque le fournisseur pratique des prix pour défavoriser certaines consommations, de s’en prendre aux enfants pour faire valoir son point de vue.
Décidément, comment ne pas voir le lien pourtant direct entre cet intervention de l’État dans tous les domaines y compris les plus farfelus, et l’animosité croissante, pour ne pas dire la haine émergente qu’on voit monter entre les individus entre lesquels s’interpose systématiquement la force publique pour régenter toutes leurs interactions ?