Il faut dire que – sur le papier – il y a tout ce qu’il faut pour attirer le spectateur puisque le but affiché de cette nouvelle chaîne qui semblait tant manquer au PAF est de « décrypter l’actualité autrement, avec une nouvelle écriture, une nouvelle forme de mise en image, et des reportages plus pédagogiques », a contrario évident de ses concurrentes qui ont toujours eu à cœur d’obscurcir l’information en la rapportant de façon plate et sans aucun objectif pédagogique. Autre point important : la chaîne entend présenter l’information de façon factuelle mais contextualisée. On appréciera le « mais » à sa juste valeur qui permet d’introduire absolument toutes les saloperies qui pourront passer par la tête de ceux qui seront chargés de sauvagement contextualiser cette information un peu trop factuelle.
Pour un but aussi puissamment décrit, il fallait à la fois faire vite (le projet de cette chaîne n’était qu’un bout de papier il y a un an) et disposer d’équipes de choc, qui fait dans le nouveau, le pas déjà vu et l’audacieuse prise de risque. Jugez plutôt : une chronique de Jean-Michel Aphatie le matin, voilà qui surprend. Un talk-show le soir à 20 heures, c’était imprévisible. Une émission sportive vers 21 heures, voilà qui est osé. Une émission politique le dimanche midi, ça, ça change la donne. Et puis avec Nicolas Demorand, on est dans l’innovation la plus chimiquement pure. Fouyaya, tout ceci ébouriffe, c’est terrible.
On le comprend, il faut se démarquer de ses concurrentes.
Parce qu’il y en a, et pas qu’un peu, et dans le privé comme dans le public.
Dans le privé, on pense bien sûr à BFM TV, LCI, iTélé. Voilà du beau monde qui a déjà largement prouvé sa capacité
Pourtant, l’audience cumulée des chaînes d’information continue n’est pas franchement mirobolante. On parle de 4.5% au mieux dans les « pics d’actualité », ce qui cantonnera la nouvelle arrivante à une modeste fraction de ce pourcentage déjà bien faiblichon. Le tout, bien sûr, pour un montant total tournant autour de 50 millions d’euros (soit à peu près autant que BFMTV), mais ce n’est pas cher puisqu’ici comme ailleurs, ce n’est pas l’État qui paye, c’est vous.
Et il faut bien le reconnaître, comme bailleurs de fonds, vous êtes vraiment sympathiques. D’aucuns diraient même naïfs tant ce projet d’énième chaîne publique sentait le roussi dès le départ. Jugez plutôt : l’idée, qui trottait bien évidemment dans la tête de nos politiciens depuis des lustres, n’a pris corps qu’en août 2015 au moment où il fut décidé par Delphine Ernotte, la propagandiste à la tête de France Télévisions, que le service public ne pouvait plus se passer d’une voix de son maître dans le domaine de l’information continue.
Pour passer de cette idée de projet à une réalité facturée, il n’aura fallu qu’un an. Jolie performance qui peut aussi bien vouloir dire qu’on a souvent fait dans la précipitation ce qui aurait mérité un peu de préparation, ou que, pour éviter cet écueil, on n’a pas regardé à la dépense. Je laisse à ceux qui payent le choix de déterminer ce qui est le plus rassurant. Cependant, le prix payé pour certains aspects (le magnifique logo et l’habillage de la chaîne qui va avec, par exemple, ont coûté un demi-million d’euros selon le Canard Enchaîné) et la présence de vedettes qui cachetonnent rarement à l’euro symbolique feraient plutôt pencher pour la seconde option.
Il reste en outre une question lancinante. Même si Ernotte et Azoulay de l’Acultureaffirment haut et fort qu’une telle chaîne est indispensable, comment la justifier autrement que par le besoin compulsif de l’État et ses minions de relayer sa bonne parole, d’orienter les informations qu’il souhaite faire passer auprès de l’opinion publique, et, compte-tenu de l’audience qui restera de toute façon confidentielle, de placer quelques petits copains dans un fromage tout nouvellement créé pour eux ?
Tout montre en effet que cette chaîne d’information ne provient absolument pas d’un besoin exprimé par les téléspectateurs. À 3% en moyenne pour toutes les chaînes d’info, on parle plutôt d’une niche. Non, ici, outre l’aspect pantouflage évident en République française, il s’agit bel et bien de s’assurer une présence au milieu des autres chaînes qui n’ont pas l’heur de distribuer l’information comme la doxa étatique l’impose.
Fondamentalement, qu’une nouvelle chaîne d’informations arrive et qu’elle ait un biais idéologique ne surprendra personne. Après tout, il est transparent pour tout observateur un tant soit peu réveillé que ni BFMTV, ni LCI ni iTélé ne peuvent se targuer de neutralité lorsqu’ils choisissent les actualités qu’ils vont couvrir, ni dans la façon qu’ils les traitent. Mais c’est admis, compris et logique.
Le souci provient bien de la source de financement : avec cette nouvelle chaîne publique, on sait aussi que l’information sera orientée, on sait aussi dans quel sens, et on n’en sera même pas étonné. Au contraire des autres chaînes privées, on n’aura en revanche absolument pas le choix de ne pas payer pour cette chaîne. Eh oui : magie de la ponction obligatoire, on va forcer la propagande de l’État dans le gosier du contribuable, peu importe qu’il soit aussi un téléspectateur ou non. Et si BFMTV, LCI ou iTélé ne font de dégâts que lorsqu’on les regarde (et des études prouvent même le caractère anxiogène d’une écoute prolongée de ce genre de chaînes), comme toutes les chaînes France Télévisions, Franceinfo fera des dégâts même télé éteinte puisqu’elle se nourrira de votre travail, que vous le vouliez ou non.
Ces dégâts ne pouvant même pas se cacher derrière l’éventuel bénéfice d’une prise notoire de parts de marchés ou d’un retour sur investissement quelconque, une seule conclusion s’impose, encore et encore : delenda est France Télévisions ! Il est plus que temps.