Alors Fleur dit des trucs. Elle ne fait pas grand-chose, elle ne peut pas. Son pouvoir réel est forcément ténu, compte-tenu de son poste assez accessoire en ces temps de disettes financières, qui entraînent des marges de manœuvres extrêmement limitées. Autrement dit, elle a bien du mal à occuper un peu le terrain médiatique, et c’est logiquement qu’elle choisit d’émettre des sons avec sa bouche pour qu’on la remarque.
L’année dernière, on se souvient de sa tentative assez consternante de récupération des attentats du 13 novembre pour injecter des fonds du contribuable dans certaines salles soi-disant touchées par la désaffection du public. Dans le même temps, le film Made In France, pourtant tout à fait primordial pour illustrer et comprendre les tragiques événements parisiens, ne fut absolument pas soutenu par la même ministre, un peu trop occupée à trouver des ronds pour ses copains en manque…
Courant décembre, elle avait décidé qu’on devait s’intéresser à l’art contemporain dans les lieu de travail, et avait même jugé que, je cite,
«En mobilisant ses directions régionales et centrales, mon ministère accompagnera ce dispositif voué à se déployer sur l’ensemble du territoire.»
Voili, voilà, en mobilisant tous ces gens, ça va aider, accompagner, tout ça, youkaïdi, youkaïda. D’autant qu’assurément, l’art contemporain est une valeur sûre et réclamée par le peuple français actuellement. Et puis, après « 1 immeuble, 1 œuvre », on pourra faire « 1 autoroute, 1 œuvre » ou « 1 gare, 1 œuvre » et on … Ah on me fait savoir que c’est déjà le cas.
Début janvier, zut, la pression côté rue de Valois semblait redescendre. Il eut été dommage de laisser passer les fêtes sans relancer le bastringue, et, justement, une petite polémique de derrière les fagots se développa promptement pour donner un nouveau sujet d’intervention à la frétillante ministre communicationnelle : le terrorisme est-il soluble dans la nationalité ? Pour Fleur, dont le poste comme ministre de la Culture ne l’empêche nullement d’avoir des avis sur des questions juridiques voire constitutionnelles, la réponse est évidemment sans intérêt, mais en tout cas, elle nécessite absolument de prendre part au débat et de le faire savoir !
On ne s’embête pas au ministère. Pour continuer à occuper les pages glacées des magazines glamour, il faut continuer, sans relâche, à faire parler de soi. À la polémique de début janvier, celle de la mi-mois succéda donc rapidement. Le thème fut rapidement trouvé : au festival d’Angoulême de la BD, patatras, aucune femme n’était sélectionnée ! Pour Fleur, c’est peut-être un souci de représentativité, mais c’est aussi, surtout, une excellente occasion de nous expliquer son malaise :
«En tant que femme ça me touche, en tant que ministre de la Culture, ça me touche aussi.»Eh oui mes petits amis : lorsqu’on fait une sélection, avec un jury, lorsqu’on choisit « les meilleurs », on doit apparemment et pour respecter les chatons mignons du gouvernement et du politiquement correct, le faire en tenant bien compte du ratio de femmes parmi les auteurs de BD, ainsi que du ratio d’homosexuel, de handicapés, de transgenre, d’auteurs de couleurs et de borgnes à nez tordu. Et si on ne le fait pas, ce n’est pas parce que, dans la sélection, on a fait un choix subjectif de valeur, ce n’est pas parce qu’on a jugé des qualité artistiques et qu’alors, les considérations de sexe, de couleur ou de genre n’entre plus en considération devant celles de la qualité de l’œuvre soumise. Non. C’est avant tout parce qu’on est sexiste, raciste, homophobe, transphobe, ou nétorduphobe. Dans cette logique, lorsqu’on choisit une BD parce que son thème plaît, tout ira d’autant mieux que l’auteur en sera une femme noire. Si c’est un homme blanc, la BD devrait être frappée d’anathème.
Au passage, on pourra mentionner, comme le fait fort justement ce billet de NathalieMP, que la polémique angoumoisine tombe à peu près en même temps qu’une autre polémique, tout aussi croustillante, sur la répartition des Oscars hollywoodiens, qui ne seraient pas suffisamment attribués aux Noirs – ce qui est faux, au passage : le nombre de statuettes distribuées sur les 20 dernières années aux Noirs à Hollywood correspond à 13% environ des statuettes en tout, alors que les Noirs représentent à peu près … 13% de la population américaine.
La polémique aurait pu s’éteindre là. Que nenni : rue de Valois, on sait relever des défis ! Par exemple en ajoutant aux débats stériles et à un discours politique agressivement correct une maladresse grossière : Fleur, décidant de récupérer la grogne des dessinatrices non sélectionnées, tente le tout pour le tout et leur distribue une petite médaille. Las. La manœuvre est bien trop grosse, une vraie baleine, et elle s’échoue sur un banc de sable médiatique lorsque la ministre essuie une fin de non recevoir des concernées.
Le problème de ces rebondissements, aussi rigolos soient-ils, c’est que pendant ce temps, la mission essentielle de Fleur semble quelque peu s’étioler.
Rappelez-vous : au départ, l’idée d’un Ministère de la Culture est de favoriser la culture française et son rayonnement à l’international. Pas de mettre en avant une ministre, ni de la faire participer à des polémiques plus ou moins oiseuses, ni même de l’en faire provoquer par sa maladresse.
Malheureusement, ce qu’on constate actuellement, c’est qu’au moins un pan entier de la culture française choisit la délocalisation plutôt que l’extorsion fiscale en vigueur dans le pays : on apprend en effet que la production de longs-métrages français a atteint un niveau record, mais les films sont de plus en plus souvent tournés à l’étranger. C’est plutôt ballot : 189 projets de longs-métrages d’initiative française (ellipse pudique pour englober aussi bien des films français que des films étrangers dont un scénariste, réalisateur ou inspirateur est français) ont été recensés en 2015 contre 148 en 2013, ce qui est un niveau jamais observé et une hausse de près de 28%… Mais dont 36% (en semaines de tournage) sont délocalisées, soit 14 points de plus que l’an passé, un niveau jamais vu depuis huit ans.
Autrement dit, les Français ne manquent pas de bonnes idées pour leurs films, mais ils se tournent ailleurs. Et profitent donc aux économies étrangères.
Heureusement, Fleur s’est motivée pour attirer les pontes hollywoodiennes en France. Et pour cela, elle n’hésite pas à sortir un argument choc :
« Pour un euro dépensé sur un tournage, il y a trois euros de cotisations sociales.»Voici qui fouette, non ? Et surtout, voici qui va inciter les producteurs américains à venir ici ! Pensez-donc ! Pour un dollar directement visible sur la bobine, trois dollars partiront en fanfreluche franco-française complètement invisible pour le public ! Comment trouver plus excitant ?
À ce point du billet, une question s’impose presque d’elle-même : sérieusement, à quoi diable sert cette ministre ? Avec l’amoncellement de polémiques des derniers mois, elle parvient à ancrer durablement dans l’esprit du contribuable lucide qu’on la paye essentiellement pour dire des calembredaines ridicules. C’est coûteux.
Et, plus à propos, à quoi sert ce ministère ? En effet, on prétend vouloir une culture française qui rayonne partout. Mais avec tout ce que les contribuables ont déjà versé, elle devrait littéralement exploser toutes les autres concurrences qui, dans leurs pays, ne bénéficient pas d’autant de largesses que chez nous. Or, il n’en est rien. Et pire encore, cela ne se traduit même pas en emplois français.
Bref : une ministre coûteuse et inutile, un ministère qui rate son objectif depuis des décennies et qui crée du chômage… Ce n’est vraiment pas brillant.
En tout cas, à en juger les budgets des ministères de la Culture (7 milliards d’euros) et de la Justice (7,98 milliards d’euros), on peut facilement en conclure que le contribuable sera doté d’une justice et de prisons aussi efficaces que la suprématie de la culture française dans le pays et sur le reste de la planète.
Ce n’est franchement pas rassurant.