Le contexte est simple : Netflix tente de s’installer en France. Netflix, c’est cette entreprise américaine spécialisée dans le streaming (flux continu) de vidéos, qui permet donc à n’importe qui de voir n’importe quel film sur n’importe quel support (ordinateur, tablette, téléphone, etc…) moyennant un abonnement simple et unique.
Netflix se déploie actuellement en Europe et envisage donc de le faire en France, ce qui constitue peut-être une opportunité en terme de sous-sous dans la popoche de l’État, mais surtout et avant tout, une menace assez sévère pour — je cite la minustre — « notre écosystème unique » (que le monde entier semble hésiter vraiment à nous envier, au demeurant). Il faut bien comprendre que si la Culture était un son, en France, ce serait aujourd’hui un cri, vif, bruyant, répété, aigu et désagréable. Et tous les jours, cette agression sonore se ferait entendre au moment où on s’y attend le moins. Si la Culture était un son, ce serait une onomatopée. Et si c’était une onomatopée, ce serait Orélifilipéti.
Et cette onomatopée ministérielle a donc déclaré, suite à la rumeur que Netflix aurait tenté la folie de s’installer en France :
« Je ne suis pas fermée aux nouveaux acteurs du numérique, surtout lorsqu’ils proposent une offre légale de films et de séries, une de mes priorités pour lutter contre le piratage. Mais s’il veut s’installer ici, Netflix doit se plier aux régulations qui font le succès de nos industries, notamment en matière de financement de la création. C’est une condition sine qua non pour préserver notre écosystème unique. »Ah, oui, les fameuses régulations qui font le succès de nos industries ! Cette extraordinaire pile fumante de lois, de décrets et de paperasserie administrative monstrueuse composée de millions de petits cerfas rigolos qui forment cet ensemble incohérent que l’onomatopée appelle donc « écosystème unique », et qui serait selon elle un des facteurs du succès de nos industries, comme en témoigne la place toujours plus grande que prennent les productions françaises à Hollywood. C’est vrai : depuis que la France récolte des moissons d’Ours, d’Oscars et de Palmes à chaque festivals, le succès de nos productions est indéniable ; l’actuelle bousculade des internautes pour décharger (légalement ou non) les séries estampillées Made In France en témoigne assez largement :
Ah oui, pas de doute, toutes ces séries françaises (honteusement mal traduites en anglais pour des raisons obscures) comme « Jeu de Chaises », « Casse Mauvais », « Les Morts Trottineurs », « La Théorie du Grand Boum », « Lefter », « Comment j’ai fait connaissance de ta moman », « Costumes », « Patrie », « Vikings » ou encore « Flèches » qui ont, chacune, bouleversé les spectateurs français, montrent sans aucun doute possible que notre industrie créative massivement régulée envahit doucement le monde de sa saine chaleur et lumière, et qu’Orélifilipéti a bien raison de vouloir protéger les autres séries que le monde nous envie mais ne connait pas encore (Plus Belle La Vie, Profilages ou Famille d’Accueil) ou dont la production ne saurait tarder.
On comprend dès lors très bien pourquoi la brave interjection ministérielle rappelle les évidences ; oui, Netflix peut bien tenter de s’installer sur le territoire national, mais l’accès au phare mondial de la pensée et de la culture a un prix : il faudra à la vile entreprise américano-capitaliste s’assurer d’un approvisionnement décent de films français et surtout, qu’elle raque, comme les autres, pour ces myriades de films locaux qui, s’ils ne trouvent pas leur public, trouvent en revanche sans mal leurs subventions.
« Netflix devra aussi favoriser le développement de la diversité culturelle, (…) en diffusant un certain nombre d’œuvres françaises et européennes »Sacrée Aurélie. Sachant que Netflix ne « diffuse » que ce que les abonnés lui demandent, j’aimerais bien savoir comment elle va s’y prendre pour forcer la
D’autant qu’Orélifilipéti ne se contentera pas de s’assurer que Netflix « diffuse » du contenu français. Elle compte aussi contrôler régulièrement la qualité de ce qui dégouline des tuyaux médiatiques. En effet, la minustre réfléchit sérieusement (enfin, c’est une expression, hein, on parle d’une socialiste, je vous le rappelle) à créer une nouvelle mesure permettant « une approche plus qualitative de l’audience » et a pour cela confié à l’INA une mission en ce sens.
Vous ne rêvez pas : de l’argent public va être mobilisé pour créer une mesure non pas de l’audience mais de la qualité des programmes, mesure dont l’impartialité sera garantie par … mettons une Haute Autorité À La Qualité Télévisuelle ou un truc/machin du style.
Et quand bien même les principaux acteurs du public et du privé s’accordent à dire qu’une telle mesure existe déjà de façon directe ou indirecte et qu’on voit mal, exactement, ce qu’elle va bien pouvoir mesurer ou, plus prosaïquement, apporter au domaine, soyez assurés que l’argent sera dépensé et qu’un résultat, inutile et impossible à reproduire ailleurs dans le monde, sera obtenu.
Ah, la Culture, en France, c’est quelque chose ! Personne ne sait plus vraiment ce que c’est, mais au moins cela permet d’occuper quelques encombrants politocards.