Et la semaine passée, ce sont deux actualités qui sont entrées dans une collision moelleuse pour nous fournir deux magnifiques exemples de l’énorme contribution de nos syndicats français au bonheur intérieur brut. Très brut.La première actualité fut celle de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Bayonne. L’affaire a éclaté, de façon d’abord discrète dans les feuilles de choux locales puis, alors que la polémique enflait, dans les médias nationaux, au point d’entraîner un rappel à l’ordre de la ministre de la Fonction publique (ce qui est l’équivalent, en terme de sanctions disciplinaires, des « gros yeux » de votre maman lorsque vous étiez pris la main dans le paquet de biscuits alors que ce n’était pas encore l’heure de goûter).
Et que reprochait la ministre à cette CPAM ? D’avoir, mardi après-midi, fermé quatre de ses cinq agences de l’agglomération bayonnaise à 14H00 au lieu de 16H30 habituellement, et ce afin d’assister au pot de départ à la retraite de son directeur.
Eh oui : les petits plats sont généreusement mis dans les grands lorsqu’il s’agit de fêter le départ du directeur, au point de fermer la porte des agences au museau des administrés qui auront cependant le plaisir d’apprendre que les frais de ce pot sont entièrement couverts par leurs aimables cotisations dont tout refus de prélèvement entraîne vexations, huissiers, condamnation, prison ou parfois suicide.
Après avoir fait ses gros yeux, la ministre s’est peu exprimée sur le sujet, en se contentant d’un petit (je cite) :
« La fonction publique doit bien prendre en compte la totalité de ses missions, de ses devoirs, et être irréprochable. Il y a des règles à rappeler et c’est dans le cadre de la loi déontologie que nous le rappellerons. »… qui revient en substance à faire comprendre Rooh là là, bande de petits canailloux, ce n’est pas très déontologique, tout ça. Pas un mot n’a été émis sur la présence de fêtes champagnisées dans le cadre professionnel (ce qui n’est pas autorisé), et même si la ministre comprend confusément que ce magnifique scandale local n’est que la partie émergée d’un iceberg probablement assez phénoménal au niveau national, on en restera là devant le constat qu’encore une fois, le cotisant se fait généreusement entuber sans vaseline (seulement sur ordonnance et non remboursée).
Et outre les dépenses irritantes pour une caisse qui, comme les autres, accumule plutôt les problèmes de trésorerie (la Sécurité sociale française n’est plus réputée faire d’excédents budgétaires depuis un moment), c’est bien plus la désinvolture avec laquelle la gabegie est organisée qui a largement contribué à faire de cette petite actualité une nouvelle polémique nationale.
Désinvolture qui rappelle assez assez furieusement ceci, qui avait eu lieu pour fêter les 10 ans du Mouv’, cette chaîne de radio publique d’entre-soi écoutée par personne et financée par tous.
Les 10 ans Caviar du Mouv' par Alfred890
Mais cette affaire, déjà scandaleuse en elle-même, ne serait pas complète sans son pompon syndical puisqu’en fait, on n’a appris ces dérapages budgétaires pour petits fours festifs que grâce à l’intervention finement ciblée d’un syndicat.
Vous l’avez compris : si vous êtes maintenant au courant, c’est parce que la CGT a choisi d’en faire tout un plat. Et si ce syndicat a effectivement pris fait et cause pour les cotisants de la CPAM de Bayonne, c’est essentiellement parce qu’elle est en conflit avec … la direction de la CPAM depuis plusieurs mois. Autrement dit, le public n’est finalement au courant de cet énième abus que grâce (ou à cause, selon le point de vue) d’une nouvelle guéguerre syndicale interne à la CPAM en question.
La bisbille entre la CGT et cette direction est à ce point sérieuse qu’une plainte a même été déposée, faisant état de travail dissimulé par dissimulation d’heures, dépassement de la durée légale journalière de travail et dépassement de la durée hebdomadaire de travail. On comprend que lorsque le directeur a organisé son pot, en plein après-midi, aux frais des cotisants et sur les horaires de travail, le syndicat ne pouvait laisser passer une occasion de faire un foin médiatique.
Voilà qui est croquignolet.
Mais c’est encore plus croquignolet lorsqu’on rapproche la vertu outragée de la CGT se battant corps et âme pour le salarié maltraité et le cotisant floué de la CPAM de Bayonne, avec l’autre actualité, qui concerne le même syndicat, et dans laquelle on apprend qu’une salariée vient de faire condamner aux prud’hommes le comité d’établissement des cheminots de la région de Metz-Nancy après avoir signé 184 contrats à durée déterminée (CDD) en douze ans.
Or, ce comité d’établissement est géré par… la CGT.
Oui, vous avez bien lu : c’est bien la même CGT qui a été condamné dans l’Est pour des faits graves de contorsions douloureuses du Code du Travail, et qui semble vouloir faire condamner la CPAM de Bayonne pour contorsions douloureuse du Code du Travail.
Oui, c’est bien la même CGT qui, d’un côté, pleurniche parce qu’au terme d’un calcul qu’on qualifiera gentiment d’ « ouvert à débat », des heures supplémentaires n’auraient pas été prises en compte à la CPAM en question, et qui, d’un autre côté, s’empresse d’enfiler 184 CDD pour une cuisinière avant de la virer du jour au lendemain, en parfaite violation du Code du Travail et de l’éthique la plus élémentaire de respect des salariés.
Au passage, on notera qu’avec 5 contrats tous les 4 mois environ (!), ce qui est un beau rythme de signature, la paperasserie ne semble pas gêner le syndicat, ni l’inspection du travail qui n’a semble-t-il rien relevé d’irrégulier, pendant les douze longues années qu’aura duré le CDI déguisé de la cuisinière. Certains inspecteurs devraient en profiter pour se remettre en question, et les accointances répétées de ces derniers avec le syndicat en question, entraînant un laxisme évident et des copinages coupables, ne devraient plus guère faire de doute pour l’observateur extérieur.Je résume : un syndicat, déjà fort connu pour ses nombreux cas d’abus en droit du travail, de détournement de fonds, de son train de vie aussi châtelain que dispendieux, se pose en parangon de vertu et de respect du droit du travail, et déclenche un petit raout au pot de départ d’une CPAM qui, il faut bien l’admettre, semble à cette occasion s’être bien moqué du visage de ses cotisants. Et dans la même semaine, le même syndicat se retrouve englué (et condamné) pour non respect du droit du travail.
Devant ces éléments, qui peut encore douter de la nature profondément viciée du syndicalisme français en général, et de celui de la CGT en particulier ?