De quoi parle-t-on ? D’un amendement à la Loi Santé de Marisol Touraine, déposé à la dernière minute en avril dernier, qui a été introduit sans concertation par le cabinet de la ministre et dont Bercy n’était pas au courant. D’un amendement qui, comme souvent, a été écrit à la va-vite, sur la base d’une idée qu’on croyait simple mais qui était surtout simpliste et qui va avoir des effets de bords désastreux. D’un amendement qui ne sera cependant pas revu et corrigé, voire annulé, et qui oblige les différents acteurs concernés (ministères et cliniques) à discuter péniblement du décret d’application de cette Loi Santé.
Décidément, cette Loi Marisol ressemble de plus en plus à la Loi Duflot tant les effets catastrophiques qu’on pressent pour la première rejoignent l’ampleur de ceux observés par la seconde (avec la mise à mort du secteur de la construction en France).
Cette fois-ci, il s’agissait pour le cabinet de Touraine d’appliquer aux cliniques la règle européenne en vigueur pour les services d’intérêt économique général (SIEG). Ce sont des secteurs financés au moins en partie par des fonds publics, ce qui permet de leur imposer certaines contraintes économiques. Dans le cas qui nous occupe, l’idée est de limiter les profits réalisés par les cliniques sur le dos de l’État ; en substance, cela part du principe que si l’État participe au financement de ces cliniques, alors la partie des bénéfices obtenus grâce à ce financement ne doit pas être déraisonnablement élevée. Et s’ils sont déraisonnables, alors pour faire original, poum, ponction.
Oui, vous avez bien lu : l’État entend faire en sorte que ces services d’intérêt économique général ne génèrent pas trop de profit. C’est normal : le profit, par définition, est quelque chose d’assez sale. Faire du profit, cela veut dire évidemment qu’on profite de la situation. L’État, c’est bien connu, ne profite jamais d’aucune situation puisqu’il se doit d’être le plus impartial, en tout temps et en tous lieux. Sa justice est impartiale. Son traitement social est impartial. Son implication dans la société, dans les sociétés, toutes les sociétés (même commerciales, mêmes privés) est impartiale, c’est une absolue évidence.
Et surtout, qui mieux que l’État peut prétendre ne faire aucun profit ? En matière de non-profit, l’État est même un cador. De façon conceptuelle, c’est déjà un athlète olympique du non-profit puisqu’il s’insère comme intermédiaire dans un nombre considérable de transactions entre individus qui, sans lui, pourraient éventuellement mal tourner (c’est-à-dire, devenir profitable aux deux parties, si vous me suivez). Et de façon plus concrète, l’État français est lui-même un champion international du non-profit puisqu’il parvient, avec une abnégation qu’on ne peut qu’admirer, à cumuler plus de 2000 milliards d’euros de non-profit dodu, soit plus de 30.000 euros de dettes pour chaque Français dont il a la tendre charge.
Il est donc logique qu’à ce point imprégné de cette volonté de non-profit, l’État essaie par tous les moyens d’étendre ses vertueuses conceptions partout où il le peut. Par définition, les cliniques réalisant du profit sur le malheur des autres (les bobos, maladies et autres accidents de la vie de leurs patients), il fallait intervenir afin qu’un peu de décence soit ré-instillé dans ce monde atroce de gens qui n’ont pas compris que le profit gêne et la dette libère.
Bon. Bien sûr, il reste quelques petits soucis à régler pour qu’un pas décisif soit à nouveau franchi vers ce monde douillet de non-profits.
Le premier problème à surmonter, sans doute le plus délicat, sera de préciser les modalités du calcul sur lequel sera assis la joyeuse petite ponction que nos cabinétards et nos petits calculateurs de Bercy s’empresseront de réaliser. Comme une clinique, ce sont plein de services, plein de personnels, plein de matériels, plein de sources différentes de dépenses et de bénéfices, comme une clinique se fait aussi bien payer par des organismes publics que des assurances privées, mutuelles ou patients, comme une clinique, eh bien, c’est un peu plus complexe que ce que semblent imaginer nos énarques en roue libre, il va inévitablement y avoir quelques subtilités pour calculer ce qui entre dans le bénéfice déraisonnable (et public) et ce qui entre dans le bénéfice joufflu mais parfaitement privé.
Autrement dit, cet amendement promet un décret particulièrement subtil à rédiger dont tout indique qu’il va se terminer au mieux en jus de boudin illisible, en pire en abomination fiscale vexatoire comme notre pays en produit de façon industrielle.
Le second problème consistera bien sûr à définir clairement la notion de raisonnable. Si, du point de vue de l’État, les choses sont assez claires (tout centime pris sur le dos de l’usagé dans un service qu’il rend est manifestement vécu comme une horreur indicible), à tel point que, par mesure de précaution sans doute, l’État à décidé de faire du déficit sa règle d’or, il en va tout autrement pour le reste des acteurs économiques qui, pas fous, comprennent qu’un peu de bénéfice de temps en temps, ça met du beurre dans les épinards et ça permet de payer les amendes, les taxes surprises, les ponctions rigolotes et autres cotisations frétillantes qui ne manquent pas de jaillir à chaque session parlementaire et au détour de cette myriade de cerfas que nos administrations pondent à rythme effréné.
Dès lors, on s’attend à d’homériques aventures et de picrocholines batailles lorsqu’il s’agira de bien expliquer qu’un profit de 12% (par exemple) sera raisonnable alors qu’à 13%, Bercy estimera que l’établissement de soin se vautre indécemment dans la pire des luxures financières.
Enfin, et c’est probablement le plus intéressant dans cette histoire, il serait dommage de passer sous silence les effets pervers évidents que ces consternantes stupidités socialistes créeront immanquablement.
Même en passant sur l’aspect désastreux du message général qui consiste à tabasser fiscalement des établissements qui s’en sortent très bien, cet amendement poussera tous ceux qui font un bénéfice à tailler leurs activités et leurs budgets pour le réduire autant que possible. Ces bénéfices représentant au mieux des investissements, au pire de coquettes sommes redistribuées aux actionnaires, cela se traduira à la fois par des baisses sensibles d’investissements dans les cliniques, ou par une baisse d’attractivité pour les actionnaires qui se retireront du secteur.
C’est très malin. Ces dernières décennies, la France était parvenue à gentiment dégringoler dans les classements de la qualité de soin ; par exemple, le nombre d’IRM par habitants en France n’est ainsi pas supérieur à celui de la Turquie, pourtant pas spécialement réputée pour son système de soin, et notre pays perd des places pendant que la Turquie en gagne. Grâce à ces efforts vigoureux pour écrabouiller toute velléité d’investissement dans le secteur privé de la santé, gageons que la France perdra encore quelques plumes dans les prochains classements. Mais, joie, bonheur, les profits seront enfin raisonnables !
La qualité des soins s’effondrant, on peut même parier que de frétillants imbéciles élus monteront en tribune à l’Assemblée Nationale, la gorge nouée par l’émotion, pour réclamer qu’enfin, l’État reprenne en main l’intégralité de la Santé en France. Et c’est exactement ce qui se passera, accélérant encore le mouvement vers l’abîme.
La collectivisation continue donc dans ce pays. Jusqu’à présent, elle trottinait à bon pas. Ces dernières semaines, elle galope.