Il ne se sera écoulé que quelques jours entre le moment où le Président aura décidé de lancer cette réforme et le moment où les rédactions se sont toutes penchées sur la question pour produire moult articles afin de répondre à la question lancinante que tout le monde se pose apparemment : comment va-t-on donc procéder pour alléger le mille-feuille administratif français ?
Pour le moment, toutes les étapes précises de cette réforme sont encore dans les cartons, bien rangées les unes derrières les autres, mais on sait déjà, heureusement, que l’entreprise n’est pas vaine puisqu’elle permettra d’économiser un paquet d’argent. Vallini, Le secrétaire d’État à la réforme territoriale, s’est d’ailleurs fendu d’un entretien au Figaro qui chiffre tout ça :
« Les meilleurs spécialistes pensent qu’en tablant sur des économies d’échelle et des suppressions de doublons qui pourraient à terme représenter de 5% à 10% on arrive à un gain annuel de 12 à 25 milliards d’euros à moyen terme. »Voilà voilà, les meilleurs spécialistes ont fait leurs petits calculs et annoncent une économie possible allant du simple à plus du double (en gros, on parle de 18.5 milliards d’euros plus ou moins 6.5 milliards) soit une marge d’erreur de 35% et dont le montant (plus de six milliards) représente 40% de l’effort d’économies que le plan Valls propose d’engager. À côté d’une telle marge d’erreur, même les calculs du GIEC sur le réchauffement qu’on aurait dû observer les 16 dernières années sont d’une précision diabolique…
Mais bref, n’ergotons pas : c’est déjà miraculeux qu’un calcul, aussi vague soit-il, ait été fait. En substance, il s’agit de dire que la disparition de certains doublons dans les collectivités (qui crament un budget de 250 milliards d’euros) permettrait de faire des économies d’échelle à hauteur de 5 à 10%. Comment sont trouvés ces pourcentages, nul ne sait exactement mais sachez que d’excellents « spécialistes » y ont travaillé. En tout cas, moyennant quelques suppressions de doublons, pouf, on trouve un gisement d’économies palpables.
Devant une telle opportunité, les médias, déjà fort alléchés par l’idée d’une Grande Réforme,
Hollande et sa clique s’apprêtent donc à sucrer les départements. Fort bien, mais — comme le dit Vallini qui n’a pas perdu le nord — il faut agir vite. Parce qu’après avoir reporté le 27 novembre 2012 le scrutin d’élections territoriales normalement prévu en 2014 à l’année 2015, Hollande tente maintenant de le repousser vers 2016, histoire de modifier un peu les régions, et, d’ici 2021, dissoudre les départements. Et repousser de deux ans, temporiser, ajourner, atermoyer, c’est clairement une méthode pour le Roi Solex (au passage, on peut s’estimer heureux de la nature constitutionnelle du calendrier électoral pour la présidentielle, sans laquelle notre brave énarque aurait choisi de la repousser aussi).
Maintenant, si l’on écarte le petit calcul électoral ainsi tenté, on ne peut s’empêcher de noter qu’en surcroît de l’écran de fumée que cette réforme a créé dans les médias, la manœuvre n’en reste pas moins très hasardeuse.
D’une part, la suppression des conseils généraux entraînera la disparition de milliers de postes de fonctionnaires et d’élus qui travaillent dans ces structures. C’est très bien mais pour ces derniers, la douloureuse question de leur reconversion se pose : comme Don Salluste qui paniquait à l’idée de perdre sa place de ministre, que vont pouvoir trouver comme occupation nos élus ? Après tout, ils ne savent rien faire, ils sont élus… Dès lors, on peut compter dans leurs rangs autant d’opposants farouches à Hollande.
D’autre part, en termes financiers, pour qu’une économie se réalise, il va falloir éliminer effectivement la masse salariale correspondante. Électoralement, c’est catastrophique d’autant que la fonction publique territoriale n’a jamais arrêté de grossir. Sucrer un niveau administratif, c’est renvoyer dans le privé un nombre considérable de personnes. C’est absolument nécessaire, mais électoralement suicidaire pour Hollande qui, avant toute autre personne, ne pense qu’à lui et sa réélection.
D’autant qu’une telle réforme, à moins d’y aller au pas de charge (ce qui serait du jamais vu pour un Hollande perdu dans ses petits compromis et un immobilisme minutieusement calculé), sera inévitablement coûteuse au moins au départ : la réorganisation, même si elle dégage des économies d’échelles et supprime des doublons, passera par une phase où les relocalisation, les démembrements et les réaménagements provoqueront des frictions qui ne seront pas gratuites. Autrement dit, le premier effet de la réforme sera un accroissement des dépenses publiques avant de pouvoir compter sur une économie quelconque, accroissement qui sera, soyez-en sûr, lourdement médiatisé sur l’air de « La Casse Du Service Public »…
Tous ces éléments aboutissent tous au même résultat : la réforme n’aura pas lieu. Politiquement et électoralement, le chef de l’État n’y a pas intérêt, et économiquement, l’État n’est pas suffisamment en fonds pour se le permettre sur le mode d’une série d’ajustements gentillets.
Pas de doute : comme les autres bricolages que Hollande nous aura offerts depuis deux ans, cette « réforme » territoriale n’est qu’un nouveau gadget communicationnel pour occuper la presse qui saute trop joyeusement sur le sujet, alors que les situations nationale et internationale imposeraient pourtant un autre agenda.
En mai 2013, devant la déconfiture que fut sa première année au pouvoir, Hollande aurait dû prendre la mesure de son poste et de sa mission, et arrêter la bidouille. Il n’en a rien fait et deux ans après son élection, il n’est toujours que le Président de la République de Corrèze.