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Bernard Marois

Bernard Marois

Bernard Marois est diplomé d’HEC, MBA de l’Université Columbia de New York et docteur en sciences de gestion. Il est actuellement professeur emeritus au Groupe HEC.

Il écrit régulièrement dans des revues spécialisées, telles que Banque Magazine, La Revue Francaise de Gestion ou Les Echos.

« L’ALLEMAGNE PAIERA ! »

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Nombre de commentaires : 7 réactions

D’abord un peu d’histoire. Cette formule bien connue (« l’Allemagne paiera ») a été prononcée par Clémenceau en juillet 1919. Le traité de Versailles avait en effet fixé le montant  «  des réparations » (pour dommages de guerre (1))  que l’Allemagne devrait payer à la France : un total de 132 milliards de marks à verser en 62 ans ! A la suite de la première crise de l’inflation en Allemagne, fin 1921, celle-ci suspend ses paiements après seulement deux ans de versements. Une bonne partie de cette somme devait servir à rembourser les Etats-Unis des prêts qu’ils avaient octroyés à la France pour soutenir l’effort de guerre. Du coup, celle-ci suspendit aussi ses remboursements aux Américains. Les réparations allemandes reprennent en 1924, une fois la situation financière rétablie outre-Rhin : une vingtaine de milliards seront versés entre 1924 et 1932. Quant à la somme totale elle sera progressivement réduite, à la suite des plans Dawes et Young (2). Après 1932 rien ne sera plus versé.


            Un deuxième épisode de cette formule « l’Allemagne paiera » se situe en 1990. Cette fois-ci, il ne s’agit plus des conséquences d’une guerre, mais de l’effet d’une réunification souhaitée ; en d’autres termes, « la RFA paiera pour la RDA ». Au total, plus de 1 000 milliards d’euros (en net (3)) seront transférés de l’Allemagne de l’Ouest vers de l’Allemagne de l’Est entre 1990 et 2000, pour remettre celle-ci à flot et la rapprocher de son homologue occidental. En plus, à travers un rapport de change très favorable à l’Est (1 Deutschmark= 1 Ostmark), la réunification a permis de sauvegarder le niveau de vie des ex-citoyens de la RDA. Bref, les Allemands de l’Ouest ont bien « payé » pour les Allemands de l’Est.


            Nous sommes à la veille du troisième épisode, avec la crise grecque. Celle-ci intervient seulement dix ans après le dernier effort effectué par les Allemands (en faveur de leurs compatriotes). On peut comprendre que les citoyens-contribuables de ce pays soient « agacés ». Selon un récent sondage réalisé par un grand journal allemand, 60% des Allemands soient hostiles à un effort financier en faveur de la Grèce. Celui-ci devrait prendre plusieurs formes : tout d’abord, les 210 milliards qui seront apportés par l’Allemagne au FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière). On ne sait pas d’ailleurs, pour l’instant, s’il s’agira d’un apport de cash ou de garanties (avec versements seulement en cas de tirages). Par ailleurs, les banques allemandes détiennent en portefeuille des Bons de Trésor grecs, qui ont déjà subi une décote (« haircut ») de 21%, avant d’enregistrer de nouvelles dépréciations, au fur et à mesure où la faillite du gouvernement grec se précisera (4). Enfin, si l’on veut rétablir la compétitivité de la Grèce, il faudra réaliser des transferts bien supérieurs aux 350 milliards de dettes grecques. Plusieurs économistes ont évoqué le chiffre de 500 à 800 milliards d’euros. Même si l’Allemagne ne paiera que le montant de sa « quote-part » dans la zone euro, soit 40%(5), ce sont des montants colossaux, à prélever au moment où la crise frappe également les Allemands(6). Et si la contagion se transmet au Portugal, à l’Espagne, voire à l’Italie, il est clair que la tâche de l’Allemagne devient insurmontable, malgré la richesse substantielle de ce pays.


            On voit donc que le comportement de l’Allemagne face à la crise grecque va être capital, lors des prochaines années. N’oublions pas cependant que les Allemands ne seront pas les seuls à payer: la France est également en première ligne (150 milliards d’euros à verser au FESF !), mais nous sommes beaucoup moins « confortables » que nos voisins Rhénans, compte-tenu de notre propre endettement. Quant à nos banques…


Bernard MAROIS
 Professeur Emérite HEC PARIS
Président d’Honneur Club Finance HEC


(1)    Le principe ainsi appliqué s’inspirait du précédent de 1871 : la France ayant perdu la guerre de 1870 qu’elle avait déclarée, Bismarck obligea celle-ci à verser une « indemnité de guerre » de 5 milliards de francs-or.
(2)    Les transferts au titre de réparations furent soumis à l’agrément d’un « agent général », l’Américain Parker Gilbert, dans le cadre d ‘un règlement général des dettes issues de la première guerre mondiale.
(3)    Dans ce chiffre, net, a été pris en compte, les revenus supplémentaires (TVA des entreprises, impôts des particuliers, effets de synergie économique) auxquels ont contribué les Allemands de l’Est.
(4)    On évalue actuellement la décote à 50% -60% (hypothèse réaliste).  Certains pensent même que le « haircut » peut finir par atteindre 90%.
(5)    C’est beaucoup plus que 40%, si on ne retient que les pays en état de payer (grosso modo, les Etats bénéficiant encore du « triple-A »).
(6)    La croissance allemande s’est fortement ralentie en 2011(1,2%  au lieu de 3,5% en 2010). Au quatrième trimestre 2011, elle tend vers 0.

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7 commentaires

  • Lien vers le commentaire pascal samedi, 22 octobre 2011 19:34 Posté par pascal

    l'Allemagne va partir ? bon débarras

  • Lien vers le commentaire pascal samedi, 22 octobre 2011 13:14 Posté par pascal

    Edouard Carmignac appelle aux mêmes mesures que moi: taux à 0% et création monétaire massive de la BCE à destination des pays européens en difficulté.

    http://www.carmignac.fr/fr/edito.htm

    20/10/2011 Lettre à Monsieur Jean-Claude Trichet

    Paris, le 5 octobre 2011

    Monsieur,

    Adieu, nous ne vous regretterons pas ! Vous aurez, au cours de votre carrière, porté un coup fatal à l’industrie française par votre politique du franc fort dans les années 90, puis aggravé l’impact de la crise 2008 en sous-estimant son ampleur et, dernièrement, mis en péril l’euro par des hausses de taux inconsidérées et une politique de soutien de la dette des pays européens affaiblis notoirement insuffisante.

    Demain, vous présiderez pour la dernière fois le Conseil de la BCE. Vous avez là une occasion unique de réussir votre sortie. Aussi je me permets de vous suggérer les propositions suivantes :

    - Réduction du taux directeur de la BCE à zéro. L’allègement immédiat de la charge d’intérêt dans l’ensemble de la zone de 1,5 %, apporterait une bouffée d’oxygène appréciable, particulièrement aux Etats-membres les plus fragiles. Elle aurait également pour mérite de nous aider à combattre la surévaluation de l’euro qui pénalise depuis près de cinq années nos exportations.

    - Déclaration d’intention d’acquérir la dette souveraine de pays en difficulté sans restriction de montant et sans stérilisation de ces interventions. Afin de prévenir tout dérapage, il pourrait être prévu qu’à partir du moment où le cumul des achats de la Banque excèderait un seuil exprimé en pourcentage de PNB d’un pays, celui-ci devrait se soumettre à un programme d’ajustement structurel du FMI. Une présence accrue de la BCE sur le marché de la dette souveraine résoudrait deux problèmes majeurs. Elle redonnerait aux pays fragilisés l’accès au marché à des conditions non rédhibitoires. Elle soulagerait aussi les banques européennes de l’obligation plus que problématique d’une recapitalisation immédiate et massive, suscitée par la dépréciation de leurs créances souveraines. Enfin, n’en déplaise au credo monétariste, la création de liquidités en contrepartie de ces interventions ne serait pas inflationniste. Elle ne ferait que réduire la force de la puissante vague déflationniste déclenchée par le désendettement généralisé en cours, tout en exerçant également une pression baissière sur l’euro. Mais ne vaut-il pas mieux un euro faible, plutôt que pas d’euro du tout ?

    L’heure est grave et appelle une action immédiate. Les vicissitudes de la construction européenne font que ni les politiques ni aucune institution autre que la BCE n’est en mesure d’agir de façon décisive. Aussi, vous échoit-il la redoutable mission de combler ce vide.

    Je formule le vœu que le haut fonctionnaire zélé que nous connaissons se révèle homme d’Etat. Dans cet espoir, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de ma considération choisie.

    Edouard Carmignac

  • Lien vers le commentaire yves samedi, 22 octobre 2011 09:35 Posté par yves

    L'Allemagne n'est pas riche comme vous l'affirmez, il suffit de voyager en Asie pour comprendre que TOUTE l'Europe s'appauvrit par ses choix politiques et idéologiques depuis plus d'un siècle. De part sa démographie, l'Allemagne va faire face à des difficultés croissantes. Au nom de quoi le club med devrait venir voler les retraites des allemands. Nos politiques en Europe posent un problème "moral" pour notre jeunesse qui cherche des repères. Il ne serait pas surprenant de voir de plus en plus de jeunes quitter l'Europe dans les années à venir, tout simplement pour aller chercher un avenir car les décisions actuelles (FESF)vont encore pénaliser la compétitivité de l'Europe.

  • Lien vers le commentaire Jérome Werlen samedi, 22 octobre 2011 08:13 Posté par Jérome Werlen

    imprimer des billets ne crée pas de richesses, c'est juste une façon de prélever un impôt de manière sournoise, détournée, à l'insu des consommateurs, puisqu'on dévalorise leur pouvoir d'achat

    la rigueur allemande n'est pas suicidaire, ce sont bien les seuls en Europe chez qui on peut encore aller demander de l'aide... c'est le comportement dépensier des autres pays qui est suicidaire

  • Lien vers le commentaire pascal vendredi, 21 octobre 2011 20:47 Posté par pascal

    Mais enfin pourquoi faut-il que quelqu'un paye !?

    Il suffit que la BCE crée les milliers de milliards d'Euros dont tous les états (même l'Allemagne) ont besoin pour rembourser leurs dettes, devenues trop importantes pour que leurs intérêts soient payables, sans parler du capital.

    Celà permettra de plus de dévaloriser l'Euro face aux autres devises, et d'améliorer notre compétitivité qui en a bien besoin, et de relancer nos exportations.

    De nombreux emplois seront ainsi créés.

    L'épargne des particuliers sera protégée, puisque les états, avec l'argent créé par la BCE, pourront sans difficulté aucune, payer les coupons et le capital de leurs obligations.

    l'inflation ne sera même pas accrue, car les dépenses étatiques ont déjà été faites depuis des années, l'argent versé aux états servira à payer des dettes anciennes, pas à financer de nouvelles dépenses.

    Donc les allemands, çà commence à bien faire ! Faisons l’Europe du Sud et laissons les allemands à leur rigueur dogmatique et suicidaire.