Vous n'êtes pas membre (devenir membre) ou pas connecté (se connecter)
Charles Sannat

Charles Sannat

Charles Sannat est diplômé de l’École Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information (secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Économique d'AuCoffre.com en 2011. Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

Charles-Sannat

“L’Europe et la tragédie de l’Euro” par Jacques Sapir

Audience de l'article : 2033 lectures
Nombre de commentaires : 0 réactions
Jacques Sapir est l’un des rares économistes à ne pas céder à la pression du politiquement et économiquement correct consistant à bénir l’euro et le dogme de l’Europe malgré les insultes et les quolibets dont sont affublés tous les mécréants de la monnaie unique.

Oui l’Europe et l’Euro sont un dogme, une quasi-religion que personne ne peut remettre en cause, et si d’aventure l’idée saugrenue de dire que l’euro est un échec économique ou que l’Europe est mortifère vous prend, alors vous serez excommunié en étant traité de fasciste nauséabond aux heures les plus sombres de notre histoire, ce qui n’a rien à voir évidemment…


Charles SANNAT


L’Union européenne est en crise ; c’est aujourd’hui une évidence. Les accords de Schengen sont sur le point d’être révoqués, si ce n’est dans le droit du moins dans les faits. Les fermetures de frontières se multiplient et les États membres de l’Union ont de plus en plus de mal à trouver des points d’accords.

Le référendum qui se tiendra au Royaume-Uni à la fin du printemps 2016 pourrait bien donner une importance nouvelle et radicale à cette crise.

Euro
Cette crise de l’Union européenne pourrait être une bonne chose, si elle donnait naissance à un mouvement de réforme des institutions européennes. Mais, c’est la paralysie qui domine. Et cette paralysie engendre des effets destructeurs en transformant la crise de l’Union européenne en une crise de l’idée européenne. Car, il convient de la rappeler, l’UE n’est pas l’Europe. Ce que l’on perçoit de tragique dans cette crise c’est la désintégration de l’idée de communauté qui s’était développé entre les pays de l’Europe. L’idée européenne, l’Europe, est ici sacrifiée comme le fut Iphigénie par son père Agamemnon sur l’autel du dogme de la monnaie unique.

Un bilan largement partagé

Le désastre crée par le « marché unique » non équilibré par des capacités d’action à la mesure de ce dit marché est aujourd’hui patent. On le voit, sous nos yeux, avec la crise que traverse l’agriculture française. Mais, on pourrait tirer le même constat dans l’industrie ou dans le secteur des services qui est aujourd’hui complètement déstabilisé par la directive européenne sur les « travailleurs détachés ». Jamais, le dumping social et le dumping fiscal n’ont été aussi évidents. Ils prennent un tour particulièrement tragique pour les pays membres de la Zone Euro qui ne peuvent compenser les déséquilibres ainsi créés par des ajustements du taux de change de leurs propres monnaies.

Euro
L’origine de cette crise trouve donc sa source dans l’Euro. Il agit tel un acide qui corrode les fondations économiques et sociales des pays qui l’ont adopté. Il met à mal la démocratie et suscite, peu à peu, la montée de pouvoirs tyranniques. C’est en partie la thèse du livre écrit par Lord Mervyn King, l’ancien gouverneur de la Bank of England ou Banque Centrale du Royaume-Uni (de 2003 à 2013) (1). Il faut ici souligner la portée de cet ouvrage. C’est la première fois qu’un ancien banquier central prend de manière si claire et si directe position contre l’Euro. Il n’est pas le seul. On annonce pour le 31 mai 2016 la sortie d’un nouvel ouvrage de Joseph Stiglitz, ancien prix Nobel d’économie, entièrement consacré au risque que l’Euro fait peser sur l’économie de l’Union européenne (2). La sortie de ces deux ouvrages est très symptomatique. Les langues se délient, et la parole se libère. Mais, les résistances à la réalité sont farouches. Une large part des élites françaises et allemandes préfèrera sombrer avec le navire, couler avec l’Euro, que d’admettre l’erreur initiale et d’en tirer les conséquences.

L’Euro, poison de l’Europe

L’Euro, on le sait, provoque des dysfonctionnements de plus en plus importants dans les économies des pays qui l’ont adopté, sauf peut-être l’Allemagne. La Zone Euro se heurte en fait à la nécessité de l’existence de taux d’inflation différents selon les pays, quand leur démographie et leur situation structurelle sont trop différentes. C’est d’ailleurs là l’un des arguments de King. J’ai développé ce même argument dans mon livre Faut-il sortir de l’Euro qui fut publié en 2012 (3). L’Union Monétaire implique que la même politique monétaire sera conduite sur l’ensemble des pays de la zone, ce qui implique qu’elle sera soit trop restrictive soit trop accommodante suivant les différents pays. Il ne faut donc pas s’étonner que la monnaie unique soit à l’origine de crises répétées.

Euro
Ces crises ont des conséquences sociales importantes, directes avec la montée du chômage et en particulier du chômage des jeunes dans les pays d’Europe du Sud ou indirectes avec les politiques budgétaires adoptées pour « sauver l’Euro ». Il provoque des crises à répétition entre les pays, les dresse les uns contre les autres, et menace la nécessaire coopération européenne. L’Euro constitue donc une menace pour directe pour l’état d’esprit européen, tel qu’il s’était développé depuis le traité franco-allemand de 1963 et jusqu’à la chute du mur de Berlin. Mais il y a plus. L’existence de l’Euro implique le sacrifice de la souveraineté, et ce sacrifice entraine la fin de la démocratie.Un des grand lecteurs de Jean Bodin, Pierre Mesnard, l’avait écrit de manière très claire: « Posons la souveraineté, nous instaurons la République » (4). Nous en avons la démonstration par l’absurde; la suppression de la souveraineté entraîne la crise du projet républicain. Cela se traduit par la rébellion démocratique des peuples de l’Europe du Sud auxquels les institutions de l’Union Européenne et celles de la zone Euro cherchent sans cesse à arracher plus de richesse au profit de l’Allemagne et de ses satellites. Mervyn King prédit alors, une crise tant économique que politique si les pays membres de la zone Euro s’obstinent dans la voie folle et suicidaire de la monnaie unique, et on peut montrer que cet « oubli » du problème de la souveraineté est à la base de la crise politique qui monte (5).

Ce constat est partagé par de nombreux économistes, dont plusieurs prix Nobel, mais aussi par des hommes politiques de premier plan comme Oskar Lafontaine (ex dirigeant du SPD er fondateur du parti de la gauche radicale allemande Die Linke)(6), Stefano Fassina, ancien ministre du gouvernement de centre-gauche en Italie (7), ainsi que bien d’autres. Pourtant, il n’a pas conduit — du moins dans notre pays — à une remise en cause de l’Euro. Une remise en cause qui aujourd’hui s’impose pourtant. Et cela aboutit à poser la question: pourquoi donc l’Euro a-t-il été mis en place ?

Le pari de l’Euro et son échec

Le projet est ancien. On peut dater le début d’une réflexion sur une monnaie unique européenne de la fin des années 1960, et en particulier du rapport Werner (8). Mais, les obstacles étaient, eux aussi, bien connus. En 1977, le président de la Commission européenne, le Britannique Roy Jenkins, proposa la création d’une monnaie unique pour les pays qui composaient alors la Communauté économique européenne. Mais il liait sa proposition à un budget communautaire se montant à 10 % du produit intérieur brut (PIB) des pays membres. Cette idée était techniquement logique, mais futpolitiquementrejetée par la totalité des pays concernés. Elle l’est toujours aujourd’hui où le budget de l’Union européenne ne dépasse pas les 1,25 % du PIB. Or, sans budget fédéral, il était clair que l’Euro ne pourrait fonctionner. Pourtant, on a fait l’Euro et on l’a fait sans se donner les moyens de la faire fonctionner. Cela demande explication.

Depuis la fin des années 1980 s’est affirmé un projet politique : celui de mettre en place des institutions fédérales. Or, ces institutions avaient été, et sont toujours, refusées par les peuples européens chaque fois que l’on consent à leur demander leur avis. Il fallait donc ruser. Les dirigeants européens ont donc consciemment construits des institutions incomplètes, dont l’Euro est le meilleur exemple, en espérant que les crises naissant de cette incomplétude amèneraient les peuples à consentir dans l’urgence à ce à quoi ils s’étaient refusés de manière raisonnée. Mais, cette ruse a failli. Les crises se sont multipliées, les unes après les autres. Pourtant, aucune n’a engendrée ce dépassement fédéral que les pères de l’Euro appelaient de leurs vœux. Le gouvernement français est bien seul, aujourd’hui, à porter le projet fédéral. Même le gouvernement allemand, qui fut longtemps son meilleur allié, se détourne désormais d’une logique politique qui ferait peser sur les épaules de la seule Allemagne le fardeau de la mise en place de ce fédéralisme et se contente de défendre un statuquo qui l’avantage à l’évidence.

L'euro (€), la monnaie de l'union économique formée au sein de l'Union européenne
Nous sommes dans une impasse. Ne pouvant aller au-delà, et n’osant pas retourner en deçà, nous sommes condamnés à la crise. Et les crises se multiplient dans la zone Euro, que ce soit la crise de la Grèce, à laquelle aucune solution n’a été apportée, la crise des banques (et de l’économie) italienne, celle de l’Espagne et du Portugal, mais aussi la crise qui couve au sein de l’une des plus importantes banques d’Allemagne, la Deutsche Bank. Au-delà, l’Euro détruit lentement les vieilles nations au sein desquelles s’était construite et consolidé la démocratie. Avec le traité sur la coopération et la gouvernance, le TSCG que François Hollande fit ratifier en septembre 2012, c’est le budget qui est en passe d’être retiré aux élus de la Nation. Les politiciens organisent ainsi leur propre impuissance pour fuir leurs responsabilités et, quand ils l’ont fait, partent pantoufler à Bruxelles, comme on le vit pour Pierre Moscovici.

La théologie de l’Euro

De fait, le débat sur l’Euro est sorti du domaine de la raison et il est entré dans l’espace du religieux. Si vous vous opposez à l’Euro, on ne cherchera pas à débattre ou à argumenter, mais à vous déconsidérer, à vous excommunier. Les arguments renvoient alors à dogme : l’Euro protège. Mais, de quoi, et comment, cela n’est jamais dit, et pour cause. L’Euro favorise la croissance est un autre point du crédo, que démentent pourtant les faits les plus évidents. Attaquez l’Euro sur un point et, si l’on consent à vous répondre, ce sera sur tout autre chose. Nous sommes donc sortis du débat rationnel, et il y a une raison à cela: c’est que l’Euro n’est pas — et ne peut pas être — un objet économique. Il n’est même pas un objet politique. Il est devenu un fantasme, celui qui dévoile en réalité ce grand désir de nombreux responsables et dirigeants politiques de se fondre dans une masse indifférenciée pour échapper à leurs responsabilités, à courir en toute impunité vers l’enrichissement personnel. Mais il s’agit d’un fantasme inconscient. Car nul ne peut objectivement avouer de telles pulsions. Il faut les enjoliver sous une forme où elles auront les habits de la décence. Et cela explique bien la violence des réactions que provoque toute critique de l’Euro.

Mais, l’Euro ne s’est pas contenté d’être un fantasme. Il est une réalité tragique. Il faut comprendre son œuvre mortifère et comment il détruit et la France et l’Europe.

Source Sputnik







Poster un commentaire