Pour la saisie directe, on me dira : « C’est pour Chypre. C’est loin, Chypre, et puis ils sont tous corrompus, là-bas, tout gangrené de mafiosi russes ; et puis ils sont comme les Grecs, ils l’ont bien mérité, et patati c’est bien fait et patata tous des tricheurs ! » , exemple délicat de discours pas du tout xénophobe et emprunt de cette solidarité si spéciale dont se gargarisent ceux qui prétendent, justement, socialiser les pertes. Délicieux.
Pour le dépeçage du système social français, je me doute que ça ne se passera pas dans la même dentelle que pour Chypre, mais je n’ai aucune certitude. La résignation, la soumission face au collecteur d’impôts, à l’autorité (aussi néfaste soit-elle) des Français me surprend souvent.
Prenons les allocations familiales. Soyons clair : c’est la foire la plus compacte depuis qu’ont été murmurés des projets ministériels de lui assujettir d’amusantes ponctions, de nouveaux modes de calculs et autres modifications pour en diminuer globalement l’enveloppe qui commence à peser furieusement sur des comptes sociaux dans un état catastrophique.
Et par foire, j’entends bien « bordel généralisé d’ampleur biblique dans lequel une vache ne retrouverait pas ses chatons ». Il ne faut pas bien longtemps pour découvrir que, par exemple dans le sud de la France (Bouches-du-Rhône, en l’occurrence), on en est réduit à fermer boutique pendant deux semaines histoire de traiter les 100.000 dossiers en souffrance.
Et la situation, paroxystique à Marseille, est tout de même très dégradée partout ailleurs en France, au point que les articles se multiplient sur une Caisse d’Allocation Familiale au bord de la rupture. Pensez donc ! Pour qu’ils en soient au point d’écrire une lettre, le 6 mars dernier, adressée à la ministre déléguée à la Famille, l’illustre Dominique Bertinotti, c’est que toute les bornes des limites ont été franchies allègrement et foulées au pied par la poigne de fer qu’une situation économique catastrophique leur impose à tous (si vous me suivez).
Bien évidemment et comme d’habitude dans ce genre de cas où une administration croule sous le travail, le Revendicotron est allumé et fournit rapidement les demandes indispensables à la résolution du problème : il va falloir Plus De Moyens car Nous Manquons De Personnel.
Notons que si nous avions à faire avec France Télécom, GDF ou un problème logistique à la Poste, le gouvernement aurait probablement agi prudemment, touillant soixante fois sa langue dans sa bouche pour parler, prendre une décision. Ici, le rendez-vous avec la ministre déléguée va avoir lieu dès ce lundi, le problème devra être réglé et des moyens seront trouvés, soyez en sûr. Bien évidemment, la presse semble ne faire qu’un écho pondéré et circonstancié, calme pour ainsi dire, de ce qui se passe à la CAF actuellement, indiquant, par ci, par là, que la situation est un peu tendue, relatant les problèmes avec un détachement mesuré, en insistant (par exemple au travers d’un titre bien choisi) sur une situation globalement contrôlée …
Il n’est pas étonnant, dès lors, que la gravité de la situation échappe à l’œil inattentif du Français moyen, baigné qu’il est par les consternantes niaiseries dont on remplit sa télévision, par exemple en relatant abondamment les aventures de Cahuzac ou les déboires de touristes en périodes de sports d’hiver. La réalité est cependant extrêmement préoccupante et on ne peut que la deviner dans les quelques articles qui parlent des problèmes des Caisses.
Par exemple, on peut lire ceci :
«Pour l’instant, nous arrivons toujours à payer les droits le 5 du mois, grâce aux efforts des agents», assure le responsable. «En revanche, nous affichons des retards conséquents pour les nouveaux dossiers ou ceux qui nécessitent des modifications.»Ce qu’on peut comprendre assez facilement, c’est que la masse de travail et le manque de personnel provoque des tensions au niveau des paiements des prestations, au point que les dossiers s’entassent. Ce qu’on ne veut évidemment pas trop dire, c’est que le nombre de dossiers demandant des RSA, réclamant des droits, ou qui nécessitent des modifications (parce que le demandeur subit une période de chômage impromptue) enfle violemment. Ce que cela veut dire de façon limpide, c’est que la CAF est maintenant le thermomètre précis d’une situation sociale française explosive, où le nombre de chômeurs est très supérieur aux chiffres officiels aussi rigolos que bidonnés, où le nombre de ceux qui sont en fin de droit grimpe lui aussi dans des proportions inquiétantes, où le nombre des individus qui dépendent maintenant de façon vitale des prestations sociales fournies par la CAF atteint un niveau jamais vu auparavant.
Et bien évidemment, alors que les agents sentent monter l’agressivité des usagers de ces administrations tentaculaires et distributrices de tickets de rationnement camouflés en chèques sociaux, la presse se fait fort de ne quasiment pas s’étendre sur les modifications législatives récentes (au 1er février) élargissant le champ des rémunérations saisissables par l’administration fiscale ou les huissiers, dans lesquelles on retrouve justement les prestations familiales, jusqu’à 50% de leur total.
À l’évidence, le terrain se prépare doucement : le système est à bout.
D’un côté, le nombre de bénéficiaires augmente sans arrêt. De l’autre, le nombre de ceux qui abondent au tonneau des Danaïdes diminue. De surcroît, l’État et les administrations de Sécurité Sociale sont, pour être clair, exsangue alors que les marges de manœuvre en matière d’emprunts sur les marchés se sont réduites drastiquement (et avec la dernière petite cascade chypriote, on peut s’attendre à une tension encore plus grande à ce niveau).
Pas étonnant, dès lors, que des sondages sortent commodément en ce moment, découvrant (ô divine surprise) que les Français sont prêts à des concessions, à des sacrifices concernant les allocations familiales : alléluia, une petite baisse des prestations n’est plus un tabou !
…
Il est maintenant difficile de ne pas brosser l’état des lieux réaliste d’une situation à proprement parler catastrophique. Et le mot « catastrophique » n’est pas trop fort : il ne faut pas perdre de vue que, dans les populations qui bénéficient actuellement des prestations de la CAF, il en existe une frange qui n’a plus rien à perdre et qui, si le robinet se referme un peu trop, n’hésitera pas à user de violences parce qu’il ne lui restera que ce moyen pour subvenir à ses besoins.
Ne vous y trompez pas : lorsque ce gouvernement socialiste baissera effectivement les prestations sociales, cette distribution gratuite d’argent des autres à ces populations qu’ils ont eux-mêmes nourries pour qu’elles votent pour eux, vous aurez un signal clair qu’il est aux abois.
Ce jour là, les cabrioles bancaires de Chypre ressembleront à une blague.