Dans l’impressionnante flotte de l’État, difficile de passer à côté de France Télévisions. Évoquer ce paquebot de chaînes publiques plus ou moins grosses et plus ou moins fructueuses, c’est parler du vaisseau amiral de l’information à la Française, ce paradoxe vivant, alchimie subtile d’un journalisme indépendant qui suce à la substantifique vérité objective avec un service public qui suce, lui, assez goulûment, aux gros robinets chromés de distribution d’argent des autres, en provenance directe du Trésor Public dont le gouvernement a les rênes.
France Télévisions, c’est un peu l’exemple type de ce qu’on peut faire lorsqu’on a de très gros moyens financiers, des moyens intellectuels assez modestes et une moralité mesurable au microscope à balayage électronique. Question moyens, la redevance télévisuelle assure en effet qu’il ne manquera jamais d’argent aux trépidants producteurs télévisuels publics, le contribuable ayant cette capacité surprenante à toujours pouvoir trouver de l’argent pour payer pour des programmes de plus en plus indigents. Indigence qui prouve à elle seule que les moyens intellectuels, eux, ont toujours su conserver l’indispensable modestie qui sied à l’État et aux gouvernements successifs. Enfin, la moralité nanoscopique sera fort pratique pour appliquer sans souci l’éthique en toc et autre deux poids – deux mesures sans lequel ce service ne serait pas vraiment utile au pouvoir en place.
Pour diriger cet ensemble dispendieux à la tête duquel se sont succédé des cadors du management, l’actuel gouvernement a choisi une certaine Delphine Ernotte qui s’est illustrée, quasiment dès son arrivée l’été dernier, en réclamant que soient augmentées les recettes du groupe qui, pour rappel, ne sont globalement que de deux sortes : la publicité, dont Delphine s’est donc engagée à bombarder assidûment le téléspectateur, et la redevance, que Delphine entend bien étendre à tout ce que peut tripoter le contribuable, depuis sa montre connectée en passant par la tablette, l’ordinateur ou le four micro-onde si l’occasion se présente.
Pour compenser cette voracité, Delphine a tenté de faire passer l’addition en expliquant récemment viser le déficit 0 en 2016, lors d’une audition devant la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Notez qu’ici, on ne parle pas d’un déficit d’attention ou de crédibilité, mais bien seulement financier, n’allons pas trop vite en besogne, et rappelons qu’à l’impossible, nul n’est tenu, même pas Delphine du Service Public.
C’est, bien évidemment, particulièrement drôle puisqu’on s’en souvient, lors de son arrivée, la même Delphine s’étranglait dans un petit sanglot en s’écriant que, Oh Mon Dieu, ça va pas le faire, il va nous manquer 50 miyons. Dans une lettre adressée aux administrateurs de France Télévisions, la nouvelle présidente écrivait ainsi :
« (…) compte tenu des hypothèses budgétaires communiquées par notre actionnaire, (…) La confirmation de ces montants conduirait, comme je vous l’avais indiqué jeudi dernier, à un déficit prévisionnel pour 2016 de l’ordre de -50 millions, malgré la prise en compte d’hypothèses d’économies par rapport à 2015 »Alors oui, bien sûr, depuis, les députés ont voté une rallonge pour le groupe public. Ce n’est pas cher, c’est l’État qui paye. Depuis, il a été aussi convenu qu’on pourrait remettre de la publicité sur les chaînes publiques. Depuis, Delphine a convenu qu’en rabotant un peu par-ci, par-là, on devrait arriver à s’en sortir.
Mais admirons quand même la performance : en une poignée de mois, on passe d’un déficit prévisionnel de 50 millions d’euros à 0. Il n’y a pas à dire, l’argent des autres a quelque chose de magique. D’autant plus magique qu’on apprend en parallèle que question déficits, ceux des années passées ont été fort sous-estimés d’après Francis Guthleben, expert en analyse médias qui a collaboré pendant plus de dix ans avec France Télévisions. Pour lui, on serait plutôt dans les … 50 millions de déficits, dès 2015. Oh. Comme c’est surprenant.
En fait, tout se passe comme si, finalement, les finances (publiques) du groupe de chaînes (publiques) étaient à ce point élastiques qu’elles permettraient de créer, comme ça, pouf, sur un coup de tête, une nouvelle chaîne d’information dont on peut dire, si l’on exclut quelques épaves journalistiques en attente d’un poste au chaud, que tout le monde se fiche complètement.
Et l’élasticité ne s’arrête pas là puisqu’en plus de cette foutraque chaîne dont on n’a que faire (et dont la non-création permettrait une économie instantanée de plusieurs millions qui semblaient manquer à Delphine à son arrivée, justement), la patronne de France Téloches semble chaud-boulette partie pour créer aussi « une plate-forme numérique dédiée aux œuvres françaises », c’est-à-dire et avec toute l’immodestie qui sied aux gens qui claquent avec emphase l’argent qu’ils n’ont pas eu à gagner, « une sorte de Google de la création française ».
Ah, qu’elles sont délicieuses, ces élites françaises qui lancent régulièrement des concurrents à la française de services étrangers efficaces et largement rentabilisés, avec cette générosité si caractéristique des jean-foutres de la fonction publique pour non pas répondre à un besoin du marché mais simplement montrer qu’elles existent !
Pour justifier cette nouvelle lubie ridicule, Delphine a bien compris qu’il suffit de jeter la carte « exception culturelle » : pour elle, la mise en place de cette nouvelle usine à gaz coûteuse est nécessaire car, voyez-vous mes petits contribuables, « on ne peut pas laisser les acteurs américains contrôler ce marché sous peine de mettre à mal l’exception culturelle ». C’est parfaitement con puisqu’actuellement, chaque production culturelle numérique peut largement être hébergée par des acteurs, autant français qu’américains du reste, et ce, sans le moindre kopek d’argent public. Ernotte ne propose donc ici qu’une redondance dispendieuse, inutile et sous un prétexte parfaitement fumeux.
Encore une fois, le groupe public encaisse des déficits énormes, une perte d’audience constante, une désaffection des annonceurs publicitaires et vit complètement au crochet de contribuables qui commencent à trouver l’addition particulièrement salée, mais c’est le moment où jamais de lancer, coup sur coup, un machin informationnel dont on n’a absolument pas besoin et un bidule culturello-technoïde qui existe déjà.
Le plus agaçant de tout ceci reste bien sûr le soutien sans faille du ministère de tutelle, celui de la Culture, toujours dirigée avec la même finesse par Fleur Pellerin qui ne peut pas s’empêcher d’être « très favorable » à ces nouveaux gouffres financiers en puissance.
Bien évidemment, la réalité, c’est qu’on est encore une fois en train d’utiliser l’argent du contribuable pour lui forcer une purée bien standardisée dans le gosier, qui n’est même plus aux limites de la propagande mais s’y vautre tout entière sans le moindre scrupule : par exemple, pendant qu’Ernotte nous chantonne les mélopées langoureuses de l’exception culturelle, elle n’hésite absolument pas à laisser débarquer un présentateur météo qui a eu l’heur de critiquer le GIEC, auquel aux dernières nouvelles, France Télévision n’a pourtant jamais prêté allégeance.
France Télévision a toujours beaucoup peiné à concrétiser une image d’indépendance et de probité vis-à-vis du pouvoir. Mais avec une telle propagande éhontée, une telle désinvolture dans la dépense, et une si cynique chasse au sorcières, la nouvelle mouture ne laisse plus rien à espérer. En deux mois, Delphine, vous avez déjà fait un travail impressionnant. Bravo.