Il faut dire que la question est épineuse. Le budget, à la base, est un sujet un peu délicat puisqu’il s’établit alors que la France continue d’empiler les dettes, et que tout indique que croissance et reprise économique ne seront pas au rendez-vous. À cette donnée déjà peu réjouissante s’ajoute donc la douloureuse question de la DGF. Cette dotation existe depuis 37 ans et, comme tout bricolage budgétaire pour prendre le slip de Pierre afin de s’en servir comme un pull pour Paul, elle n’a cessé de se complexifier au point de générer des migraines instantanées aux meilleurs spécialistes des finances locales… et des élus locaux qui sont confrontés, eux aussi, aux modifications de dotations que tout nouveau tripotage entraîne inévitablement.
Et cette année, de surcroît, l’État n’entend pas continuer à distribuer la manne publique avec la vigueur qui prévalait jusqu’à présent. Entendons-nous bien cependant : il ne s’agit pas ici de la disparition de cette dotation ou d’un coup de rabot violent qui la verrait diminuer de 20, 30 ou 40%. Non. On parle de l’État français, hein, et de socialistes au pouvoir. Soyons réalistes et rappelons que le simple fait de stagner d’une année à l’autre est déjà considéré comme une diminution des dépenses. Il s’agit donc, concrètement, d’une baisse, très modeste, de cette dotation pour un montant de moins de 4 milliards (de 36,6 milliards d’euros en 2015 à 32,93 milliards en 2016).
Une baisse, effective, qui ne soit pas le fait d’un artifice de calcul lamentable comme détaillé ici (accrochez-vous bien), cela signifie immédiatement, pour nos élus et autres baltringues de la dépense collective régionale, une terrible austérité, un rétrécissement dans la distribution de prébendes, et, par voie de conséquence, est immédiatement ressenti par eux comme un affront à leur avenir.
Bien évidemment, le langage avec lequel les élites de la
«La réforme part d’un bon sentiment mais on ne peut pas la faire en même temps que la baisse des dotations, résume un parlementaire PS : ceux qui gagnent trouvent que ce n’est pas assez et ceux qui perdent hurlent encore plus.»
Bon sentiment, mais bien sûr.
Cependant, une fois le décrypteur de xyloglotte mis en fonctionnement, on comprend sans mal que ceux qui gagnent au petit jeu des bidouilles budgétaires veulent malgré tout plus d’argent gratuit — eh oui, il faudrait que ça augmente plus, histoire de ne pas sombrer dans une austérité qui mettrait la ville, la région ou le pays en panne, voyons — et quant à ceux qui perdent, leur sevrage impliqué par cette réduction provoque immédiatement des hurlements et des crises de manque par anticipation.
À ce sujet, l’article de Libération cité plus haut est particulièrement croquignolet : on y apprend notamment que trois cabinets entiers se sont attelés à la pénible tâche de revoir le modèle d’attribution de ces dotations qui répond, on l’a vu, à des critères qu’en définitive, plus personne ne maîtrise vraiment. C’est ainsi que les cabinets de Lebranchu (à la Décentralisation), de Vallini (à la Réforme territoriale) et de Eckert (au Budget) tripotent vigoureusement leurs petits tableurs Excel dans tous les sens… et s’engluent dans la dure réalité :
«Le truc est tellement technique que quand tu bouges une virgule sur un des critères, tout bascule, c’est très bizarre : une ville comme Issy-les-Moulineaux y gagne alors que Fécamp y perd. »Aargh ! Que c’est dur la vraie vie ! Qu’il est enquiquinant d’être, une fois enfin, confronté à l’énorme bouffissure de merdes bureaucratiques improbables, de règles ridicules et de critères débilissimes lancés jadis par la fine fleur de la pourriture politique qui gangrène notre pays avec ses lubies et ses insupportables petits arrangements permanents en coulisse ! Qu’il doit être pénible pour nos cabinétards d’avoir à tenir compte de contraintes invraisemblables comme celles que la plèbe, confrontée aux insupportables Cerfas illisibles d’une bureaucratie démente, doit remplir régulièrement pour tenter de survivre sous le joug de l’occupant étatique !
Et puis, quelque part, un système ultra-complexe mis en place par des socialistes qui provoque des migraines à des socialistes parce qu’il va entraîner des ajustements incompréhensibles sur d’autres socialistes, cela nous a un petit côté savoureux qu’il serait dommage de bouder.
De surcroît, cette nouvelle grogne qui monte dans le rang des députés, c’est encore une nouvelle épreuve pour le petit locataire de l’Élysée, qui sent bien que tout ceci ne joue guère en sa faveur. D’autant qu’il en entend parler en direct, lorsque, faisant fi de son « Moi président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité, je ne recevrai pas les parlementaires de la majorité à l’Élysée », il entend les couinements des malheureux perdants de ce Bingo des Dotations lorsqu’il reçoit les parlementaires à ses traditionnels apéros.
Résultat des courses : la réforme pourtant indispensable de cette DGF semble fort mal enquillée. C’est une véritable bataille de procrastination qui s’est engagée chez les différents acteurs, sachant qu’officiellement, François le Réformateur ne peut surtout pas laisser tomber l’affaire. Dans les coulisses, entre deux pets musqués de fesses trop serrées par une violente tension politique, on se résout à évoquer « le scénario d’une réforme en deux temps, en se laissant une année pour réviser et affiner les critères d’attribution ».
C’est grotesque.
Alors que c’est maintenant évident, l’argent vient à manquer, et qu’il est tout aussi évident qu’on doit bien faire des arbitrages, et donc des malheureux, en bons socialistes et comme, du reste, la quasi-intégralité de la population française, tout le monde comprend qu’il y a des sacrifices à faire, mais tout le monde est parfaitement d’accord pour sacrifier le voisin, l’autre, et de préférence celui qui est loin de chez lui et ne pense pas bien droit comme il faut. En clair, absolument personne ne veut lâcher le morceau. Même les microscopiques économies, outrageusement grossies à coups d’artifices comptables et d’approximations caricaturales, ne trouvent grâce auprès de personne.
Cette réforme qui part en quenouille est d’autre part une magnifique illustration qu’avec l’augmentation de la taille et du poids de l’État, la République devient une guerre permanente de tout le monde contre tout le monde. Nos belles âmes socialistes ne démontrent en fait de fraternité et de solidarité qu’une grosse dose de jalousie, de rancœurs, de convoitises et un bel égoïsme.
Ce pays est foutu.