Si la situation française n’était pas aussi mauvaise, on pourrait d’ailleurs pouffer sur le nom donné à cette nouvelle pantalonnade sociétale d’une gauche décidée à transformer la société à coups d’innovations hardies dans le fondement républicain : il faut avouer que lancer une « conférence de consensus », c’est un peu comme faire un débat de gens tous d’accords, c’est un concept particulièrement peu abrasif. Mais après tout, il faut bien ça dans une société qui se veut plus douce à porter, plus facile à laver, plus simple à essorer. Et pour essorer, les socialistes savent y faire. Comme Christiane n’aime pas les empoignades qui ne cadrent pas avec la France apaisée de son patron, on jouera sur du velours pardon du consensus.
Le débat pardon consensus est donc lancé, ce qui occasionne inévitablement une déferlante d’articles journalistiques tous plus humides les uns que les autres sur la question des prisons. Bien sûr, les habituels phares du socialisme à l’eau de rose ont été allumés et indiquent la direction à prendre : les rédactions du NouvelObs et de Libération frémissent déjà des dizaines d’articles et de billets d’opinion, de pensées philosophiques profondes et de commentaires longuement soupesés par des internautes affûtés comme du beurre chaud. Il n’aura pas fallu longtemps pour les sortir des archives ou des claviers enfiévrés des journalistes engagés.
On découvre ainsi, une larmichette micro-dosée coincée au creux de l’œil gauche, que certains pensionnaires de prison ont peur d’en sortir ; et à lire les descriptions rapportées par le journaliste, on les comprend. Medhi, 11 années de prison (ce n’est donc pas tout à fait un petit voleur), déclare ainsi :
on a perdu la notion de ce qu’est la vie en société. On ne sait plus lire un plan. On doit réapprendre la conduite. Pour choisir un portable, on est perdu tellement il y a de choix. Certains font un schéma de leur cellule pour la reproduire dans leur logement.Terrible condition du prisonnier qu’on libère et qui est tout perdu sans ses quatre murs, avec ce délicat parfum de Shawshank Redemption que le pisse-copie n’hésite pas à nous glisser en fumet d’arrière-plan. Sauf que les prisons françaises ne sont pas tout à fait comme les prisons américaines du milieu du 20ème siècle, et que Medhi et ses 11 ans de taule aura bien du mal à passer pour un Tim Robbins ou un Morgan Freeman. Et puis surtout, ces fameuses prisons, il semble bien qu’elles ne servent pas des masses à en croire Nicole Maestracci qui répond ainsi aux questions attendrissantes de Libération :
« Aucune des études scientifiques disponibles n’établit de lien entre la sévérité de la peine et le risque de rechute. C’est plutôt le contenu de la sanction qui a un impact, c’est-à-dire la manière dont la personne est encadrée et accompagnée pour exécuter sa peine. »Et il est vrai que si l’on est condamné à des peines (sévères ou non) mais qu’on ne les effectue finalement pas, comme dans plus de 80.000 cas en France tous les ans, on a effectivement plus de chance de récidiver : un voleur, un violeur, un tueur libre vole, viole et tue plus qu’un voleur, un violeur ou un tueur enfermé, indépendamment de toute autre considération humanistico-philosophique ; certes, dans le gros nombre précédent, une grosse moitié concerne des infractions routières, mais ça en laisse tout de même un paquet qui ne sont pas toutes anodines, loin s’en faut. D’autre part, si les études semblent en effet trouver une vague corrélation entre récidive et peines courtes, l’analyse un peu poussée tendrait à prouver qu’il vaudrait alors mieux … augmenter les longueurs des peines. Là encore, ce n’est ni bisou-compatible, ni ce que préconisent les participants de la Conférence du Consensus Triomphant.
En effet, au-delà d’un système de « probation » dont on renifle déjà qu’il sera fort éloigné des modèles canadiens ou scandinaves de référence tant le système judiciaire français se délite à vue d’œil, les propositions se cantonnent surtout à égrainer des idées déjà entendues et toutes basées sur l’antienne répétée de façon automatique du « Faut Plus De Moyens » : plus de moyens pour insérer les braves délinquants, plus de moyens pour trouver un emploi aux ex-détenus, plus de moyens pour suivre, encadrer,accompagner, aider et soigner ceux qui sont passés par la case prison.
Du côté de la rédaction du Monde, c’est une véritable volée de papiers qui nous sont proposés en rafale serrée. Outre un article qui est une variante sur celui de Libération (avec le même Medhi), on nous offre trois autres productions artisanales goûtues sur le thème « Supprimons la prison » : en substance, la prison n’est vraiment pas adaptée de nos jours, c’est franchement passéiste comme institution, et comme la récidive ne veut pas disparaître malgré les vagues de compréhension et toute la calinothérapie déployée, qu’il y a de toute façon bien trop de détenus (qu’ils fassent ou non leur peine, d’ailleurs), eh bien trouvons un moyen simple pour ne pas mettre les gens en prison !
Eh oui : il faut bien préparer les esprits au fait que non, décidément non, toute réflexion de fond sur la délinquance, sur la pertinence de certaines lois, sur le système judiciaire en général et sur l’application des peines en particuliers, tout ceci sera évacué au profit d’un débat dont les tenants et les aboutissants sont pour ainsi dire déjà déterminés (dans un grand Consensus, on vous le dit). Et cette préparation ne date pas d’hier. Taubira ne fait ici que continuer l’œuvre déjà entamée et vivement poursuite par d’autres avant elle.
Il suffit de se reporter à ce billet de 2010 pour voir que, par exemple, l’idée d’adapter le nombre de cellules au nombre de prisonniers a toujours été soigneusement repoussée. Et c’est logique : dans la belle pensée humaniste socialiste, ouvrir des prisons, c’est un peu fermer des écoles. Mieux vaut dès lors entasser les délinquants, ou ne pas les tenir à l’écart de la société en croisant les doigts pour que leurs récidives ne se voient pas.
Il suffit de relire ce billet de 2011 pour se rendre compte que la situation policière n’a finalement pas bougé d’un cachou : comme les prisons sont bondées, que les courtes peines ne sont pas appliquées pour de bon, on prendra tout le temps et même bien plus qu’il faut pour agir.
Il suffit de lire ou relire France Orange Mécanique pour comprendre que la tendance générale de minimisation des faits, des punitions, et du passage par pertes et profits des victimes et de leurs revendications reste obstinément la même depuis plusieurs décennies, avec le résultat général que certains, « au contact », constatent tous les jours.
Pourtant, tout se tient.
Ainsi, plusieurs études montrent que ce n’est pas la sévérité des peines qui joue ou non sur le comportement des individus (et tend à réduire la récidive) mais bien l’aspect systématique : lorsqu’augmente la probabilité de se faire prendre, et celle d’être puni, l’espérance de gain du forfait diminue et ça, tout individu le perçoit fort bien. L’enfant apprend très vite que le feu brûle (à chaque fois, eh oui), que la gravité n’est pas qu’une plaisanterie (c’est une loi) et qu’avoir une attitude ou des propos inappropriés peut entraîner quelques réajustements rapides de comportements (ou en tout cas, c’est ainsi que cela devrait être). Le fait de ne pas faire faire leur peine de prison à une part croissance de personnes mine donc gravement l’aspect systématique de la loi.
Ainsi, multiplier le nombre de lois et d’interdits pour satisfaire toutes les micro-revendications d’individus ou d’associations citoyennes provoque à la fois une multiplication des délinquants, un engorgement des tribunaux, et par voie de conséquence, des prisons. Pourtant, tout montre que lutter contre les crimes sans victimes est pire que contre-productif, ou que pourchasser toujours plus les automobilistes en transforme mécaniquement des milliers en délinquants alors que la sécurité passive des véhicules est toujours meilleure ; à ce sujet, l’introduction du permis à point aurait probablement fait plus pour accroître la quantité de peines de prison distribuées que toute autre mesure récente.
Bilan : plus les prisons s’engorgent, moins ceux qui devraient vraiment y être s’y retrouvent bouclés, et plus leurs exactions pèsent sur la société. Pétrifiée par auto-censure, engluée dans la moraline et encroûtée dans le collectivisme, elle ne trouve alors refuge que dans le déni, la minimisation systématique ou, pire que tout, les débats oiseux et superficiels sur la quantité de psychologues et de médecins qu’il faut pour encadrer les détenus…