L’exercice, s’il reste conventionnel – on imagine mal le diplomate russe balancer des tacles à droite ou à gauche – n’en reste pas moins intéressant dans les sous-entendus qu’il laisse passer à l’occasion de quelques unes des questions posées.
Dès les premières minutes, Studennikov fait un recadrage de la géopolitique actuelle et surtout au Moyen-Orient en insistant notamment sur le conflit yéménite que les médias semblent oublier un peu trop facilement. L’analyse, celle qui est d’ailleurs officiellement tenue par le Kremlin, est que l’Arabie Saoudite mène une guerre contre l’Iran par proxy, en se servant des conflits au Yemen et, probablement, en Syrie, pour mener ses objectifs stratégiques personnels.
Studennikov en profite pour rappeler la position officielle de la Russie concernant le conflit syrien, qui retrouve dans ce pays la mosaïque de cultures et d’ethnies qu’elle supporte actuellement en Tchétchénie. La fédération réaffirme sa volonté de ne pas laisser tomber Bachar El Assad pour éviter l’effondrement de la Syrie, dont les répercussions seraient comparables à ce qui s’est passé pour la Libye dont on peine encore à voir le bénéfice. Le diplomate russe en profite pour rappeler que, selon leurs analyses, l’opposition syrienne modérée, celle qui serait à même de former un gouvernement de transition ou de remplacement de l’actuel dictateur et compatible avec les vues occidentales, Russie comprise, est bien trop faible face à l’opposition radicale, essentiellement menée par l’État Islamique, qui mènerait le pays bien loin des standards démocratiques (pour le dire diplomatiquement).
Dans cette présentation, Studennikov nous refait le coup des dominos que d’autres, de l’autre côté de l’Atlantique, nous firent jadis concernant les pays communistes : la chute de la Syrie, c’est la fin des haricots et le début d’une mise à feu et à sang de toute la région moyen-orientale. En tout cas, difficile de donner complètement tort au diplomate lorsqu’on constate qu’en effet, la situation locale empire à mesure qu’augmentent les interventions de tous les forces dans ces territoires « sensibles » : pour ainsi dire, toute la région est en ébullition et sert plus ou moins d’exutoire à plusieurs armées.
Notons que vers 10:48, Studennikov explique calmement une partie de la situation courante par le sponsoring débridé des factions les plus rabiques de l’opposition par certains pays du Golfe, sans en donner le nom. Coïncidence de l’actualité, les récentes révélations de Wikileaks permettent de lever toute ambiguïté sur les non-dits du n°2 de l’ambassade de Russie : dans cet e-mail entre Podesta, alors conseiller de Barack Obama, et Hillary Clinton, on découvre que cette dernière entend mettre un peu la pression sur le Qatar et l’Arabie Saoudite qui ont la fâcheuse tendance à financer l’État islamique :
Parallèlement à nos opérations militaires et paramilitaires, nous devons utiliser notre diplomatie et profiter des atouts de nos services de renseignement pour mettre sous pression les gouvernements du Qatar et de l’Arabie saoudite, qui fournissent un soutien financier et logistique à Daech et à d’autres groupes radicaux dans la région
(Apparté : on ne pourra pas s’empêcher de noter l’absence presque totale de scandale qu’une telle révélation aura provoqué. La presse, massivement pro-Clinton, aura tôt fait d’étouffer cette fuite pourtant symptomatique de la connivence directe entre certaines monarchies du Golfe et l’État islamique que l’Occident prétend combattre. De la même façon, la presse oubliera de préciser que ces e-mails, remontant à 2014, montrent sans le moindre doute que la candidate à la présidentielle américaine devrait depuis bien longtemps avoir fait le ménage dans ses relations avec ces deux pays tant leurs connivences sont intimes avec des ennemis directs de l’Amérique.)Pour en revenir à notre diplomate russe, il en profite vers 13:30 pour dissiper les actuelles rumeurs de volontés conflictuelles entre Russes et Américains et rappelle que si des incidents sont toujours possibles, surtout lorsque des opérations armées se déroulent sur des espaces restreints (en Syrie notamment), le dialogue reste toujours ouvert. On ne peut que le souhaiter, tant les déclarations des généraux, tant d’un côté que de l’autre de l’Atlantique, laissent en réalité comprendre que les deux armées sont plutôt à couteaux tirés.
Studennikov ne s’étend pas sur les récentes manœuvres militaires russes qu’il fait semblant d’ignorer, même si on peut trouver un peu partout dans la presse internationale le compte-rendu des récentes installations de missiles russes dans l’enclave de Kaliningrad. Tout juste évoque-t-il, vers 36:00, l’historique russe et la perte d’influence du grand pays suite à la chute de l’Union Soviétique au début des années 90, ainsi que les tentatives d’extension de l’OTAN aux frontières même de la Russie (pays Balte) ainsi que dans des pays traditionnellement proches (Georgie, Ukraine) qui ont été rapidement vues comme allant un peu trop agressivement contre les intérêts russes.
On comprendra ici que notre interviewé reste, bien évidemment, un diplomate tenu à ses obligations professionnelles, ce qui explique qu’à chaque question sur un sujet brûlant d’actualité, il se contente de répondre poliment dans les limites posées par la ligne politique officielle du Kremlin. On n’apprendra donc pas forcément grand chose de ce côté. Notons tout de même, vers 30:00, le retour du sujet du Yémen où Studennikov reproche à demi-mots le traitement très singulier qu’en offre la presse : malgré les bombardements réguliers de l’aviation saoudienne de civils, d’hôpitaux ou de cérémonies qui font systématiquement des massacres, force est de constater que les bavures militaires sont bien plus souvent exposées lorsqu’il s’agit de la Syrie.
A mi-chemin entre propagande polie et distillation des problématiques réelles de son pays, le diplomate russe nous permet avec cet entretien de poser ici un jalon sur les relations franco-russes et russo-américaines qui pourra peut-être éclairer, dans quelques semaines ou quelques mois, les prochains développements géopolitiques que nous observerons certainement à l’occasion de l’élection américaine ou française.