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Je suis naturellement grand, beau, j’ai le teint buriné par le soleil et le sourire enjôleur et des mocassins à gland, un très gros zizi et une absence totale de lucidité sur mes qualités et mes défauts !

J'ai un blog sur lequel j'aime enquiquiner le monde : Petites chroniques désabusées d'un pays en lente décomposition...

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Loi Renseignement : Axelle Lemaire et l’impossible service-après vente

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Si l’habitude actuelle est aux entretiens courts, torchés en trois minutes, qui survolent mal un sujet complexe et ne laissent aux intervenants que la possibilité de bafouiller trois banalités, cela n’empêche pas certaines matières d’avoir besoin de temps et de rentrer dans le détail, comme par exemple la Loi Renseignement actuellement en cours d’étude au Sénat. Et ça tombe bien puisqu’un roboratif entretien d’une heure, réalisé par l’équipe de Thinkerview, a été proposé à plusieurs intervenants notoires de l’Internet, à commencer par l’actuelle secrétaire d’État en charge des questions numériques, Axelle Lemaire.

Autour d’elle, Gilles Babinet, entrepreneur expert en « Big Data », Éric Sherer, le directeur de la prospective & stratégie numérique à France Télévision, Éric Léandri, le PDG du moteur de recherche Qwant, et Benjamin Bayart, porte-parole du French Data Network et militant pour les libertés fondamentales dans la société de l’information. Au cours de plus de soixante minutes, le décalage assez notoire entre ces différents acteurs, baignés par la technologie, et la secrétaire d’État, pas tout à fait au top en matière de culture numérique, s’avèrera assez flagrant.

L’interview, disponible en intégralité ci-dessous, peut être grossièrement découpée en trois phases. La première partie, s’étalant sur un gros quart d’heure, aborde le bébé d’Axelle Lemaire, son actuel projet de Loi Numérique, et l’anonymisation des données. La dernière partie, une autre quinzaine de minutes en fin d’interview, évoque différentes questions dont la neutralité du net.

L’avantage de l’introduction sur la Loi Numérique de Lemaire (qui va bien sûr plus loin que la directive européenne (parce qu’ensuite, si on est allé trop loin, on pourra toujours blâmer Bruxelles) est qu’elle constitue un bon échauffement pour le reste de l’interview, notoirement plus musclé.

On peut tout de même goûter (vers 2:20) à l’intéressante passe d’armes sur le fichier électoral qui permet, pour un modeste investissement de 2€, de disposer de la liste de citoyens inscrits, et surtout de leur adresse courante, de leur date et lieu de naissance. Comme le fait justement remarquer Benjamin Bayart vers 4:20, un hacker, même moyen, comprend immédiatement l’intérêt de ce genre d’informations puisqu’à partir de celles-ci, il peut assez simplement usurper une identité, auprès d’un banquier par exemple.

Eh oui, l’anonymisation des données nécessite d’être faite correctement, en faisantréellement disparaître des informations permettant d’identifier une personne (soit directement, soit par corrélation entre les données elles-mêmes), ce qui laisse trop souvent à désirer. Peut-être sont-ce les réactions un peu confuses et parsemées de banalités convenues d’Axelle Lemaire à ces remarques qui pousseront Gilles Babinet à sortir, discrètement (vers 20:09), que

« on a besoin d’avoir une véritable éducation au numérique de la part du monde politique »

… ce qui est le moins qu’on puisse dire et qui est amplement démontré par la suite, puisqu’au milieu d’un décorum épuré dans lequel n’apparaît qu’un peu d’eau plate (tout le monde est donc sobre et l’excuse de l’alcool ne pourra servir pour sauver la réputation d’une certaine catégorie de politiciens), nos cinq intervenants débattront âprement de l’épineuse Loi Renseignement, posée dès le départ mais éludée avec empressement par la sous-ministre, qui n’y échappera donc pas.

Notre secrétaire ne se démontera pas pour autant. Elle a une botte simple qu’elle joue d’emblée : cette loi n’est pas finalisée, son parcours législatif n’est pas fini et tout peut encore arriver. Du reste, c’est fort juste : la plupart des lois pondues dernièrement sont régulièrement chahutées par le Sénat, bousculées lors de l’écriture des décrets et tabassées par une mise en application catastrophique. En gros, en ce qui concerne la Loi Renseignement, nous en sommes actuellement ici :

parcours institutionnel en République du Bisounoursland
Une fois utilisé le bon vieux truc du « Loi Renseignement En Cours d’Installation, veuillez patienter », Axelle Lemaire reprend l’argument officiel du vide juridique, au moins aussi fameux que le vide quantique et encore plus mousseux que ce dernier : certes, les officines républicaines de renseignement espionnaient les Français comme des gorets, mais ils étaient dans ce vide juridique commode. Avec la Loi Renseignement et ses enzymes activées, finis les tâcherons du renseignement hors cadre légal, et à nous les bonnes informations collectées avec légalité ! Mieux, grâce à cette pirouette sémantique qui revient à passer un coup de ripolin juridique sur des pratiques scandaleuses à la base, on peut en conclure hardiment que la Loi Renseignement va nous garantir nos libertés, youkaïdi, youkaïda, pas de quoi s’inquiéter.

axelle nous protègeMalheureusement pour Triple Axelle, le petit coup de trampoline rhétorique n’a pas fonctionné et la réaction des autres intervenants ne se fait pas attendre(22:25). Et ce sera le chevalier Bayart qui remettra l’église au milieu du village en rappelant que les manips en question étaient bel et bien illégales, et que si, actuellement dans le monde, il y a une telle course des principaux pays pour mettre en place de la surveillance de masse, c’est parce que les Américains sont empêtrés dans un Patriot Act qui vit ses dernières heures et qui, une fois mort, interdira à la NSA de fournir en renseignements tous ces pays paniqués.

Heureusement (vers 31:26), selon la secrétaire Lemaire, et dans un discours haché qui masque mal une maîtrise hésitante du sujet, le texte va encore évoluer. Reste à savoir si ce sera comme un organisme bien formé ou comme un mutant zombie venu de l’espace. Mais en tout cas, il va y avoir tout plein de commissions bardées d’experts solidement burnés qui vont ajouter tout plein de contrôles.

Bon, apparemment, ça ne convainc que très moyennement les intervenants sur place, à commencer par Benjamin Bayart qui rappelle à la sous-ministre qu’un titre de chapitre dans une loi ne constitue en rien une garantie quelconque que le texte sera correctement interprété, et notamment pas en faveur du citoyen tant les éléments actuels sont larges. Plus exactement, il n’y a pas à tortiller,

« les boîtes noires sont un dispositif intrusif et relèvent de la surveillance de masse. […] L’article L34-1 CPCE est peu clair, on n’arrive pas bien à savoir quels hébergeurs de quelles plateformes sont concernés [par la Loi Renseignement]. »

Dans la foulée, Bayart en profite pour expliquer qu’au-delà d’un effectif souci de contrôle de l’espionnite aiguë qui s’empare doucement des services de renseignement de l’État, le texte ne prévoit aucune sanction en cas de dérapage.

Ceci cloue sur place la pauvre Axelle, et laisse libre Bayart de continuer avec cette remarque, fort juste (34:51) :

« Le ministre qui a fait éplucher les factures téléphoniques détaillées du journaliste du Monde pour trouver sa source n’est pas en prison, et ça, c’est scandaleux. Il n’y a pas de sanctions dans ce foutu texte.« 

Axelle Lemaire tente alors de faire valoir le fameux contrôle juridictionnel dans une petite salve de mots en vrac, sur le mode « Oui mais les autorités juridiques peuvent imposer aux espions d’arrêter leurs débordements » … Qui fait bondir Bayart :

(35:08) »Mon dealer, il en rêve, de ça, que lorsqu’il passe devant le juge, le juge lui dise ‘Tu arrêtes !’ … Pour moi, un fonctionnaire ou un ministre qui abuse de ses pouvoirs doit être sanctionné. Or, le texte ne prévoit pas de sanction.« 

Le coup est fatal, mais en bonne politicienne, Axelle Lemaire tente malgré tout d’enfumer son audience en appelant à la rescousse les éventuelles sanctions déjà existantes (et donc, par définition, hors du champ d’application de cette loi qui n’en contient pas), et en invoquant l’illusoire sanction politique (oui, politique) dont on voit mal, avec la kyrielle de contre-exemples fumants (Cahuzac, Thévenoud, anyone ?), comment elle peut valoir le moindre kopeck.

Évidemment, les saltos arrière de la petite Axelle ne satisferont personne, mais là encore, résignez-vous : cette loi sans sanction ne sera pas réécrite.

resistance is futileEt cette impression que toute résistance est futile devant le collectif gouvernemental ne s’évanouit pas avec la question d’Éric Sherer. Il cherche à savoir qui pourra évaluer les fameuses boîtes noires et l’algorithme de collecte des données qui seront mis en place, mais il ne reçoit finalement aucune réponse si ce n’est un gros nuage d’encre noire sur ce qu’il faudrait mettre en place au niveau de la CNIL pour lui fournir un pouvoir de sanction. La seiche Axelle repart bien vite en agitant les bras, accuse les uns et les autres de confusion (pour des experts dans leurs domaines, c’est risible), et assure vers 40:59 que l’algorithme saura subtilement discriminer, avec un aplomb si phénoménal que Babinet ne peut s’étonner que la secrétaire d’État connaisse déjà cet algorithme, pourtant absent de la loi.

À la suite d’un tel échange, qui ne laisse aucun doute sur la direction empruntée par le gouvernement, on se réjouit malgré tout vers 44:00 de voir Éric Léandri demander des comptes, économiques cette fois, en rappelant que le Patriot Act américain a coûté aux États-Unis plus de 40 milliards de dollars, et que la France n’est guère en position de seulement supporter une perte d’un centième. Malheureusement, une fois encore, Axelle tire à nouveau la carte du « Loi Renseignement En Cours d’Installation, veuillez patienter », qui permettra d’oublier bien vite cet épineux sujet économique. C’est pas grave, c’est l’État qui paye ?

C’est à la suite de l’intervention de Jérémie Zimmerman, en guest star vers 48:00, qu’on la verra finalement sortir de ses gonds. À la question de savoir si le chiffrement devra être lui-même limité pour les citoyens, comme l’envisage très sérieusement Cameron en Angleterre, Lemaire admet sans sourciller que la question s’est effectivement posée en réunion ministérielle. Lorsque Bayart demande confirmation, la secrétaire s’énerve :

« Soit vous êtes naïf, soit vous êtes hypocrite.[…] Oui, la question s’est posée, mais non, on ne revient pas sur la possibilité de chiffrement. »

C’est toujours ça de gagné. La question qui reste, cependant, c’est : pour combien de temps encore ?
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