Jacques SAPIR
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Diplômé de l'IEPP en 1976, a soutenu un Doctorat de 3ème cycle sur l'organisation du travail en URSS entre 1920 et 1940 (EHESS, 1980) puis un Doctorat d'État en économie, consacré aux cycles d'investissements dans l'économie soviétique (Paris-X, 1986).
A enseigné la macroéconomie et l’économie financière à l'Université de Paris-X Nanterre de 1982 à 1990, et à l'ENSAE (1989-1996) avant d’entrer à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales en 1990. Il y est Directeur d’Études depuis 1996 et dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il a aussi enseigné en Russie au Haut Collège d'Économie (1993-2000) et à l’Ecole d’Économie de Moscou depuis 2005.
Il dirige le groupe de recherche IRSES à la FMSH, et co-organise avec l'Institut de Prévision de l'Economie Nationale (IPEN-ASR) le séminaire Franco-Russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie.
Les projets économiques du Président Trump
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La question des réductions fiscales
Il s’est engagé tant sur des réductions d’impôts que sur un programme de relance budgétaire. De ce point de vue, son programme économique apparaît peu différent de celui de Ronald Reagan quand il fut élu en 1980. Mais, la situation économique des Etats-Unis n’est plus celle des années 1980. Une extrapolation du « reaganisme » n’est donc pas possible. La structure fiscale des Etats-Unis est aujourd’hui extraordinairement inégalitaire. Les plus riches, ceux que l’on appelle les « 1% » de la population, concentrent aujourd’hui encore une grande partie des la richesse, qu’elle soit produite ou accumulée, et concentrent aussi une part décisive des exemptions fiscales. L’enjeu du programme de Donald Trump est donc clair. Si Donald Trump se décidait en faveur d’exemptions favorisant la classe moyenne, ce serait, pour le coup, une véritable révolution. Les différents projets sur lesquels il a communiqué, et en particulier la taxe sur le chiffre d’affaires produits aux Etats-Unis, dans un pays qui ne connaît pas la TVA, pourraient changer significativement la situation fiscale.
Les dépenses publiques ne sont cependant pas le seul problème posé aujourd’hui. La question des investissements en infrastructures a envahi le débat lors de la campagne électorale de l’automne dernier avec une toute particulière acuité. Les Etats-Unis ont laissé se détériorer progressivement une grande partie de leurs infrastructures, routes, ponts, hôpitaux, mais aussi les écoles et divers bâtiments publics. Donald Trump a promis d’engager 1000 milliards de dollars sur ces investissements. Encore faut-il savoir que l’Etat américain ne devrait s’engager qu’à hauteur d’environ 350 milliards car ces investissements doivent être réalisés dans le cadre de partenariat entre le secteur public et le secteur privé, ce que l’on appelle le PPP (Public Private Partnership).
La détérioration des grandes infrastructures publiques pèse désormais sur les gains de productivité de l’économie américaine. Or, sans de nouveaux gains réguliers, il ne pourra pas y avoir de progrès économique et social. Il y a, et c’est une évidence, fort à faire sur ce point car la colère et la rancœur accumulée dans la population américaine, cette même colère et cette même rancœur qui ont rendu possible l’élection de Donald Trump, sont aujourd’hui devenues explosives. C’est là l’un des principaux enjeux de le Présidence Trump. C’est sur sa capacité à créer un cadre permettant à l’ensemble de la population américaine de bénéficier de la croissance économique à venir qu’il sera jugé.
L’impact des mesures sur les taux d’intérêts
Le problème est que, si vous additionnez ces deux promesses, les réductions d’impôts et les investissements en infrastructures, vous obtenez un déficit budgétaire de l’Etat fédéral en forte hausse. Les estimations des économistes le situent actuellement entre 5% et 7% du PIB des Etats-Unis pour l’exercice 2017-2018, car il faut savoir qu’aux Etats-Unis, le budget ne correspond pas à l’année légale. Il commence (et s’achève) en été. Le premier budget qui portera donc l’empreinte de Donald Trump, mais aussi celle des compromis qu’il devra passer avec les Républicains tant au Sénat qu’à la Chambre des Représentants, sera celui de 2017-2018.
Un déficit important pour les deux premiers budgets de la Présidence Trump impliquerait une forte hausse de la dette publique. Comment, alors réagira la Banque Centrale des Etats-Unis, ce que l’on appelle la Réserve Fédérale ou la FED ? Sa Présidente, Mme Yellen, à déjà laissé entendre qu’elle allait procéder à des hausses de taux d’intérêts en 2017. Pourrait-elle, en réponse au programme économique de Donald Trump, aller plus loin que ce à quoi elle s’est plus ou moins engagée ?
La question est d’importance, car du taux d’intérêts des Etats-Unis dépend à la fois le taux d’intérêt des autres monnaies, mais aussi le taux de change entre le Dollar et l’Euro. Peut-on s’attendre à une forte hausse du Dollar, venant après celle que l’on a connue en 2015 ? Il est ici important de comprendre que le Président des Etats-Unis, s’il dispose d’une très grande liberté d’action en ce qui concerne la politique étrangère, doit nécessairement en passer par le Congrès des Etats-Unis, Chambre des Représentants et Sénat. Le Président des Etats-Unis (et son gouvernement) ne peut présenter une loi devant les deux chambres, ce qui constitue une importante différence avec la France où le gouvernement à l’initiative des lois. Il convient d’intégrer cette dimension particulière de la politique américaine quand on se penche sur le dollar ou sur le budget.
Un basculement vers le protectionnisme ?
La question du protectionnisme va aussi être certainement au cœur des interrogations des politiques et des experts. Car, ce que suggèrent les différents messages envoyés par Donald Trump par l’entremise de Twitter, ce qui constitue d’ailleurs une grande première pour un Président des Etats-Unis, c’est bien une certaine forme de protectionnisme. Bien sûr, le cadre légal des Etats-Unis a toujours été bien plus protectionniste que celui des pays de l’Union européenne. Rappelons que nous n’avons pas, ni dans le cadre de l’UE ni dans celui de la France, d’équivalent du Buy American Act ou du Small Business Act, qui réserve à des petites entreprises américaines une part des marchés publics. Au-delà donc des messages envoyés par l’entremise de Twitter, Donald Trump a déclaré son opposition aux grands traités de libre-échange, que ce soit le traité trans-pacifique ou que ce soit le TAFTA.
Cette opposition est intéressante ; elle conduit aujourd’hui à un débat à fronts renversés, où ce sont les Etats-Unis qui s’avancent sur le chemin du protectionnisme alors que les chinois et les européens se posent, en particulier à la conférence de Davos, en défenseur du libre-échange. Ceci est remarquable de la nouvelle période qui s’ouvre et à laquelle François Hollande semble bien ne rien avoir compris[1]. L’Allemagne est ici directement visée par Donald Trump. C’est le résultat de sa politique ouvertement mercantiliste, politique qu’elle développe d’ailleurs en symbiose étroite avec la Chine. L’Allemagne cherchera donc à se protéger des Etats-Unis en s’abritant derrière l’Union européenne. Il n’est pas sûr, et c’est le moins que l’on puisse dire, que ce soit l’intérêt des autres pays de l’UE d’accepter cela, et de payer pour une politique dont, eux aussi, ils sont les victimes. La défense de l’UE par François Hollande se trompe de signe car, ce qui condamne à court terme l’UE, outre l’incapacité et l’arrogance de ses bureaucrates, c’est bien l’attitude de l’Allemagne[2].
Cette attaque contre la globalisation n’est pas si étonnante que cela. Une étude, datant de 2007, montrait que l’ouverture du marché des Etats-Unis à la concurrence internationale était responsable de la stagnation des salaires dans ce pays. Rappelons ici que si le salaire moyen s’est remis à augmenter aux Etats-Unis, le salaire médian, c’est à dire celui qui divise en deux parties égales la masse des salariés, n’a cessé de baisser depuis 2000. En fait, le libre-échange a été mis en cause par divers grands économistes, de Keynes à Krugman et Rodrick. L’idée que le libre-échange produit un bien-être généralisé a été battue en brèche à de nombreuses reprises. En réalité, le libre-échange est la cause de bien des inégalités au sein des pays développés, mais aussi du chômage et de la destruction des droits économiques et sociaux acquis à la suite de grandes luttes par les travailleurs.
Alors, un milliardaire prendrait la défense des travailleurs ? On comprend immédiatement que les choses ne sont pas aussi simples que cela. Mais on devine, aussi, que l’on ne peut déduire le programme économique de Donald Trump de sa simple, et pour certains enviable, position personnelle.
Ces différentes interrogations ont été abordées sur Radio-Sputnik dans l’émission « Les Chroniques de Jacques Sapir ». Vous pouvez retrouver l’émission qui fut consacrée à la question du Dollar ici :
https://fr.sputniknews.com/radio_sapir/201701181029645085-dollar-amerique-trump/
L’émission portant sur la possibilité d’une relance impulsée par la politique de Donald Trump se trouve ici :
https://fr.sputniknews.com/radio_sapir/201701201029697869-relance-economique-donald-trump/
Enfin, l’émission ou fut abordée la question du protectionnisme se trouve ici :
https://fr.sputniknews.com/radio_sapir/201701201029703323-usa-danald-trump/
[1] http://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/hollande-denonce-le-protectionnisme-prone-par-trump_1871178.html
[2] http://www.huffingtonpost.fr/2017/01/16/francois-hollande-repond-sechement-a-donald-trump-apres-ses-atta/