- Selon Rosstat, en 2015, le PIB russe a baissé de 3,7 %. Que signifie cet indicateur pour les entreprises et pour les citoyens russes ? D’après vous, le retour de la croissance est-il possible en 2016 ?
La baisse du PIB de 3,7% que l’on a connu en 2015 en Russie a touché les ménages de manière très différente suivant le niveau de revenu et la structure de la consommation. Les coûts du logement, que ce soit les loyers ou les coûts des prêts hypothécaires, sont restés constants en 2015 ou n’ont augmenté que faiblement. La « consommation » des ménages en logements n’a donc pas été affectée par la baisse du PIB. Il semble donc que les ménages les plus riches aient été les plus touchés. Ainsi, la baisse de pouvoir d’achat semble avoir été de l’ordre de 10% pour la partie la plus riche de la population, mais nettement plus faible pour les couches populaires. Le problème avec une simple moyenne est que son utilisation suppose que les observations sont également réparties de chaque côté de la moyenne. On sait que ce n’est pas le cas. Les écarts de revenus sont importants en Russie, et cette inégalité a des effets importants quand on veut mesurer l’impact de la récession actuelle.
Un retour de la croissance est possible en 2016, mais il dépendra essentiellement de la politique économique de court terme du gouvernement. Au lieu de chercher à tout prix à restreindre les dépenses budgétaires, le gouvernement devrait user du déficit budgétaire de manière importante pour relancer l’activité. La très faible dette publique de la Russie aujourd’hui (moins de 10% du PNB) et l’ampleur de l’inflation (sans doute 11% en 2016), autorisent des niveaux de déficit pour 2016 de l’ordre de 7% à 9%, soit très au-dessus des 3% prévus par le budget. Les estimations faites par mes collègues russes montrent que la croissance de 2016 sera très sensible à la politique conjoncturelle du gouvernement. Si cette dernière s’avère restrictive (même avec un faible déficit) on peut s’attendre à une poursuite de la récession (de -0,5% à 1%). Si, au contraire, le gouvernement adopte une politique expansionniste (avec un fort déficit budgétaire) on pourrait avoir au contraire une croissance de 1% à 1,5%. Il faut ici savoir que le ratio Dette Publique / PIB, qui mesure l’endettement publique d’un pays, dépend de la croissance du PIB nominal (avec l’inflation) et du déficit budgétaire. Une règle de base est que le déficit ne doit pas excéder à long terme la croissance nominale du PIB sous peine de provoquer une hausse de la dette publique exprimée en pourcentage du PIB. Si l’on part de l’hypothèse que la Russie devrait connaître une récession de -1% du PIB réel (ou « à prix constants ») et une hausse de 11% de l’inflation, le PIB nominal devrait augmenter de 9,9% en 2016. C’est pourquoi le gouvernement pourrait réaliser un déficit budgétaire allant jusqu’à 9% afin de soutenir l’activité de l’économie et les revenus des ménages, et cela sans augmenter le poids de la dette dans le PIB.
- L’an dernier, le pétrole est passé de 56 à moins de 30 dollars le baril. Le rouble a chuté de plus de 20 %. À quel point le cours du rouble dépend-il des prix du pétrole ? La levée des sanctions, par exemple, pourrait-elle faire remonter la devise russe ? La dévaluation du rouble pourrait-elle être un stimulant important pour les investisseurs étrangers ?
Tableau 1
Montants des remboursements aux non-résidents par des acteurs russes sur les 6 prochains trimestres (montants en millions de dollars US)
1ertrimestre2016 |
2èmetrimestre2016 |
3èmetrimestre 2016 |
4èmetrimestre 2016 |
1ertrimestre 2017 |
2èmetrimestre2017 |
|
Etat | 397 | 212 | 495 | 596 | 201 | 1 686 |
Banque centrale | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Secteur bancaire | 4 951 | 7 241 | 2 963 | 4 116 | 5 960 | 7 102 |
Entreprises non-bancaires | 10 992 | 17 876 | 8 939 | 17 806 | 11 434 | 12 182 |
Total | 16 340 | 25 328 | 12 397 | 22 518 | 17 595 | 20 970 |
On peut ainsi penser qu’une remontée des prix du pétrole, qui devrait se produire vers l’été 2016, pourrait faire remonter significativement le taux de change du rouble. Ainsi, pour un prix du pétrole (exprimé en indice BRENT) de 45 USD/Bbl on obtient 68 à 70 roubles pour 1 USD, et autour de 60 roubles pour 1 USD pour un prix de 55 USD/Bbl. Mais, si le prix du pétrole devait remonter rapidement dans les mois qui viennent, compte tenu des anticipations que cela pourrait créer, on ne doit pas exclure une hausse plus forte du rouble que ce qu’impliquerait les données techniques.
Par ailleurs, il faut comprendre l’impact des sanctions financières auxquelles il a été fait allusion. L’importance des remboursements que doivent, en théorie, faire les entreprises et les banques est une conséquence de la restriction de l’accès aux marchés financiers occidentaux. Jusqu’en 2014, les entreprises et les banques russes faisaient « rouler » leurs dettes, en empruntant à nouveau pour rembourser les dettes arrivées à échéances. C’est une pratique courante. La dette évoluait donc du fait de l’apparition de « nouvelles » dettes (qui correspondent à des investissements) mais aussi du « roulement » des dettes accumulées. C’est ce mécanisme que les sanctions ont gravement perturbé. Les entreprises (et les banques) russes ont été conduites à se désendetter massivement dans une période récente du fait des sanctions financières prises contre la Russie. Ces sanctions ont empêché les entreprises et les banques de se refinancer normalement, entrainant de fortes sorties de dollars (comme en décembre 2014 et janvier 2015). Ces sorties de dollars contribuent à la baisse du taux de change. La fin de ces sanctions devrait diminuer la pression à la baisse. Mais, il est probable que les entreprises et les banques russes ne vont plus augmenter leurs dettes extérieures. Le risque est trop grand. Ces banques et ces entreprises vont, dans le futur, chercher à se financer sur le marché intérieur des capitaux, ce qui va entraîner un changement important dans la logique de l’organisation financière de la Russie.
Par ailleurs, il est évident que la dépréciation du rouble correspond à une subvention de fait à l’industrie, que ce soit sur le marché intérieur ou sur les marchés d’exportations. La hausse des exportations de biens manufacturés, mais aussi de biens « immatériels » l’atteste. Cette hausse a été importante en 2015. Ainsi, les entreprises qui produisent des logiciels ont triplé leurs exportations (pour un volume de 7 milliards de dollars), et les exportations de produits chimiques et machines ont augmenté sensiblement. La dépréciation du rouble favorise le pivotement de l’industrie russe vers des productions de plus en plus complexes et elle accélère le processus de diversification de la production que le gouvernement veut mettre en œuvre. Ce changement est en train d’avoir des conséquences profondes sur l’économie. Les producteurs russes gagnent désormais des marchés, que ce soit en Russie, face aux produits importés, ou à l’exportation. Et cela se traduit par une poussée de l’investissement dans certains secteurs comme les équipements électrotechniques (+30%), la chimie (+23%), les constructions mécaniques (+18) ou les matières plastiques et le caoutchouc (+15%). Ces chiffres sont importants, car ils indiquent que c’est l’industrie russe toute entière qui, du fait de la dépréciation du Rouble, est en train de se moderniser et de se transformer. Ceci est entièrement cohérent avec les travaux des chercheurs du Fonds Monétaire international[1]. On peut le constater en détail en lisant le troisième chapitre du World Economic Outlookpour octobre 2015.
- En Russie, l’inflation annuelle s’est élevée à plus de 12 %. Les revenus réels ont baissé de 4 % et les salaires de 9 %. Comment cela s’est-il reflété sur le marché ? Sur les habitudes et les préférences de consommation des Russes ? Qu’est-ce que cela signifie pour les entreprises ?
- La dette extérieure de la Russie est quant à elle passée de 715 à 521 milliards de dollars. À quoi est-ce lié ? Peut-on qualifier cela de facteur positif pour l’économie russe ?
Cela soulève une question importante. Le gouvernement russe pourrait-il concevoir vraiment ce changement de modèle, et mettre en œuvre une réelle politique de diversification de l’économie, sans refonte massive du système de financement[3]? Jusqu’ici, le gouvernement a promis de persévérer dans sa volonté d’utiliser des mécanismes fondés sur le marché. Il n’y a rien de mal ici. Mais cela dépend beaucoup du genre de mécanismes fondés sur les marchés qui sont utilisés et aussi de quels marchés qui servent de référence.
On sait, depuis la formulation du fameux « trilemme monétaire »[4], qu’un pays ne peut pas avoir simultanément un taux de change stable, une politique monétaire indépendante et active et des marchés de capitaux ouverts. Tout pays, ou toute zone monétaire, est donc forcé d’ajuster en permanence le taux de change en raison de la réduction (éventuelle) du solde de la balance des paiements ou bien d’imposer des restrictions sur les transferts de capitaux car ces derniers se révèlent fortement pro-cycliques[5], ou bien de construire une politique monétaire qui prendra en compte la politique monétaire d’autres pays (et qui perdra alors son autonomie par rapport aux objectifs particuliers de la politique économie) s’il veut maintenir un taux de change relativement stable. Le problème de la stabilité financière est ainsi lié à celui de la stabilité monétaire[6]. On sait aussi qu’un taux de change laissé aux seules forces du marché peut être entraîné à la baisse ou à la hausse par des spéculations à court voire très court terme[7]. C’est ce qui a entraîné un retour en grâce de l’idée de contrôles des capitaux et cela y compris au sein du FMI[8].
- En 2015, la fuite des capitaux hors de Russie s’est révélée deux fois plus faible qu’en 2014. À quoi cela peut-il être dû ? En partant de là, peut-on dire que le climat des affaires s’est amélioré dans le pays ?
- En 2015, la production industrielle russe a baissé de 3,4 % tandis que la production agricole a au contraire augmenté de 3 %. Cela signifie-t-il que les sanctions et le ralentissement économique ont provoqué le déclin de la production industrielle en Russie tandis que le programme de substitution des importations y a favorisé le développement de l’agriculture ?
[1] Daniel Leigh, Weicheng Lian, Marcos Poplawski-Ribeiro, Viktor Tsyrennikov, « Exchange rates still matter for trade », document posté sur le site du CEPR le 30octobre 2015, http://www.voxeu.org/article/exchange-rates-still-matter-trade#.Vjhy77aVWtw.twitter
[2] Hansl B., « With the ruble depreciation, ‘Made in Russia’ could once more become a worldwide trademark », Brookings Institution, Washington DC, 3 novembre 2015. http://www.brookings.edu/blogs/future-development/posts/2015/11/03-ruble-depreciation-russia-hansl
[3] Moiseev A. (2015), ‘“Импортозамещение“денежно–кредитной политики’, [La politique Monétaire de substitution aux importations] Document de Travail de l’IPEN-RAN, Moscou, http://ecfor.ru/pdf.php?id=pub/moiseev01
[4] Obstfeld M., Jay C. Shambaugh et Alan M. Taylor (2004), ‘The Trilemma in History : Tradeoffs among Exchange Rates, Monetary Policy and Capital Mobility’, Working Paper 10396, NBER, Cambridge, Ma.
[5] Kaminsky G.L., C.M. Reinhart and C.A. Végh (2004), ‘When it Rains, It Pours: Procyclical Capital Flows and Macroeconomic Policies’, Paper prepared for the NBER 19th Conference on Macroeconomics, 13 Août 2004, IMF, Washington DC.
[6] Goodhart, C.A.E., and D.P. Tsomocos (2007), ‘Analysis of Financial Stability’,Working Paper 2007 FE04, Oxford UK, Oxford Financial Research Center, Oxford.
[7] Calvo, Guillermo A., and Carmen M. Reinhart. (2002), ‘Fear of Floating’, inQuarterly Journal of Economics Vol. 117 (May), pp. 379–408. Borenzstein, E., J. Zettelmeyer, et T. Philippon (2001), Voir aussi Gallagher K., B. Coelho, (2010) ‘Capital Controls and 21st Century Financial Crises: Evidence from Colombia and Thailand’, PERI Working Paper Series, n° 213, Amherst (Ma.), University of Massachusetts Amherst, janvier, Monetary Independence in Emerging Markets: Does the Exchange Rate Regime Make a Difference ? IMF Working Paper WP/01/1, IMF, Washington DC.
[8] Ostry J. et al., (2010) ‘Capital Inflows: The Role of Controls’, International Monetary Fund Staff Position Note, Washington (D. C.), FMI. Voir aussi Buiter W., (2009), “The return of capital Controls”, in VoxEU, February 20th, 2009, URL:http://www.voxeu.org/index.php?q=node/3104 . Blanchard, O. and J.D. Ostry, (2012), ‘The Multilateral approach to capital controls’ on Vox EU, 11 Décembre, URL: http://www.voxeu.org/article/multilateral-approach-capital-controls . Beattie A. (2012), ‘IMF drops opposition to capital controls’, in Financial Time, 3 décembre, URL: http://www.ft.com/intl/cms/s/0/e620482e-3d5c-11e2-9e13-00144feabdc0.html