Incroyablement, dans cet océan de lutteurs farouches contre toute forme de libéralisme, qu’il soit ultra ou néo, un homme apparaît en décalage, d’autant plus qu’il est l’économiste officiel du Front National : Bernard Monot n’y va pas par quatre chemins et se déclare même « libertarien en matière économique ». De nos jours, voilà qui a au moins le mérite d’être fort couillu. Et le bougre réitère même en précisant le fond de sa pensée :
Nous nous inspirons très fortement de l’école autrichienne d’économie par opposition à l’école de Chicago qui nous a conduits dans la situation où nous sommes.Ah, pour sûr, balancer une telle bombe dans le paysage économico-politique français, sans prévenir, alors qu’il est rempli de façon exclusive au mieux de keynésiens, au pire de collectivistes marxoïdes, c’est s’assurer d’une attention toute particulière des médias, ne serait-ce qu’en provoquant une épidémie de crises cardiaques. D’autant qu’un examen rapide de sa fiche Wikipedia pourrait laisser supposer qu’il sait de quoi il parle : après tout, il annonce être un spécialiste des marchés financiers qui a travaillé chez Natixis, Allianz et HSBC avant de rejoindre la Caisse des Dépôts et Consignations.
Il y a cependant un petit quelque chose qui gêne. Ce n’est pas dans le fait, improbable mais pas impossible, que le FN ait réussi à dénicher quelques économistes un peu crédibles à présenter dans une presse avide de scoops rigolos. Ce n’est pas non plus dans l’idée assez rocambolesque que le Front se serait donné la peine d’écrire vraiment un programme économique au-delà des gimmicks faciles de tribuns auxquels nous ont habitués les Le Pen ; après tout, une fois qu’on a chopé une ou deux personnes un peu versées en micro et en macro-économie, établir un plan n’est pas très compliqué, puisqu’il suffit de manipuler suffisamment de jargon et de petits graphiques pour donner le change.
Ce qui gêne véritablement c’est l’émulsion instable d’huile essentielle de libertarianisme ou même de libéralisme avec une grosse quantité d’eau tiède socialiste à tendance nationaliste. C’est tellement improbable que cela mérite qu’on regarde ça de plus près.
Et ça tombe bien, le programme du FN en matière économique, et notamment un plan de désendettement de la France, est disponible en ligne. Et pour y être, il y est : c’est long, parsemé de petits graphiques acidulés (qui montrent une maîtrise correcte de Excel, encore que la version doit dater un peu à en juger les couleurs abominables choisies pour ne surtout pas discriminer les daltoniens), et ça part dans une explication touffue de l’état des lieux.
Partons du principe que l’analyse est correcte, et regardons ce qui est préconisé. Lorsqu’on épluche le programme, force est de constater qu’il s’agit d’une avalanche d’interventions de l’Etat préconisées pour à peu près tous les problèmes, et de toutes les façons possibles. Dans l’agriculture, on trouve des créations de Caisses, de Fonds d’intervention, des lois pour obliger ceci ou cela, de la régulation par paquet de douze. Pour l’emploi et l’industrie, là encore, on régule, on accroit de façon autoritaire les fonds d’amorçage, on crée une Banque Publique de Financement, on décide de la même façon une réindustrialisation par l’utilisation habile d’une Planification Stratégique de la Réindustralisation qui roxxe du mouton, une batterie de droits de douanes plus ou moins féroces (parce que, c’est bien connu, ça marche !). Pour que tout ça fonctionne, il faudra recentraliser (les données, les administrations), et bien sûr modifier quelque peu la fiscalité… Et pas en alignant celle du travail sur celle du capital, mais l’inverse. Ce qui, mes petits amis, ressemble furieusement à l’enfer fiscal que nous met actuellement en place Hollande, mais ce n’est pas important, puisque c’est l’adversaire et donc, il a tout faux.
Dans l’ensemble des nombreuses pages consacrées aux violentes fessées économiques que le Front National entend administrer aux Français pour les renvoyer
Bien évidemment, c’est parfaitement consternant sur le plan économique, puisque chacune de ces recettes a été consciencieusement essayée par d’autres pays, dans d’autres époques, ainsi que par la France, tant jadis que maintenant, sous diverses formes. Et, bizarrement, ces « solutions » ont régulièrement prouvé leurs effets d’autant plus néfastes sur l’économie qu’ils étaient bénéfiques pour les politiciens qui les employaient. En outre, tout ceci sent délicieusement tout autre chose que le libéralisme, qu’il soit « autrichien », néo, ultra, turbo ou même faisandé. Eh oui : quand ça a l’odeur du socialisme, la couleur du socialisme, et la forme du socialisme, c’est plus que probablement du socialisme.
Mais il y a pire, et c’est dans le délire monétariste qu’on peut le lire. Pas de doute, il faut au moins un économiste aux poignées d’une telle brouettée d’inepties : si l’on peut encore argumenter sur la sortie de l’Euro (qui n’aurait rien de simple, ne résoudrait pas les problèmes structurels français, indépendants de la monnaie, mais reste techniquement possible), on voit mal comment une dévaluation pourrait aider l’économie. À moins bien sûr de considérer que le condamné qui creuse sa tombe sous la menace d’une arme aide son assassin…
Non, décidément, Monot peut bien se déclarer libertarien à tendance pastafariste, tout indique aux traces qu’il a laissées dans le programme économique du Front National soit qu’il n’a rien compris aux théories libérales, soit qu’il a laissé libre-cours aux délires étatistes habituels de sa patronne. Tout se passe comme si Sulzer, Monot et de Rostolan (ou de la Tocnaye, peu importe au final), le groupe semi-officiel d’ « économistes » du FN, s’étaient réunis il y a quelques années déjà autour d’une table pour parler économie, avec une solide bouteille de whisky, pour finir morts bourrés. Le résultat, largement retravaillé ensuite, donnerait probablement le galimatias vichyste qu’on peut lire.
Et si, à l’époque, en effet, il pouvait traîner au Front quelques libéraux égarés, soit ils sont partis depuis, soit ils ont perdu toute crédibilité dans le domaine libéral. Au départ, Monot devait probablement faire partie de ce bataillon de cadres qui au début des années 80 se serait retrouvé au RPR mais qui ont choisi le FN après 1986 et la gauchisation galopante du centre-droit due notoirement à Chirac. C’est en effet à cette époque qu’un certain nombre d’individus passés par le RPR (et le Club de l’Horloge) saute le pas et rejoint le Front (Blot et Mégret en font ainsi partie) dans une espèce de pulsion de « national-libéralisme », si tant est que cela puisse réellement exister.
De ce point de vue, il faut conserver à l’esprit que le Front National a toujours fonctionné comme la « voiture balai » de la politique française (par exemple en récupérant dans les années 80 le discours du RPR, qui s’écrasait mollement devant le terrorisme intellectuel de la gauche), alors qu’aujourd’hui, il recycle le vieux discours souverainiste de la fin des années 90. À ce titre, on attend avec délectation les années 2020 où le Front, s’il existe encore, recyclera peut-être les discours délicieusement rétro des années 2000… Décidément, le FN, c’est un peu comme un alcootest pété de la politique en France : toujours positif et toujours coincé sur une couleur bleu marine sans réel intérêt.
Bernard Monot, malgré ses multiples revirements idéologiques (notamment en matière économique) est resté au Front National sans doute parce qu’il y voyait un intérêt personnel (et sa récente élection accrédite cette thèse). Mais de libéralisme ou de libertarianisme, finalement, point.
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Remerciements à Frédéric Mas