Personne ne pourra accuser Emmanuel Macron de ne pas soigner tous les détails de sa candidature présidentielle.
Ainsi, fini les petits couinements et le passage aux ultrasons éraillés comme à la fin de son grand meeting de la porte de Versailles en décembre dernier : il suit maintenant les cours d’un chanteur d’opéra !
Personne ne pourra l’accuser non plus de négligence avec les médias. Depuis janvier 2015, il a été le sujet de plus de 8 000 articles dans Libération, l’Obs, le Monde et l’Express. C’est plus que tout autre candidat, sans parler des multiples couvertures de Paris Match ou VSD façon couple glamour avec sa femme.
Et personne ne pourra l’accuser de ne pas savoir trouver les mots qui font rêver et galvanisent les foules.
Notre révolution est En Marche… On ne peut plus faire comme avant, il faut dépasser les clivages, rebattre les cartes, remettre la France en mouvement, libérer les forces et apporter l’espérance… Je compte sur votre mobilisation et votre engagement, c’est notre force ! Etc…Pour Manu qui s’adresse « à tous les recalés de l’âge et du chômage, les privés du gâteau, les exclus du partage » , il faut dépasser les clivages et le chacun pour soi. Quand il pense à eux, il pense à lui et la coïncidence avec les Restos du Cœur n’est pas tout à fait fortuite parce que c’est de cœur qu’il s’agit, mes amis, mes amours, mes enfants,
Voici en substance la teneur de ses appels (vidéo ci-dessous), voici ce qu’il martèle de meeting en meeting sous les applaudissements frénétiques (ou médusés) de
Emmanuel Macron appelle à la mobilisation pour... par Lopinionfr
Lorsqu’il parade au Palais des Sports de Lyon, des
« Vous pourrez dire : ‘J’étais là’. Parce que nous allons changer les choses encore aujourd’hui et nous continuerons à avancer. Ensemble !
»
Dans la même veine, voici une petite vidéo hautement réjouissante alignant les « meilleurs moments » d'Emmanuel aux instruments à vent : « Ce que nous ferons pour la culture, mes amis, c'est un chemin » – « Je veux réconcilier la France avec le Monde » – etc ... etc...
De fait, trouver les mots, aussi creux soient-ils, fut le grand travail de sa campagne et dans ce domaine, rien ne fut laissé au hasard. Là encore, on ne pourra pas reprocher à Emmanuel Macron de ne pas avoir exploité à fond toutes les possibilités de la magie du verbe pour captiver un auditoire prêt à tomber en pâmoison.
Au cours d'une « grande marche » qui s'est déroulée en porte-à-porte cet été, des « Marcheurs » ont eu « 100 000 conversations » et ont recueilli « 25 000 questionnaires », constituant autant de verbatim dont les mots – pardon on dit « prédicats » à présent – furent analysés via des algorithmes complexes, par la société Liegey Muller Pons, la « première start-up de stratégie électorale en Europe » et par Proxem dont le métier consiste à « changer les conversations en données » (au contraire des journalistes dont le métier consiste à transformer des conversations en courants d'air chaud).
Cette « grande marche », au-delà du côté proximité, écoute et rencontre avec la France « vraie de vraie », a surtout eu pour objectif de définir au mieux le discours qui sera « le plus intelligible possible pour le plus de monde possible ». En clair, le discours qui ratissera le plus large, déclenchera le plus de réactions positives et transformera les auditeurs en adhérents scotchés.
Ajoutez qu'Emmanuel Macron est jeune, intelligent, tout beau et tout nouveau. Il n'a jamais été élu, mais l'Elysée direct, ça ne lui fait même pas peur ! Mieux encore : il est de gauche (il l'a dit cent fois) mais il peut aussi être de droite si besoin est, d'autant qu'il n'est plus membre du PS tout en étant socialiste, et ayant participé à un gouvernement de gauche, « mais quelle importance ? » (vidéo 01:10) :
Ce discours, ce style, ce show bien orchestré plaisent beaucoup, aux médias, aux socialistes en mal de représentation politique, à tous ceux qui cherchent une nouvelle tête, à tous ceux qui attendent un discours rassurant du type « Yes We Can », à tous ceux qui veulent gagner en liberté sans perdre en protection tutélaire de l’État, à tout ceux qui pensent qu’il suffit d’améliorer la gestion de nos structures sans les remettre en cause fondamentalement.
Bonne pioche ! Emmanuel Macron se dit d’une « gauche qui se confronte au réel », c’est-à-dire typiquement d’une gauche sociale-démocrate façon Rocard et même Hollande, le style et la persuasion en plus. Forcément, ça attire : d’après les responsables, En marche ! aurait à ce jour 170 000 adhérents. L’adhésion gratuite, en ligne, ça aide.
Bonne pioche toujours, lorsque Benoît Hamon est désigné candidat du PS. Bonne pioche encore, lorsque les affaires embourbent Fillon dans des emplois présumés fictifs. Et super bonne pioche, lorsque les sondages placent finalement notre héros en deuxième position au premier tour de la présidentielle !
Décidément, Manu Macron, c’est de la très bonne pioche !
Aux grincheux qui pointent régulièrement l’absence d’un vrai programme politique derrière les envolées lyriques, les « Marcheurs », tendrement hypnotisés par leur candidat, rétorquent que si Macron les attire, c’est justement parce qu’il « fédère une vision, il y a une espèce de fluide ». Lubrifiant qui permet d’éviter les frottements douloureux et de rêver à son aise à un monde meilleur :
« Un président, ce n’est pas un épicier. L’important, c’est d’avoir une vision, pas forcément d’être dans les détails de la comptabilité. » (un participant au meeting de Lyon, 4 février 2017)Malgré tout, ce programme trop diaphane gêne certains militants. Sa divulgation ayant été souvent annoncée puis repoussée, pour être finalement fixée à début mars, les « Jeunes avec Macron » ont pris sur eux de construire un site internet reprenant les principales déclarations de leur leader pour leur donner un semblant de consistance.
Ça ne s’invente pas, ce site s’appelle « Vision Macron » et surfe avec application sur un océan de lieux communs des plus vagues, dispatchés en une partie « Diagnostic » puis une partie « Action ». La partie « Réaction » est laissée comme exercice au lecteur.
C’est ainsi que les 35 heures sont « une avancée sociale non contestable » qui présente « un bilan contrasté » qu’il faudra « adapter sans remettre en cause le principe ». Jolie bourrasque d’air tiède. On souhaite bon courage au futur ministre de l’économie si d’aventure Emmanuel était élu !
Si le mystère reste entier quant au programme de gouvernement de Macron, on a cependant quelques idées sur ce qu’il sera en observant les soutiens qui s’agglutinent à lui.
Au-delà de sa tendresse pour le socialisme du réel qui signe son tropisme social-démocrate, on constate sans trop de surprise que les ralliements qu’il enregistre en nombre sont tous le fait d’individus extrêmement à l’aise dans « le système » dont il prétend s’affranchir et que certains d’entre eux sont de vieux routards de la politique depuis des dizaines d’années.
À gauche, on peut citer Gérard Collomb et tous les députés socialistes orphelins de la candidature Valls, les hommes d’affaires Marc Simoncini (Meetic), Xavier Niel (Free) et Pierre Bergé, les deux derniers étant de plus co-propriétaires de l’Obs qui a largement ouvert ses pages à Macron, l’écrivain Erik Orsenna, ancienne plume de Mitterrand, Daniel Cohn-Bendit, Alain Minc, Bernard Kouchner, sans oublier Ségolène Royal qui apporte indirectement le parrainage de François Hollande et une caution de sérieux assez originale dans la gestion des affaires publiques, et sans oublier non plus Geneviève de Fontenay, génialissime caution populaire, venue spécialement à Lyon pour vérifier que Macron n’avait pas « une banque à la place du cœur » !
À cette brochette de cadors, ajoutons la droite énarchiste et étatiste représentée par Renaud Dutreil, ancien ministre responsable de la création du pitoyable RSI (que Macron veut réformer, pas forcément pour le bien des Indépendants) et Anne-Marie Idrac, ancienne secrétaire d’État aux transports sous Chirac et ex-présidente de ces fleurons de la réussite nationale que sont la RATP et la SNCF.
Le vrai défi, maintenant, consistera à croire que ce sont ces personnes qui seront capables de mettre en marche une révolution vertueuse, alors qu’elles sont toutes liées à tout ce que la France fait sans succès depuis quarante ans en terme de chômage, de dépenses publiques, de déficit et de dette.
Il va en falloir, de la foi, pour imaginer que l’État, gonflé d’orgueil à l’idée d’être stratège, va continuer à l’être sans se fracasser sur des catastrophes financières qui se chiffrent en milliards d’euros.
Il va en falloir, de la ferveur, pour voir en Emmanuel Macron l’artisan d’une transformation libérale de la France, lui dont le bilan se résume à des conseils catastrophiques pendant un quinquennat calamiteux et à une loi qui aura permis d’ouvrir quelques lignes d’autocars et quelques magasins un nombre limité de dimanches.
Conclusion
Certes, Emmanuel Macron s’est montré particulièrement habile à mobiliser médias et public autour de lui. Certes, il a su trouver les mots les plus susceptibles de toucher des Français désorientés et désireux de changement, mais aussi de protection et d’attention. Certes, il a su faire passer un message de nouveauté et de modernité en menant une campagne aussi originale que calibrée au millimètre comme s’il vendait le produit Macron à des consommateurs et non pas un programme politique à des électeurs. Soit.Il n’en reste pas moins que le vide grandiloquent de ses propos associé au déjà-vu, au progressisme revendiqué et à l’étatisme assumé de l’équipe qui l’entoure fait irrésistiblement penser à la réflexion de Tancrède à son oncle le prince Salina dans le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »
Emmanuel Macron n’est rien d’autre que la nouvelle frimousse « hors-système » choisie par le « système », coterie de médias et de politiciens qui nous gouvernent. C’est un changement purement formel sans rien de fondamental pour la France et les Français, qui préservera ces élites au pouvoir.
Le navire de gauche a coulé. Celui de droite prend l’eau. Les rats quittent ces navires incertains pour courir chez Macron, ce « révolutionnaire » qui rassure tous les étatistes et leur promet qu’il suffit de dire que tout va changer pour que finalement rien ne change.