Et comme tout va bien, qu’il y a juste la bonne quantité d’inflation, que la croissance montre des signes évidents de positivité ragaillardie, que le spectre du chômage semble s’éloigner, Mario a décidé plusieurs choses essentielles pour la conduite monétaire de la zone euro.
Tout d’abord, il a abaissé le taux directeur de la Banque Centrale, de 0,25% à 0,15%, ce qui est un nouveau plus bas historique. Comme les fois précédentes avaient merveilleusement marché, le fait de retenter la même chose va évidemment apporter une vraie solution durable.
On peut noter calmement que ce que tente de faire Draghi avec ce nouvel abaissement, les Japonais l’ont tenté avant lui, sur au moins une dizaine d’années, avec un résultat qu’on pourrait qualifier de modeste, même une fois dopé à l’optimistine, cette drogue dure que nos dirigeants s’enfilent par kilo.
Ensuite, le patron de la BCE a annoncé une batterie de mesures financières ciblées, comme la mise en place de « Long Term Refinancing Operations » (LTRO) spécifiques, la fin de la stérilisation des titres de dettes achetés dans le cadre du « Securities Market Program » (SMP) et la préparation d’achats d’Asset Backed Securities (ABS) — qui sont des actifs adossés à des titres de créances (crédits immobiliers, cartes de crédit, prêts automobile, …) — pour soutenir le crédit aux petites et moyennes entreprises. Pour faire court, les LTRO sont simplement des prêts à long terme avec des taux-cadeaux, genre Semaine Commerciale BCE. Les SMP sont des achats d’obligations souveraines sur le marché secondaire de la dette, et leur stérilisation consiste à neutraliser l’effet des achats en reprenant les liquidités correspondantes. En gros, c’est de la création monétaire (« Print, baby ! Print ! ») à peine déguisée.
Mais Mario ne se contente pas d’un ou deux coups de canon. Pour lui, il fallait aller plus loin et ce fut chose faite avec l’introduction des taux d’intérêts négatifs (-0,10%) sur les dépôts laissés par les banques en garde à la BCE. Oui, vous avez bien compris : comme tout va bien, la Banque Centrale a clairement décidé de punir les banques européennes si jamais elles venaient à parquer des avoirs dans ses coffres au lieu de distribuer la manne financière à tous ceux qui le demandent.
L’idée, derrière cette mesure hardie, est d’inciter les banques à ouvrir les sprinklers à crédit pour tous, à commencer par les entreprises dont l’activité et la production dépendent parfois d’investissement coûteux. Bonus supplémentaire espéré : une telle mesure aurait normalement tendance à rediriger les investisseurs hors de l’Euro, ce qui fait baisser la monnaie (par rapport au dollar, notamment) ce qui donne une petite marge de manœuvre, au moins temporaire, aux exportations.
Tout va donc très bien, sauf que ces actions musclées s’apparentent vraiment très mal à des mesurettes d’ajustement dans une situation maîtrisée tendant à l’amélioration. Tout montre qu’il s’agit plutôt de tentatives vigoureuses d’infléchir une orientation franchement négative.
Amener ainsi le taux directeur à des niveaux si bas montre clairement que les différents efforts menés jusqu’à présent, et qui visaient précisément à créer de l’inflation, n’ont pas porté leurs fruits. En effet, la BCE a été obligée de revoir ses prévisions d’inflation à la baisse, sachant que cet indicateur était déjà assez éloigné d’un 2% qu’on juge nécessaire à la bonne marche de l’économie (et surtout, à la lente érosion de la dette par l’inflation). En outre, les prévisions de croissance sont suffisamment mauvaises pour que la Banque Centrale soit allée plus loin encore que les attentes du marché.
Autrement dit, la situation est probablement bien plus mauvaise que prévu, et les manœuvres de Draghi, qui visent essentiellement à distribuer du pognon fraîchement imprimé, risquent surtout d’alimenter les bulles existantes ou en formation. Pour rappel, toutes ces opérations financières aux acronymes rigolos (LTRO, SMP, ABS) ne sont que l’expression concrète de cette titrisation qui, il y a quelques années aux US, a provoqué le précédent krach. On peut feindre, comme la BCE et Le Mondederrière elle, de croire que les recettes globalement identiques fourniront un résultat globalement différent, mais l’expérience passée ne permet pas un optimisme débordant. Et en tout état de cause, on comprend assez vite que les efforts entrepris ne résolvent pas les problèmes de base (un excès gigantesque de dettes étatiques, partout) et qu’ils ne feront que retarder le moment où la facture sera acquittée.
En France cependant, ces annonces et l’idée même que la situation économique sous-jacente serait assez pourrie n’effleurent même pas la fine équipe de clowns posés à Bercy ces derniers mois. Alternativement, si ses tenants et ses aboutissants leur sont connus, ils ont la présence d’esprit de n’en rien montrer et d’afficher une naïveté confondante qui donne le vertige si elle est simulée.
Pour Michel Sapin, ces décisions sont exactement ce qu’il fallait faire. Peu importe que cela ne résolve absolument rien, puisqu’à présent, les banques vont pouvoir prêter comme jamais. Et s’il le faut, Michel ira vérifier, guichet par guichet, que chaque entreprise repart bien avec son petit chèque ou ses liasses de gros billets joufflus fraîchement imprimés :
« Je veillerai à ce que les entreprises françaises trouvent auprès de leurs banques, ou directement sur les marchés financiers, les prêts à faible coût dont elles ont besoin. »Quant à Arnaud Montebourg, le ministre de l’économie, des redressements, de la productivité, des frétillances et des vibrations patriotiques favorables, il trouve que, je cite :
« Les banques n’auront plus aucune excuse pour ne pas prêter aux entreprises. »Il est clair que l’absence de perspectives économiques pour l’emprunteur ne sera pas un obstacle, voyons ! Même si l’emploi est en berne, cela n’empêchera pas de contracter un joli petit crédit, n’est-ce pas ? Pas de croissance peut-être, mais ce n’est pas une raison pour ne pas reprendre une bonne louchée d’emprunt, n’est-ce pas ? Et puis surtout, la France a bien prouvé sur les 40 dernières années qu’avec une telle stabilité fiscale, il n’y avait aucun risque à hypothéquer son entreprise, bien sûr.
Bah, oublions bien vite les calamiteuses calembredaines gouvernementales qui montrent simplement que les showmen au crâne vide sont toujours dans la place.
La suite, on a déjà une petite idée de ce que qu’elle sera. Les premiers mois, les gesticulations de Draghi permettront peut-être de calmer la déflation qui s’est bel et bien installée ; à ce titre, les matières premières (énergies et nourriture, essentiellement) vont continuer à se renchérir pendant que tout le reste (de l’accessoire à l’optionnel) continuera de se déprécier. Après tout, les gens seront toujours obligés de se nourrir et de se chauffer et ceci restera donc le seul endroit où des profits et des richesses palpables seront créés. C’est déjà ce qu’on observe, et les actions menées n’y changeront pas grand-chose. Les tensions monétaires, les bulles et les mauvaises allocations de capital vont continuer de plus belle. Ceci finira, inévitablement, par un krach, plus ou moins violent.
Ensuite, tout est possible, depuis le chyprage des comptes épargne et d’assurance-vie (en l’échange, bien sûr, de jolis papiers colorés assurant un remboursement dans 10 ou 20 ans avec intérêts dans une monnaie qui tiendra plus du singe que de l’or), jusqu’à la décennie perdue à la japonaise, en passant par l’effondrement des prix immobiliers, ou un mélange plus ou moins fort de tout cela. Sur le long terme, les nations surendettées n’ont jamais finalement que deux choix : annuler leurs dettes d’une façon ou d’une autre (par répudiation ou hyperinflation), ou faire la guerre ou la révolution. Bien que fort peu probables, ces possibilités ne sont pas non plus à écarter.
Heureusement, avec l’équipe en place, nous sommes en de bonnes mains.