Charles Sannat
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Charles Sannat est diplômé de l’École Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information (secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Économique d'AuCoffre.com en 2011. Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.
« La Banque centrale américaine a-t-elle perdue la raison ? »
Audience de l'article : 1985 lecturesPoser la question, c’est déjà presque y répondre !
Mercredi soir, Janet Yellen, la « gouverneuse » de la Banque centrale américaine, la FED, a indiqué qu’elle allait encore diminuer de 10 milliards de dollars ses injections mensuelles de liquidités et a ouvert la porte à une… remontée des taux d’intérêt !
Une sémantique parfaitement contradictoire
Ce qui ressort de cette intervention de la remplaçante de Ben Bernanke est une forme de grande confusion sémantique.
Janet Yellen, évoquant les taux d’intérêt qui ont été, comme attendu, maintenus à zéro, a précisé qu’ils « devraient le rester pendant une période considérable ».
Sous l’amicale pression des journalistes, la patronne de la FED a été contrainte de préciser sa pensée concernant la définition du concept de « considérable ». Elle a donc déclaré que « le langage que nous utilisons dans le communiqué fait référence à une période considérable. Donc, c’est le genre de terme qui est difficile à quantifier… peut-être de l’ordre de six mois ».
Or 6 mois, même en économie et même pour les marchés, c’est tout sauf une durée considérable… c’est même plutôt du court terme ! Pour Janet Yellen, les taux devraient donc remonter aux États-Unis dès 2015, et 2015 c’est très bientôt, c’est très proche, terriblement proche.
L’économie américaine peut-elle supporter un tel traitement de choc ?
L’économie américaine est-elle à nouveau en pleine croissance économique ? Les optimistes béats pensent que oui, pourtant, à y regarder de plus près, même si tout n’y est pas aussi noir que certains voudraient le faire croire, le dynamisme de l’économie américaine n’est pas du tout aujourd’hui ce qu’il était au début de l’année 2007 à la veille du déclenchement de la crise dite des « subprimes ».
La consommation reste en berne, le taux de chômage baisse fortement, certes, mais cela masque difficilement la baisse de la population active et le fait que les Américains sont de plus en plus nombreux à tout simplement renoncer à chercher un travail ou à s’inscrire dans les « job centers », les « ANPE » locales.
Les profits des grandes sociétés cotées ne sont pas transcendants et s’ils ne s’effondrent pas, ils ne sont pas non plus, loin de là, en forte croissance.
L’endettement US atteint des niveaux élevés relativement incompatibles avec une augmentation importante des taux d’intérêt, même si les USA disposent de marges de manœuvre, contrairement à la France, en terme de pression fiscale.
Enfin, cette réduction des injections monétaires appelée « tapering » intervient à un moment de fortes tensions géopolitiques entre les États-Unis et la Russie, sans oublier la volonté chinoise de « désaméricaniser » le monde. Bref, aussi bien la Chine que la Russie sont actuellement plus vendeurs de dette américaine qu’acheteurs de bons du Trésor. Alors si ce n’est pas la FED, qui va combler la différence ? La Belgique, via Euroclear, comme ce fut le cas récemment ?
La FED va-t-elle aller jusqu’au bout de la logique ?
Pendant longtemps, de nombreux analystes annonçaient que la FED ne ferait que semblant de réduire ses injections monétaires pour mieux les reprendre. J’en fais partie et j’ai dit et répété à de nombreuses reprises que je ne croyais pas ce mouvement durable.
J’ai comparé cette politique à ce qu’avait fait Jean-Claude Trichet en 2011 lors du passage de témoin à Mario Draghi, actuel gouverneur de la BCE, quand il avait augmenté les taux d’intérêt contre toute logique économique afin de préparer le terrain à son successeur et lui créer artificiellement des marges de manœuvre. Effectivement, ce mouvement ne fut pas durable et Mario Draghi a rapidement pris le sens inverse et baissé les taux directeurs.
Cependant, concernant la FED et Janet Yellen, je commence à avoir un mauvais pressentiment et je pense qu’il est possible que la FED non seulement aille au bout de l’arrêt des Quantitative Easing mais effectivement augmente les taux d’intérêt, ce qui ne manquera pas de créer des problèmes économiques pouvant être très, mais alors très importants. Pour tout vous dire, je ne comprends pas bien la logique à l’œuvre à la FED, ni la nécessité de pousser les taux d’intérêt à la hausse, si ce n’est dans la volonté de rendre plus attractive la dette américaine qui pourrait se trouver en manque d’acheteurs de long terme sur des niveaux de rendement historiquement faibles.
Les effets d’une hausse des taux d’intérêt :
Si les obligations dites sans « risque » rapportent plus que les actions risquées, alors les investisseurs se reporteront massivement sur les obligations d’État = krach boursier.
Toutes les obligations émises ces dernières années à des taux très faibles vont perdre de la valeur puisqu’elles rapporteront moins et personne n’en voudra = krach obligataire.
Les États, à commencer par les USA, sont très endettés. Hausse des taux = augmentation du service de la dette et dans un cas extrême faillite de l’État…
Hausse des taux aux USA, pays où les emprunteurs empruntent culturellement à taux variables = augmentation des impayés, insolvabilité des ménages et « bis-repetita » de la crise des subprimes. Ce n’est évidemment pas bon du tout pour le secteur immobilier, d’où la possibilité d’un nouveau krach immobilier.
Hausse des taux, krach immobilier, krach obligataire, augmentation des crédits impayés, etc. = problème pour les banques qui restent encore très fragilisées.
Bref, l’ensemble de ces éléments aboutissent logiquement à la mise en place de toutes les conditions pour une nouvelle crise très grave où nous verrions l’éclatement de toutes les bulles spéculatives engendrées par la création monétaire de ces 7 dernières années… Ce n’est pas réjouissant !
Pas réjouissant non plus le fait que lorsque l’on augmente les taux, évidemment le coût du crédit est renchéri. Cela signifie qu’il faut que la marge et les profits dégagés par un investissement soit plus élevés d’autant… Difficile dans un environnement économique peu dynamique. Une hausse des taux étouffe donc les économies fragiles et nos économies sont fragiles. Au final, des taux élevés tuent la croissance et conduisent forcément à des cycles récessifs plus ou moins forts.
Enfin, l’arrêt des injections de liquidités et la hausse des taux envisagée vont peser directement sur les économies des pays émergents comme la Chine et la Russie mais aussi de tous les autres en créant quelques menus problèmes au niveau des monnaies de ces différents pays et des cours de Bourses… mais comme le disait la réserve fédérale américaine… cela n’est pas un problème pour… les États-Unis !
Alors, lorsque l’on liste les conséquences parfaitement prévisibles et connues d’une telle politique monétaire « restrictive » avec le « tapering » puis la hausse des taux, on ne peut que frémir et se demander si la FED a perdu la raison.
Non la FED n’est pas folle !
Évidemment, la FED sait très bien ce qu’il va se passer tout comme le FMI savait pertinemment ce qui se passerait en Grèce avec les politiques d’austérité exigées. La question est donc pourquoi cette politique et pourquoi maintenant ? Faire dérailler l’économie mondiale, créer une crise de toutes pièces, une baisse significative des actifs qui pourront alors être massivement rachetés par les entreprises américaines à prix cassés ? S’agit-il pour la FED de « plumer » plus simplement le contribuable américain et mondial en augmentant les taux au profit principalement des grandes banques commerciales qui, je le rappelle, sont les actionnaires de la FED, institution privée et non publique ?
À ce stade, les motifs ne Janet Yellen ne sont pas clairs, mais ce qui est évident c’est que nous pensions tous qu’elle poursuivrait la politique accommodante de son prédécesseur. Pour le moment, les faits me donnent tort, ce qui n’est pas vraiment le plus important. Le plus important c’est d’essayer de comprendre le « mobile » et, disons-le, il y a beaucoup de théories mais peu de faits !
Restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez-bien !!
Charles SANNAT
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »
Éditorialiste et rédacteur du Contrarien Matin
Directeur des études économiques AuCOFFRE.com
http://www.lecontrarien.com/
Ceci est un article ‘presslib’, c’est-à-dire libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Le Contrarien Matin est un quotidien de décryptage sans concession de l’actualité économique édité par la société AuCOFFRE.com. Article écrit par Charles SANNAT, directeur des études économiques. Merci de visiter notre site. Vous pouvez vous abonner gratuitement www.lecontrarien.com.
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