Les hedge funds et le yuan, pot de fer contre pot de terre?
Alors que le yuan intégrera bientôt l’actif de réserve du FMI et que la Chine entreprend une mutation profonde de son économie et de sa politique monétaire, la possible dévaluation du yuan n’a pas échappé aux hedge funds qui espèrent bien en faire leurs choux gras… non sans risque pour l’économie chinoise…
Les principaux hedge funds américains seraient en train de miser gros, très gros, sur une dépréciation des monnaies asiatiques, aussi bien le dollar hongkongais que le yuan… Une tendance spéculative qui n’est pas forcément du gout de Pékin, pour qui la stabilité de « la monnaie du peuple » a longtemps été la pierre angulaire de sa politique monétaire.
Il faut dire que la Chine est entrée dans une phase critique de son développement économique; les leaders chinois doivent simultanément faire face à un ralentissement de la croissance, à des places boursières de plus en plus volatiles ainsi qu’à une transition structurelle et périlleuse: d’une économie tirée par le développement industriel et les investissements étrangers à une économie basée sur la consommation de ses ménages…Et dans une telle conjoncture, si on en croit les explications de Philippe Béchade, chroniqueur économique à BFM et Président des Econoclastes, il risque d’être difficile pour les leaders chinois de donner tort à ceux qui annoncent une dévaluation du yuan.
« l’arrimage du yuan au dollar commençait à générer beaucoup plus de handicaps que ça ne présentait d’avantages: la Chine perdant nettement en compétitivité, alors qu’on a un dollars qui monte tout seul face à toutes les devises, or les Etats-Unis ne sont qu’un client parmi d’autres et la Chine voudrait une devise qui évolue en adéquation avec celles de l’ensemble des pays avec lesquels elle commerce. Alors il y a évidemment la zone euro qui est un très gros client, mais il y’a aussi l’Amérique du sud où les monnaies s’effondrent, toute l’Asie où la aussi le yuan s’apprécie très fortement par rapport à d’autres devises qui plongent par rapport au dollar: donc il est clair que la Chine veut, en quelque sorte, adapter la valeur du yuan au pouvoir d’achat de ses principaux clients ».
D’autant plus que la Banque Populaire de Chine a amorcé le processus dès la mi-août 2015, en dévaluant le renminbi (RMB), une première depuis 2005, un évènement interprété comme un aveu de faiblesse par les marchés.
Cependant si la dévaluation duyuanest prédite par de nombreux spécialistes de la Finance, pour des raisons structurelles, elle est également prophétisée par certains, comme cet invité de marque du sommet économique mondial de Davos: le multimilliardaire américain, d’origine hongroise,Georges Soros, pour qui l’« atterrissage brutal » de l’économie chinoise est « inévitable ».Une déclaration susceptible d’encourager les spéculations et qui a provoqué une réaction immédiate de l’agence d’état chinoise Xinhua News, « Le pari de Soros contre le renminbi et le dollar hongkongais ne risque pas de réussir, il n’y a aucun doute la dessus ». Un message non sans accents d’avertissement à l’adresse de tous les parieurs qui risquaient « de lourdes pertes », et qui annonçait également que les autorités chinoises prenaient les mesures nécessaires.
Il faut dire que Georges Soros s’est justement fait connaitre par ce genre d’opérations spéculatives monétaires… en 1992 il acquière le titre de « l’homme qui fit sauter la Banque d’Angleterre: son fait d’armes, avoir en quelques heures vendu à découvert des milliards de livres sterlings, déstabilisant ainsi la monnaie britannique, qui décroche…
C’est le jackpot pour les hedge funds de George Soros, basés dans les Iles Caïman… De son côté, l’Angleterre, après la mise en échec de l’intervention de sa banque centrale, décide de se retirer du Système Monétaire Européen, et retiendra ce 16 Septembre comme le « Mercredi noir »…
La notoriété de l’homme d’affaire est ainsi faite, si bien que quelques années plus tard, alors que les économies asiatiques s’effondrent après à une dépréciation brutale du bath Thaïlandais et au ringgit Malais, le Premier ministre Malaisien Mahathir ibn Mohamad accusera George Soros d’avoir ruiné l’économie du pays, afin de punir l’ASEAN d’avoir accueilli Myanmar. Si le milliardaire se défend d’avoir causé la crise, il ne nie pas avoir massivement parié sur l’effondrement des taux de change.
Hasard du calendrier, la Chine doit voir d’ici Octobre 2016 sa monnaie intégrer le font de réserves, ou DTS (Droit de Tirage Spécial), du FMI: Une consécration pour la République Populaire de Chine, qui espère peser d’avantage sur la scène mondiale, que cela soit économiquement ou géopolitiquement… Une avancée qui a un certain prix, comme nous l’explique Charles Sannat, professeur d’économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes, fondateur et éditorialiste du site Insolentiae:
« Ils jouent la baisse de manière très importante et donc on a une réaction des autorités chinoises, qui essaient de limiter au maximum cette spéculation en changeant notamment les taux d’intérêts, en augmentant les appels de marge, en rendant les choses plus couteuses et plus compliquées. Le problème c’est que si elles vont trop loin, de facto les autorités chinoises se mettront en dehors de la normalisation, en dehors de l’ouverture de leur économie et donc en dehors des normes qui leurs sont demandées dans le cadre de l’internationalisation de leur monnaie le yuan: C’est-à-dire que pour que la monnaie chinoise soit acceptée comme une devise à part entière, encore faut-il que la monnaie chinoise se comporte comme une devise à part entière. Là est la complexité, l’enjeu, dans l’internationalisation du yuan ».
Notre expert en conclut que l’internationalisation de la monnaie chinoise avait pour corollaire sa vulnérabilité.
En effet, jusqu’à présent, la Chine a toujours pu opérer un contrôle très resserré, cependant si elle tient à rentrer dans le cercle fermé des monnaies de réserves du FMI, et peut être même plus tard obtenir le statut d’économies de marché, elle va devoir donner des gages, et abandonner certains de ses leviers traditionnels pour d’autres plus classiques, pour pouvoir stabiliser ou plutôt défendre sa monnaie contre les éventuelles dérives engendrées par la spéculation.
Pour cela, la Banque centrale peut racheter sa monnaie mise en circulation sur les marchés, et pour cela, la Banque de Chine a certainement trouvé la contrepartie: ces innombrables bons du trésor américains, les « Treasuries » ou « T-Bonds », entamant un délestage massif de ces obligations libellées en dollars. Rien qu’au second trimestre 2015, ce ne sont pas moins de 142 milliards de dollars d’obligations américaines que la Chine aurait vendues. Une opération qui dans la conjoncture actuelle n’est certainement pas du gout des autorités américaines, comme nous l’explique Philippe Béchade:« La quantité de dollars en circulation dépend du montant des transactions ou plutôt des ventes de pétrole, de commodities, et crées au fur et à mesure autant de dollars qu’il y a de million de tonnes de minerais ou de million de barils de pétrole échangés, et c’est grâce à ces dollars que l’on imprime, que l’on crée au fur et à mesure, que le Trésor américain se refinance. Alors si d’une part on a moins de pétrodollars et de l’autre côté on a des ventes de dollar émanant des citoyens chinois souhaitant diversifier leurs avoirs, leurs actifs, il est évident que ça ne peut pas tomber plus mal… moins de pétrodollars crées et en face plus de T-bonds à la vente: il est évident que l’effet de ciseaux est très très mauvais ».
Un délestage massif d’obligations américaines pour racheter des yuans, qui n’est pas sans conséquence pour le marché obligataire américain, provoquant une hausse mécanique des taux d’intérêts. Une opération qui pourrait dans le cas présent, selon Charles Sannat, être une mesure de rétorsion à l’encontre de toute tentative de mise à l’épreuve de la monnaie chinoise:
La meilleure défense des chinois, s’ils veulent défendre leur monnaie, c’est de revendre leurs bons du Trésor, en se faisant ils déstabilisent le marché obligataire américain, donc c’est une forme de rétorsion, mais une forme de rétorsion parfaitement justifiée, puisque le but du jeu n’est pas de déstabiliser le marché obligataire américain mais de récupérer des dollars pour pouvoir racheter des yuans: « donc ils n’ont qu’à cesser leur attaque et arrêter de vendre du yuan et à ce moment-là on n’aura plus besoin de se défaire de ces obligations américaines libellées en dollars ».
D’autant plus que la Chine dispose d’énormes réserves, l’empire du milieu peut s’enorgueillir d’être le premier détenteur de la dette américaine, avec près de 1 300 milliards de de dollars.
Si une dépréciation sauvage du yuan semble encore peu probable, les conséquences pourraient cependant être terribles pour la population. La Russie pourrait être une illustration des conséquences des attaques spéculatives menées sur des monnaies nationales: lorsque les sanctions américaines et européennes furent décrétées, laissant présager une dévaluation du rouble pour des raisons structurelles, les fonds spéculatifs anticipèrent cette baisse pour massivement miser dessus: alors que les pressions à la baisse s’estompaient peu à peu sur la monnaie russe, celle-ci s’effondra brutalement à la mi-décembre 2014, forçant la Banque Centrale de Russie à intervenir et à satelliser son taux directeur. Résultat, depuis plus d’un an, ce sont plus de 140 millions de citoyens russes qui vivent avec un pouvoir d’achat divisé par deux, interconnexion des économies oblige…Mais si les banques centrales disposent de certains leviers pour intervenir un certain temps, il leur est difficile de contrebalancer le poids des marchés financiers, dont Charles Sannat nous donne un avant-goût du potentiel:
« Quand les forces de marché se ruent par centaines de milliards de dollars sur une devise en quelques heures, celle-ci peut se retrouver complètement laminer. Il faut vous rendre compte qu’entre les produits dérivés, les effets de levier, le trading haute fréquence, il ne faut pas vous imaginez qu’il n y a que 100 milliards de dollars en circulation. En réalité il y a 100 milliard en circulation, mais c’est 100 milliards de dollars, peuvent être utilisés toutes les millisecondes via le trading haute fréquence, donc finalement les sommes en jeu en une journée de trading, en une journée de Forex, sur les marchés des devises, on parle de millier de milliard de dollars. Les produits dérivés, c’est 10 fois le PIB mondial, on est sur 700 à 800 000 milliards de dollars, donc les sommes potentielles avec lesquelles vous pouvez jouer sur un marché sont sans commune mesure avec les sommes de l’économie réelle, et c’est ce qui explique que vous pouvez saccager une monnaie en mettant en œuvre des moyens que finalement personne n’a ».
Il s’agit donc de sommes astronomiques, virtuelles, qui dissuadent les banques centrales détentrices des réserves nationales — elles bien réelles — d’aller jouer sur le terrain des spéculateurs, et les condamnent à l’impuissance.
En 2010, le « Flash crash » aux Etats-Unis révélait au grand jour les méthodes du Trading à haute-fréquence, dont les moyens techniques permettent à une poignée d’acteurs des marchés de passer des milliers d’ordres d’achats et de ventes sur un même titre, le tout en l’espace d’un fragment de seconde. Au-delà du cas chinois, est-ce que l’économie mondiale ne risque pas d’être un jour déstabilisée par la spéculation?
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