"Tant que les gouvernements de tous les pays de la zone euro seront décidés à maintenir l'euro dans sa forme actuelle, la monnaie unique survivra dans sa forme actuelle".
La question est plutôt de savoir si une survie de l'euro dans sa forme actuelle est souhaitable. Est-ce qu'une telle survie maximisera le bien-être du plus grand nombre de citoyens de la zone euro? Ceci revient en quelque sorte à se poser la question de savoir s'il est possible de sauver l'euro et de permettre à la zone euro de retrouver une dynamique de croissance qui permettrait notamment d'offrir des perspectives aux jeunes. Force est de constater que les autorités politiques ont jusqu'à présent été incapables de formuler un plan cohérent à cet égard.
Quel plan pour sauver l’Euro ?
De quoi un tel plan pourrait-il avoir l'air ? En gros, il faudrait rectifier ex post les problèmes de construction de la monnaie unique et créer les conditions nécessaires pour permettre à la zone euro de remplir les critères d'une union monétaire optimale. Pour rappel, les critères essentiels que la zone euro ne remplit actuellement pas à cet égard sont la mobilité du travail, la flexibilité des salaires et des prix et les transferts fiscaux. Le dernier point, à savoir une union fiscale, est souvent présenté comme la solution mais il faut bien réaliser que si les autres conditions ne sont pas remplies, une union fiscale ne sera qu'un simple transfert permanent de capitaux du Nord vers le Sud (et il importe de signaler à cet égard que la situation financière des pays du Nord, Allemagne incluse, est également loin d'être bonne). La zone euro deviendrait ainsi comme l'Italie : grande divergence économique entre le Nord et le Sud et transferts permanents du Nord vers le Sud.La mobilité du travail et la flexibilité des salaires et des prix ont trait à la déréglementation des marchés du travail et des produits. Ces marchés restent à l'heure actuelle très réglementés dans certains pays, ainsi que le montre le graphique ci-après.
Réglementation des marchés du travail et des produits (1=faible; 4=élevée)
Source : OCDE, Morgan Stanley
Les études empiriques montrent qu'une telle déréglementation augmente le potentiel de croissance d'un pays. Le problème est toutefois que les effets positifs de telles réformes structurelles ne sont visibles qu'à moyen et long terme. A court terme, elles pèsent plutôt sur la croissance. Il faut dès lors du courage politique et la capacité à en expliquer les bienfaits à plus long terme aux citoyens pour les imposer dans un système démocratique.
Augmentation potentielle du PIB/habitant sur 10 ans provenant de réformes structurelles
Source : OCDE, Morgan Stanley
Réformes structurelles, unions bancaire et fiscale, liquidités abondantes
Pour atténuer l'impact négatif à court terme sur la croissance, la BCE continuerait à mener une politique monétaire expansive et à procurer les liquidités nécessaires. En résumé, le plan reposerait sur les piliers réformes structurelles, liquidités abondantes et unions bancaire et fiscale. Il se peut que ce soit effectivement le plan suivi par les autorités mais elles ont alors jusqu'à présent été incapables de le communiquer au grand public, de sorte que les citoyens du Nord pensent qu'aider ceux de la périphérie c'est "jeter l'argent par la fenêtre" alors que ceux du Sud ont l'impression de souffrir juste pour que les créanciers du Nord soient remboursés.Un tel plan peut-il fonctionner ?
Les optimistes noteront quelques développements positifs. Sur les 3 dernières années, le coût unitaire du travail a baissé dans les pays de la périphérie, notamment en Espagne et en Irlande. Il en a résulté une reprise de leurs exportations et une amélioration de leur balance externe (amélioration qui s'explique néanmoins aussi par le fait qu'à cause de l'austérité budgétaire, leurs importations plongent).Exportations de biens et de services (indice 100 = 1er trimestre 2000)
Source : Eurostat, Morgan Stanley
Quels en sont les obstacles ?
En réalité, les obstacles à la réussite d'un tel plan sont cependant énormes. Les développements positifs notés supra résultent d'une réduction des salaires plutôt que de réformes structurelles. Sur le plan de ces dernières, peu de progrès a été réalisé. De plus, la majeure partie du commerce extérieur d'un pays de la zone euro est réalisée avec les autres pays de cette zone. Pour que les pays de la périphérie puisse durablement réduire leur déficit extérieur, voire le transformer en un surplus, il faudrait dès lors que les pays du Nord acceptent de voir leur surplus diminuer, voire se transformer en un déficit. On en est très loin. A noter aussi que les derniers indicateurs économiques montrent que la croissance dans les pays du Nord est également de plus en plus affectée par la crise et que la demande de ces pays pour les produits et services offerts par les pays de la périphérie risque d'en souffrir (et on peut d'ailleurs se demander quels seraient exactement les produits et services censés durablement stimuler les exportations de certains de ces pays?).L'état de l'économie mondiale ne contribue pas non plus au succès d'un tel plan. La conjoncture mondiale est relativement faible et risque de le rester, à cause notamment des freins structurels pesant sur la croissance dans les pays industrialisés (démographie et dette). Augmenter ses exportations à l'extérieur de la zone euro est donc difficile. D'autant plus que la plupart des pays essaient activement d'affaiblir leur monnaie, de sorte que l'euro reste beaucoup trop fort. Enfin, l'excès de réglementation imposée par Bruxelles n'aide certainement pas les pays de l'Union européenne à rester compétitifs.
Une austérité budgétaire qui ne fonctionne pas
L'austérité budgétaire imposée aux pays de la périphérie ne peut pas fonctionner dans sa forme actuelle. Comme indiqué précédemment, les pays de la zone euro ont déjà abandonné le contrôle de leur politique monétaire et de leur monnaie. Les forcer à abandonner également celui de la politique fiscale les priverait de tous les instruments généralement utilisés par un pays pour atteindre ses objectifs économiques, voire sociaux. Le retour à l'orthodoxie budgétaire est certainement louable. De plus en plus d'économistes plaident toutefois pour une plus grande différenciation entre dépenses publiques en distinguant notamment entre celles qui ne servent qu'à entretenir un secteur public démesuré et celles qui servent à financer des investissements productifs qui génèrent des revenus futurs. Aujourd'hui aucune différenciation n'est faite, le seul objectif imposé aux pays faisant appel à de l'aide financière étant de réduire leurs déficits. Le danger étant que ce sont surtout les dépenses productives qui seront diminuées, des coupes dans les dépenses non productives étant politiquement beaucoup plus difficiles à réaliser.Une restructuration nécessaire de la dette
Enfin, tout ceci ne peut certainement pas fonctionner si ces mesures ne sont pas accompagnées d'une restructuration substantielle de la dette des pays concernés. Il n'y a aujourd'hui tout simplement pas de scénario crédible sur base duquel ces pays ont une chance d'honorer leur dette. La dette que ces pays ont accumulée au cours des dernières années servait essentiellement à financer la consommation. Cette dette ne crée donc pas de revenus futurs qui pourraient servir à la rembourser. De plus, le taux d'intérêt que ces pays payent sur leur dette est supérieur au taux de croissance de leur PIB. A nouveau, le ratio dette/PIB ne fait que se détériorer et les pays concernés se retrouvent dans un cercle vicieux.Lorsqu'on parle des pays de la périphérie, on parle généralement de la Grèce, de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie et de l'Irlande. Or, l'Irlande est dans une situation très différente. Le pays est compétitif, son marché du travail est déréglementé et l'Etat de droit respecté (des études empiriques montrent qu'il existe une corrélation étroite entre la prospérité économique et le respect de l'Etat de droit. L'Etat de droit existe de manière nettement plus floue en Grèce ce qui rend la tâche de remettre ce pays sur la voie d'une reprise durable d'autant plus difficile). Le seul problème de l'Irlande est un niveau d'endettement excessif résultant de la décision du pays de ne pas laisser tomber ses banques. Entretemps, l'Islande, qui n'a pas sauvé ses banques et qui n'est pas enfermée dans l'euro, récupère bien.
Une politique monétaire à quitte ou double
Finalement, il est important de noter que si ce plan ne réussit pas, la politique actuellement menée par la BCE s'avérera non seulement inefficace mais aussi irresponsable. En maintenant le prix de l'argent à un niveau artificiellement bas et en prenant un tas de mesures non conventionnelles, elle diminue artificiellement le prix de l'argent. Dans une économie de marché où les prix sont censés donner des signaux importants, ceci ne peut que mener à des distorsions importantes et à une mauvaise allocation du capital. Les effets de tout ceci seront extrêmement difficiles à rectifier par la suite. Le fait que les banques centrales des autres principaux pays industrialisés mènent des politiques tout aussi irresponsables n'est à cet égard qu'une maigre consolation.En fin de compte, créer avec un retard de 12 ans les critères que la zone euro aurait dû remplir dès le départ - et alors que sur ces 12 ans les déséquilibres n'ont fait que s'accentuer - risque d'être une cause perdue. Le faire sans l'aval des citoyens pose en outre un risque sérieux pour la démocratie en Europe. Il est inquiétant de voir que tout comme le processus démocratique était déjà suspendu lors de l'introduction de l'euro, il l'est aussi de plus en plus dans la gestion de cette crise. La solution à une crise déclenchée par une mesure non démocratique (l'introduction de l'euro) ne devrait pas être de suspendre encore davantage le processus démocratique.
Lire l'article "Comprendre la crise de L'Euro"
Source : http://www.guywagnerblog.com/fre/entry/l-euro-peut-il-survivre