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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Investir au Japon - Investissements thématiques dans le contexte de la frénésie Pokémon Go

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À moins d’avoir vécu dans une grotte ces dernières semaines, impossible d’échapper au phénomènePokémon Go qui a soudainement accaparé le monde entier. Cette application de Niantic Inc. n’a pas seulement rencontré un succès foudroyant à l’échelle planétaire, elle a aussi eu des retombées substantielles sur les marchés boursiers. L’action de Nintendo, qui possède une petite participation dans Niantic et 32 % de The Pokémon Company (la société qui détient les droits sur la franchise Pokémon), a évolué en dents de scie et son volume d’échanges quotidien moyen à la Bourse de Tokyo a été multiplié par 30 après la sortie de Pokémon Go. Son cours a plus que doublé au cours des 5 premiers jours, avant de s’effondrer après les annonces de Nintendo destinées à minimiser l’impact financier du succès du jeu.

 
Source: 123RF


D’autres valeurs ont également été affectées par la fièvre Pokémon : l’action McDonald’s Japon, qui distribue des personnages Pokémon dans ses Happy Meals, s’est octroyée 25 % après la sortie du jeu. Les actions deFirst Baking, qui fabrique le « pain Pokémon », et de Fuji Media Holdings, qui détient une petite participation dans Niantic, ont également progressé de 23 % et plus de 20 % respectivement. L’action Sanoyas Holdings, société d’ingénierie dont la division Loisirs gère des espaces ludo-éducatifs sous le thème des Pokémon, s’est momentanément envolée de plus de 300 %, tandis que l’action Imagica Robot, producteur de dessins animés Pokémon, a brièvement bondi de près de 200 %.



Cours boursiers de Nintendo, Sanoyas et Imagica Robot (depuis le 1er janvier)  

 Source: Bloomberg

Même si l’on ne connaît pas encore l’impact du succès du jeu et de la folie Pokémon sur les résultats financiers de ces sociétés, il est clair qu’il est très risqué de surfer sur ce genre de vague en Bourse. Il peut s’avérer très frustrant de chercher à déterminer le bon moment pour effectuer ces investissements (le terme de « pari » serait d’ailleurs probablement plus approprié) car l’actualité à court terme fait largement fluctuer les marchés. Souvent, les investissements réalisés durant ces périodes volatiles ne sont que des hypothèses sur les gains boursiers à court terme, et ils sont rarement effectués dans une optique de long terme. Les investisseurs ont à ce titre tendance à négliger les valorisations et à payer des prix qui s’avèrent souvent excessifs à long terme.

Thèmes d’investissement à court terme sur le marché boursier japonais

La tendance à surfer sur ce genre de vagues thématiques est plus courante au Japon que sur d’autres marchés. Après des décennies de déceptions, nombreux sont ceux qui se sont détournés de l’investissement fondamental. Même après la belle remontée du marché japonais observée ces trois dernières années, la plupart des investisseurs internationaux y sont sous-pondérés et évitent de s’engager à long terme. Ils ont plutôt tendance à exploiter certains thèmes pendant un certain temps, sans trop prêter attention aux fondamentaux ou valorisations des sociétés. Bien qu’extrême, la frénésie récente liée à Pokémon n’est qu’uneillustration de nombreux autres cas passés.

Par exemple, lorsque l’épidémie de SRAS a frappé l’Asie en 2003, les investisseurs japonais se sont rués sur les actions de fabricants de masques et ont délaissé les valeurs liées aux voyages. En 2008, la flambée des cours pétroliers les a incités à investir dans des sociétés liées de près ou de loin au thème des énergies de substitution. En 2012, la prolifération des smartphones et des jeux sociaux s’est traduite par l’essor marqué des cours boursiers d’éditeurs de jeux. Ces dernières années, l’augmentation du nombre de touristes étrangers au Japon a alimenté la demande de valeurs des secteurs du transport et de la consommation. Bien que certains thèmes plus que d’autres aient influencé le comportement des investisseurs, ils se sont souvent traduits par des marchés très fluctuants et des attentes frustrées.

Chez BLI - Banque de Luxembourg Investments, nous ne tentons pas de capter et de surfer sur ces vagues. Du fait de notre approche d’investissement, nous misons sur des sociétés dont l’avantage compétitif contribue à créer une valeur durable pour les actionnaires. Nous attachons également une grande importance à leurs valorisations pour éviter le piège d’investissements surpayés. Nous ne fondons pas nos décisions sur des thématiques à court terme, et nous avons tendance à éviter les valeurs très médiatisées qui sont portées par des anticipations de croissance intenables.

Investissements thématiques de BLI

Cela étant, si nous ne suivons pas activement la tendance des thématiques à court terme, nos investissements bénéficient souvent de certaines tendances prometteuses à long terme.

Ainsi, dans l’univers des sociétés exportatrices, notre fonds d’actions japonaises BL-Equities Japan est investi dans plusieurs entreprises relevant des thèmes de l’automatisation industrielle et de l’essor de la transmission de données mobiles. Les sociétés industrielles et chimiques comme Fanuc, Keyence ou Nitto Denko, qui font l’objet d’une description détaillée dans une précédente analyse du blog intitulée « Automation for the people », sont bien positionnées pour profiter de ces thèmes de croissance structurelle. Autre thème à long terme, le développement rapide de la classe moyenne des pays émergents pourrait profiter à des sociétés comme Pigeon, fabricant de premier plan de biberons et tétines, et Unicharm, premier fabricant japonais de couches pour bébé.

Parmi les sociétés exposées au marché intérieur, le portefeuille du fonds a misé sur plusieurs entités portées par la consolidation du secteur japonais du commerce de détail. Ain Holdings, ABC-Mart et Don Quijote sont quelques-uns des distributeurs mentionnés dans une précédente analyse du blog intitulée « New adventurers in retail » et qui gagnent des parts de marché au détriment de concurrents plus petits. L’évolution démographique est un autre thème important au Japon. Secom par exemple, quasi détenteur d’un monopole dans les systèmes de sécurité, profite du vieillissement de la population puisqu’il a développé sa gamme de produits à destination des personnes âgées.

La rotation entre secteurs exposés davantage à l’export et ceux tournés plutôt vers l’économie nationaleest un grand thème récurrent sur le marché boursier japonais. Les arbitrages entre eux sont généralement fondés sur les perspectives concernant l’économie mondiale et le yen. Ils peuvent survenir inopinément, perdurer de manière prolongée et influencer fortement la performance des marchés. Puisqu’il est très difficile de conjecturer sur les paramètres qui conditionnent cette rotation sectorielle (devises, statistiques économiques, moral des investisseurs, etc.), nous avons décidé que notre fonds japonais doit afficher en permanence un juste équilibre entre sociétés axées vers le marché intérieur et celles tournées vers l’international. Cette décision relève surtout d’une volonté de maîtrise du risque, car elle empêche le fonds d’être exposé de façon démesurée à l’une ou l’autre catégorie. C’est la seule décision top-down qui régit ce portefeuille, la sélection des sociétés étant elle-même purement fondée sur une approche bottom-up.

Les thèmes et leur impact sur la performance du fonds

Hormis ce choix structurel d’équilibrer l’exposition aux sociétés d’envergure nationale et internationale, la performance à court terme du fonds peut être soumise à l’impact de nombreux autres thèmes influençant le comportement des investisseurs sur le marché japonais. En 2013 par exemple, le principal thème d’investissement identifié au Japon a été la composante de politique monétaire des Abenomics, en conséquence de laquelle le yen s’est déprécié et l’aversion au risque des investisseurs a reculé. J’ai abordé cet aspect dans une précédente analyse du blog intitulée « L’impact des Abenomics ». Cette année-là, les investisseurs se sont mis en quête de valeurs à bêta élevé et fortement exposées à l’endettement, de petites capitalisations et de valeurs de secteurs comme le courtage ou l’immobilier. Étant donné notre exposition structurellement faible à ces catégories de titres, cela n’a eu aucune influence sur notre portefeuille. De ce fait, BL-Equities Japan a sous-performé le marché sur cette période.



Performance du fonds BL-Equities Japan depuis son lancement par rapport à celle de l’indice MSCI Japan NR  

 Source: Bloomberg

À court terme, la performance peut toujours être pénalisée par des marchés conditionnés par les thèmes, maisà long terme, nous sommes convaincus que les marchés boursiers reflètent les réalités économiques et que notre approche consistant à miser sur des sociétés de qualité à des valorisations raisonnables porte ses fruits. Depuis début 2014, le fonds BL-Equities Japan est parvenu à effacer ses pertes de 2013, et il surperforme sensiblement le marché depuis son lancement en 2011.

Les marchés conditionnés par les thèmes peuvent également jouer en notre faveur : ces deux dernières années par exemple, les investisseurs japonais ont privilégié le thème des « améliorations en matière de gouvernance d’entreprise et de rémunération des actionnaires ». J’ai décrit les facteurs de cette tendance dans une analyse du blog publiée en 2015 et intitulée « Un regain d’intérêt pour la gouvernance d’entreprise ». Les sociétés rentables qui génèrent d’importants cash flows excédentaires sont devenus la cible des investisseurs et la demande pour des valeurs de croissance de qualité a augmenté. Ce genre de sociétés étant les candidates préférées à l’investissement au sein du fonds BL-Equities Japan, ce thème a clairement contribué à son excellente performance sur cette période.

Les marchés conditionnés par les thèmes, des opportunités pour les investisseurs

Comme nous l’avons vu, les marchés ne reflètent pas toujours les réalités économiques à court terme. Si les valeurs peuvent tomber en disgrâce simplement parce qu’elles ne sont pas en phase avec un thème donné, l’actualité et le sentiment à court terme peuvent à eux seuls doper les cours boursiers. En qualité de gérants dotés d’une vision à long terme, nous tentons de profiter de ces mouvements de marché. D’un côté, nous pouvons saisir les opportunités qui surviennent lorsque des sociétés délaissées offrant des perspectives de croissance attrayantes et tenables sur le long terme deviennent bon marché pour de mauvaises raisons. Et de l’autre, nous pouvons prendre nos bénéfices sur les sociétés recherchées de notre portefeuille dont les valorisations ont progressé exagérément, simplement parce qu’elles ont réagi à un thème favorable. Avec cette approche à contre-courant, les investisseurs peuvent passer à côté d’opportunités d’investissement à court terme et se trouver parfois du mauvais côté de l’équation. À long terme toutefois, cette approche devrait s’avérer raisonnablement payante et contribuer à générer des performances supérieures et plus durables que celles obtenues en suivant le troupeau sur des marchés conditionnés par les thèmes.  

Steve Glod
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