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Georges Kaplan

Georges Kaplan

Georges Kaplan ne s’appelle – de toute évidence – pas vraiment Georges Kaplan puisque Georges Kaplan est un leurre. Né en 1975 dans une grande ville du sud de la France qui fût autrefois prospère grâce à son port, Georges Kaplan a principalement quatre centres d’intérêts dans la vie : sa famille, la musique, les bateaux (à voile) et l’économie. Ceux qui le connaissent considèrent Georges Kaplan comme un « libéral chimiquement pur » qui pense pour l’essentiel s’inscrire dans la tradition de la pensée libérale classique française et celle de l’école autrichienne d’économie. Il gagne honnêtement sa vie sur les marchés financiers et passe le temps en publiant des articles sur son blog http://ordrespontane.blogspot.com/

Guerre monétaire et victimes collatérales

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À l’heure où j’écris ces lignes l’euro se négocie contre 1,35 dollars ce qui revient à dire qu’un dollar américain vaut 74 centimes d’euros. Pour certain un nombre de commentateurs, à ce prix là, l’euro est beaucoup trop cher à moins que ce ne soit le billet vert de l’oncle Sam qui est bradé ; de toute manière ça revient au même : il faut, disent-ils, écrivent-ils, scandent-ils, dévaluer l’euro puisque les américains refusent de faire remonter la valeur du dollar. Il nous faudrait une bonne grosse dévaluation compétitive.

Pourquoi donc ? Eh bien c’est fort simple : aux cours actuels, un produit que nous vendons 100 euros, une fois converti en dollars, se vend 135 dollars ; or, si par hypothèse nous devions décider de faire baisser la valeur de nos euros de – mettons – 25% par rapport au billet vert, ce même produit ne vaudrait plus que 101 dollars et 25 cents une fois l’Atlantique traversé. Nous en vendrions ainsi beaucoup plus, nos entreprises seraient florissantes, notre balance commerciale serait équilibrée sinon excédentaire, notre économie serait prospère et nous viendrions enfin à bout du chômage. Bref, ça serait formidable.

Mais pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt ?

Mais, me diriez-vous, ce doit être drôlement difficile de faire baisser la valeur de l’euro (ou monter celle du dollar). Point du tout ! C’est même très simple. En deux mouvements : (i) quelque part dans l’Eurotower de Francfort-sur-le-Main, un collaborateur de la Banque centrale européenne actionne la planche à billet et créé – mettons – 100 milliards d’euros [1] et (ii) le même collaborateur ou un autre utilise ces 100 milliards d’euros pour acheter des dollars. Résultat des courses : le dollar monte, l’euro baisse et l’affaire est dans le sac.

Je vous sens dubitatifs. Si c’est si simple, si les effets attendus d’une telle mesure sont si bénéfiques, comment est-il possible que nous ne l’ayons pas encore fait ? Face à cette interrogation métaphasique, le corps électoral se scinde en deux – et cette fracture transcende complètement ces notions dépassées que sont la gauche et la droite : il y a ceux qui pensent que c’est un complot ourdi par nos élites, le grand capital, les marchés financiers et les agences de notation et il y a ceux qui, ne croyant plus depuis longtemps au Père Noël et à la petite souris, se doutent bien qu’il y a un loup [2]. Et, en effet, il y en a un ; il y a même une meute entière.

Primus lupus

L’économie n’est pas une guerre, c’est une compétition sportive et, comme dans toutes les compétitions sportives, il y a des règles ; des règles qui ne sont pas des lois imposées par un gouvernement déterminé mais des règles que tous respectent pour la simple et bonne raison qu’il est dans l’intérêt de tous que les choses de passent bien ; parce que quand un joueur commence à tricher, là, pour le coup, le jeu dégénère en guerre. Par exemple, au rugby, il est rigoureusement interdit de faire une passe en avant ; vous pouvez, si ça vous chante, faire jouer votre équipe avec des sabots mais ce n’est en aucune manière une excuse pour tricher.

Or voilà, le commerce international fonctionne à peu près de la même manière : qu’il y ait un arbitre (l’OMC) ou pas, il y a, depuis la fin de la seconde guerre mondiale [3], une règle, un gentlemen agreement qui dit qu’on ne pratique pas la dévaluation compétitive. Dans la pratique, bien sûr, il arrive que certains État tentent d’y recourir malgré tout mais, au moins, ils le font discrètement et à doses infinitésimales. Et s’ils sont si discrets, c’est que, depuis les années 1930, tout le monde à bien compris que si un joueur commence à faire des passes en avant, tous les joueurs vont s’y mettre : dévaluation compétitive, contre-dévaluation compétitive et ainsi de suite ; le seul résultat, c’est l’inflation urbi et orbi.

Secundus lupus

Et quand bien même, à supposer que vos voisins soient bonnes poires et ne répondent pas à votre dévaluation par une contre-dévaluation, vous n’êtes pas sortis de l’auberge pour autant. Le fait est qu’en dévaluant l’euro de 25% par rapport au dollar, vous ne rendez pas seulement vos exportations plus compétitives : vous renchérissez dans le même mouvement toutes vos importations d’un tiers de leurs prix initiaux. Démonstration : si un produit vaut 135 dollars avant la dévaluation et donc 100 euros, après dévaluation, le même produit vous coûtera 133 dollars et 33 cents ; 33,3% de plus.

Ça a l’air trivial mais il faut bien mesurer qu’il existe une foule de choses que nous importons parce que nous n’avons pas d’autre option – typiquement, du pétrole [4]. C'est-à-dire qu’en dévaluant, nous allons aussi importer de l’inflation ; soit directement dans les paniers de nos ménagères (votre pack de Coca-Cola), soit via les coûts de production des entreprises européennes qui utilisent des matières premières ou des composants achetés en dollars. Notre secundus lupus, c’est donc une perte de pouvoir d’achat pour les ménages, une baisse de notre consommation de produits importés mais aussi, par effet d’arbitrage [5], de produits locaux.

Tertius lupus

Ce qui nous amène tout naturellement à notre tertius lupus : en important de l’inflation dans nos coûts de production, nous annulons une partie de l’avantage procuré par la dévaluation à l’export et, pour faire bonne mesure, nous donnons un bon coup de massue à notre demande interne ; c'est-à-dire à toutes les entreprises françaises ou domiciliées en France qui vivent grâce à nous. En d’autres termes, si on a créé des emplois d’un coté, on en détruit de l’autre.

Les partisans d’une politique de dévaluation compétitive vous assurerons, la main sur le cœur, que le premier effet l’emportera sur le second et qu’au total, nous en sortirons gagnants. Il serait vain et, pour tout dire, presqu’impossible de lister tous les effets et contre-effets induits par une dévaluation. En revanche, ce qui est certain c’est que le fait de saper la valeur de notre monnaie ne créé pas de richesse : dès lors, si quelqu’un en tire un bénéfice (les entreprises exportatrices et, éventuellement, leurs salariés), c’est que quelqu’un en a payé le prix (les importateurs).

Ce n’est rien d’autre qu’un transfert de richesses ; de la même manière que l’inflation transfère la richesse des épargnants vers ceux qui sont endettés, une dévaluation transfère le pouvoir d’achat de ceux qui importent vers ceux qui exportent. Au final, c’est un jeu à somme nulle qui n’aura pas d’autre effet que de transformer l’économie mondiale en champ de bataille – au sens figuré ou sens propre du terme.

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[1] N’ayez aucune inquiétude : ça ne coûte rien ; même pas du papier ou de l’encre ; c’est une simple écriture comptable par laquelle la BCE crédite elle-même un de ses comptes de la somme susdite. 
[2] Il y a aussi, pour être exhaustif, celles et ceux qui ont quelques notions d’économie. 
[3] Ce n’est pas un hasard. 
[4] Nous avons bien du gaz de schistes mais le principe de précaution… 
[5] Vous avez absolument besoin d’essence ; donc, vous sacrifiez une partie de votre budget restaurant.

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