img class="aligncenter size-large wp-image-5287" src="https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/981/files/2016/09/Euro-Cerf-500x368.jpg" alt="euro-cerf" width="500" height="368" srcset="https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/981/files/2016/09/Euro-Cerf-500x368.jpg 500w,
Un débat ouvertement posé
La question de l’Euro est aujourd’hui désormais ouvertement posée. Le fait que l’Euro n’ait pas été mentionné dans le communiqué final du sommet des chefs d’Etats qui s’est tenu les 16 et 17 septembre à Bratislava montre bien que les dirigeants politiques, quoi qu’ils en disent, en sont conscients. On en a eu de plus une preuve avec les interviews et les commentaires qui ont entouré la sortie du livre de Joseph Stiglitz, dans le monde anglo-saxon (à partir du mois de mai) et en France récemment.Cette question n’est pas nouvelle. Je l’avais posée dès 2012 dans mon ouvrageFaut-il sortir de l’euro ? publié au Seuil[1]. Mais, les problèmes que soulevait la monnaie unique étaient connus en réalité bien avant. Pour ma part je les avais évoqués dans le livre collectif Making Sense of Europe’s Turmoil[2] et avantSocial Developments in the European Union : 2008 qui fut publié à Bruxelles en 2009[3]. Je m’étais aussi exprimé à de nombreuses reprises dans différentes revues, qu’elles soient françaises[4] ou étrangères[5]. En fait ma première publication sur ce sujet remonte à 2006 où, dans un article tirant les leçons de l’incomplétude des institutions de la zone Euro[6], j’annonçais que toute crise internationale poserait inévitablement le problème de la viabilité de la monnaie unique.
Ce point de vue est maintenant partagé par un nombre important d’économistes. Certains d’entre eux ont trouvé leur « chemin de Damas » sur la monnaie unique entre 2012 et 2016, d’autres avaient eu la prescience des difficultés qu’allaient engendrer l’Euro. L’important est que la communauté académique, que l’on se rattache à une pensée influencée par les néoclassiques ou que l’on affiche au contraire des points de vue plus hétérodoxes, keynésiens ou marxistes, est aujourd’hui convaincue que la monnaie unique pose de redoutables problèmes. On sait aussi que ce constat est désormais partagé par de nombreux économistes « praticiens », et l’on en veut pour preuve le livre que Lord Mervyn King, l’ancien gouverneur de la Bank of England, ou Banque centrale du Royaume-Uni, vient de publier[7], et où il étrille l’Euro.
Des personnalités politiques de premier plan, comme Oskar Lafontaine (ex dirigeant du SPD et fondateur du parti de la gauche radicale allemande Die Linke[8]), Stefano Fassina, ancien ministre du gouvernement de centre-gauche en Italie[9], et avec lui de nombreux politiciens de gauche comme de droite, ou encore Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Myard et Marine le Pen ont joint leur voix aux critiques. La critique de l’Euro n’est pas l’apanage d’un courant politique. Le désastre que provoque l’Euro est général, et nous concerne tous.
Pour un retour à la raison
Bien entendu, ce débat dérange les thuriféraires de l’Euro, qui n’ont eu de cesse que de vouloir l’étouffer, ou de procéder à une reductio ad Hitlerum les opposants à la monnaie unique. Le débat sur l’Euro est désormais sorti du registre de la raison. Si vous vous y opposez, on ne cherchera pas à débattre ou à argumenter, mais à vous déconsidérer, à vous excommunier. Les arguments renvoient alors à un dogme : « l’Euro protège ». Mais, de quoi, et comment, cela n’est jamais dit, et pour cause… « L’Euro favorise la croissance » est un autre point du crédo, que démentent pourtant les faits les plus évidents. Attaquez l’Euro sur un point et, si l’on consent à vous répondre, ce sera sur tout autre chose. Nous sommes donc sortis du débat rationnel, et il y a une raison à cela : c’est que l’Euro n’est pas – et ne peut pas être – un objet économique. Il n’est même pas un objet politique. Il est devenu un fantasme, celui qui dévoile en réalité ce grand désir de nombreux responsables et dirigeants politiques de se fondre dans une masse indifférenciée pour échapper à leurs responsabilités, à poursuivre, en toute impunité, un but d’enrichissement personnel. Mais il s’agit d’un fantasme inconscient. Car nul ne peut objectivement avouer de telles pulsions. Il faut les déguiser avec les habits de la décence. Et cela explique bien la violence des réactions que provoque toute remise en cause de la monnaie unique.A chaque fois que l’on examine un argument dit « scientifique » avancé pour défendre l’Euro, on constate soit que les bases théoriques sont inexistantes, soit que les résultats ont été obtenus par des manipulations des bases de données, soit qu’une comparaison avec la réalité détruit le dit argument ; et, parfois, on assiste à ces trois effets réunis ! Ceci soulève un problème de méthode. D’une part, on comprend bien qu’il y a eu manipulation, non pas tant des économistes concernés que des politiques qui se sont servis de leurs travaux. Ici, on voit que, construit de cette manière, sur ce qu’il faut bien appeler un mensonge, l’Euro ne pouvait avoir de bases démocratiques.
Tout ceci est donc expliqué, de manière synthétique, dans L’Euro contre la France, l’Euro contre l’Europe. Ce livre pourtant n’est pas seulement un instrument d’analyse. Il se veut aussi un instrument militant. Il importe donc à tous ceux qui partagent le constat que l’on a tiré de l’Euro de s’en emparer et de s’en servir dans le débat public qui s’annonce.
Notes
[1] Sapir J. Faut-il sortir de l’euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.
[2] Sapir J. « Is the Eurozone doomed to fail », pp. 23-27, in Making Sense of Europe’s Turmoil, CSE, Bruxelles, 2012.
[3] Sapir J., « The social roots of the financial crisis : implications for Europe » in C. Degryze, (ed), Social Developments in the European Union : 2008, ETUI, Bruxelles, 2009.
[4] Comme Sapir J., « Crise et récession dans la zone Euro », in Géopolitiques, n°110, juillet 2010, pp. 51-58 et Idem, « L’avenir de l’euro. Ou comment les thuriféraires d’une bonne idée ont fini par tuer la réalisation et peut-être le principe même d’une monnaie unique », Géopolitique, n°112, février 2011, pp. 29-40, ou encore Idem, « Euro : chronique d’une mort annoncée » in Projet, n° 328, juin 2012, pp. 26-32.
[5] Comme dans une revue coréenne Sapir J., [Greece : Withdrawal from Euro is a reasonable solution], Economy Insight, N°6, 2012, Séoul, pp. 49-5, ou dans la revue de l’académie des sciences de Russie, Sapir J., « Krizis evrozony i perspektivy evro », [La crise de la zone Euro et les perspectives de l’Euro] inProblemy Prognozirovanija, n° 3 (126), 2011, pp. 3-18.
[6] Sapir J., « La Crise de l’Euro : erreurs et impasses de l’Européisme » inPerspectives Républicaines, n°2, Juin 2006, pp. 69-84.
[7] King, Mervyn A., The End Of Alchemy: Money, Banking And The Future Of The Global Economy, Londres, Little, Brown (à paraître)
[8] La déclaration se trouve dans le journal Neues Deutschland:http://www.neues-deutschland.de/artikel/820333.wirbrauchen-wieder-ein-europaeisches-waehrungssystem.html ainsi que sur le blog d’Oskar Lafontaine :http://www.oskar-lafontaine.de/linkswirkt/details/f/1/t/wir-brauchen-wieder-ein-europaeischeswaehrungssystem/
[9] Fassina S., « For an alliance of national liberation fronts », article
publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du
Parlement (PD), le 27 juillet 2015, http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/foran-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/