Le débat est toujours très vif sur la situation économique et savoir si nous sommes dans une période d’inflation ou de déflation. Ambrose Evans-Pritchard, l’un des meilleurs journalistes économiques européens actuels, revient dans son dernier article sur le cas spécifique de la France qui, pour lui, est en train de sombrer sans hésitation dans un fort mouvement déflationniste.
Attention encore une fois sur le moment économique que nous traversons où il est indéniable que nous vivons aussi bien des mouvements inflationnistes sur certains actifs et des mouvements déflationnistes sur d’autres. Nous avons actuellement la coexistence de ces deux phénomènes mais à un moment ou à un autre, l’un des deux prendra le pas sur l’autre et l’emportera. Il serait logique, tant la situation économique est défavorable et structurellement mauvaise, que la déflation l’emporte. Pour la contrer, seules des politiques hyperinflationnistes pourraient la vaincre en ouvrant la boîte de Pandore de l’hyperinflation. En attendant, l’euro bloque toute politique massive de monétisation nationale, ce qui condamne la France à une déflation du type pays du sud de l’Europe. La France est bien en voie de « grècification ».
Dans tous les cas, l’État français (comme beaucoup) vivra une insolvabilité soit par hyperinflation soit par déflation. Dans tous les cas, les contribuables seront amenés à renflouer des caisses désespérément vides. Dans tous les cas, de très nombreux épargnants seront ruinés. Dans tous les cas, de nombreux clients de banques seront mis à contribution dans les opérations de sauvetage du système financier à venir car nous sommes face à une crise économique d’une profondeur rarement inégalée. Ce n’est pas une simple crise. C’est un changement de modèle et ce changement de modèle s’accompagne de bouleversements démographiques massifs avec une véritable déflation de la population mondiale.
La France face à un choc de la déflation
Voici ma traduction approximative du titre du dernier article de notre ami Ambrose pour qui la France rejoint actuellement les pays du Sud de l’Europe et rentre en déflation.« Le président français François Hollande doit maintenant payer le prix et se prosterner devant les politiques de contraction de la zone euro. Son pays est en train de sombrer dans la déflation.
Les prix français sont tombés de 0,6 % en Janvier et auraient sans doute baissé plus sans certaines hausses d’impôts (qui font monter les prix comme l’augmentation d’un point de la TVA).
Les produits manufacturés ont baissé de 3 % et ceux de l’habillement ont chuté de 15,4 % .
Les prix de base de la France ont été en baisse pendant des mois, même si l’indice de l’IPC (indice de l’inflation) de base est toujours juste positif à 0,1 % sur la base de comparaison d’année à année.
Ce résultat est exactement ce que l’Observatoire économique avait prédit il y a un an en raison de la structure de la politique de contraction de la zone euro profondément déflationniste.
La zone euro est en déflation sous la triple pression de l’austérité budgétaire, du resserrement monétaire passif (peu ou pas d’injection monétaire de la part de la BCE), et du désendettement draconien des banques qui tentent de réduire leur bilan et leur exposition aux risques en particulier de crédit à l’égard des entreprises.
C’est presque une surprise ! La masse monétaire M3 de la zone euro se contracte depuis mars 2013.
Les gens riaient des prévisions de l’Observatoire. Personne ne rie plus maintenant. Comme l’a dit le FMI la nuit dernière, l’Europe subit un choc externe en raison d’une embardée déflationniste.
Le FMI fait d’ailleurs très justement remarquer que « dans la zone euro, une faible inflation complique également la tâche dans la périphérie où la charge réelle des deux dettes publiques et privées augmenterait les taux d’intérêt réels. »
(NDLR : Pour être plus précis, le FMI exprime ici l’idée qu’en cas de déflation, le stock de dettes reste constant, mais comme les revenus diminuent, l’endettement relatif augmente en pourcentage même s’il reste fixe en valeur. C’est le cas exact de la Grèce qui voit son ratio dette sur PIB se dégrader non pas parce que son endettement augmente, bien qu’il ne recule pas, mais parce que son PIB, lui, a diminué de 30 % !! Évidemment, cela mène directement à l’insolvabilité généralisée de l’ensemble des acteurs économiques).
Ambrose Evans-Pritchard évoque également dans son article le resserrement monétaire mondial actuellement en cours et qui a lieu pour de très mauvaises raisons économiques. On ne monte pas les taux d’intérêt parce que la croissance économique est trop forte mais parce la FED, en réduisant ses injections monétaires via les QE (Quantitative Easing), est en train de faire éclater les bulles qu’elle avait elle-même créées notamment sur les devises des pays émergents. Comme ces monnaies baissent, ce qui pose d’immenses problèmes économiques et sociaux, les banques centrales de ces pays pour les défendre augmentent de façon très forte les taux d’intérêt afin de les rendre plus rentables, plus attractives, ce qui étouffe littéralement toute croissance (surtout lorsque les taux d’emprunt dépassent allègrement les 10 % !!).
Pour Ambrose Evans-Pritchard, « les optimistes ont une foi touchante dans la locomotive allemande qui est censé tirer la zone euro et la sortir de l’ornière, mais les dernières données montrent que les salaires allemands sont tombés de 0,2 % en 2013. L’Allemagne aussi est en déflation salariale. »
Or pourtant personne ne pose la seule et véritable question utile par les temps qui courent :
Comment diable la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce pourraient récupérer la compétitivité en particulier sur leur main-d’œuvre et rattraper le chemin perdu contre l’Allemagne par le biais de « dévaluations internes » si les salaires allemands eux-aussi sont en baisse ?Encore une fois, et Ambrose Evans-Pritchard partage ce constat, la compétitivité par les coûts est une notion relative. C’est la loi de la relativité appliquée à l’économie comme je l’ai plusieurs fois expliqué récemment ! Si nous baissons notre coût du travail de 3 % en France, ce que veut faire notre Président Hollande avec son pacte de compétitivité qui pédale un peu dans la semoule ces derniers temps, et que dans le même temps les Grecs baissent leur coût de 6 %, nous sommes toujours plus cher que les Grecs. Pire : notre écart de compétitive s’est encore aggravé de 3 % ! Or avec l’Allemagne, nous sommes exactement dans ce cas de figure. La compétitivité allemande poursuit son avancée, ce qui nous obligerait à avancer au moins deux fois plus vite ce qui est impossible sans « douleur ».
Pour notre journaliste anglais, le constat est parfaitement similaire à savoir que « cela oblige ces pays à aller de façon encore plus marquée dans une déflation des salaires pour réduire l’écart de compétitivité ce qui entraîne une dynamique très négative de la dette ».
La solution du QE européen, qui ne sera pas utilisé !
« Il existe une solution technique à ce sujet. Il est appelé QE. La Banque centrale européenne peut soulever l’ensemble du système monétaire de l’eurozone en lançant un blitz monétaire pour atteindre son propre objectif de croissance de la masse monétaire M3 de 4,5 %.Malheureusement, la Cour constitutionnelle allemande vient de réduire à néant toute possibilité de QE à un tel niveau. »
Pour Ambrose Evans-Pritchard, la solution est qu’évidemment l’Europe, enfin la zone euro, se lance dans une impression monétaire massive, ce que refuse les Allemands pour des raisons « entièrement politique et idéologique, et motivées par la peur que les eurosceptiques allemands vont se battre devant les tribunaux ».
Pour lui, nous sommes donc dans une « impasse qui ne nous laisse plus qu’un seul chemin, celui de la japonisation de la zone euro ».
Je dis et répète à l’envie depuis plusieurs années que cette crise qui dure maintenant depuis 7 ans, ce qui n’a rien à voir avec des problèmes « conjoncturels », sera très douloureuse et qu’il n’y a aucune façon simple ou agréable d’en sortir.
Soit nous imprimons beaucoup de monnaie et alors notre système économique finira dans un bain de sang hyperinflationniste tout en sachant qu’avoir une très forte inflation, c’est-à-dire une augmentation importante des prix avec des millions de chômeurs, dans une économie ouverte, et avec la compétition de pays low cost, sera forcément une catastrophe en terme de pouvoir d’achat puisqu’évidemment il ne faut pas s’imaginer que comme lors des Trente glorieuses avec 10 % d’inflation nos salaires seraient indexés sur ce taux d‘inflation. Une telle indexation est impossible en économie ouverte comme c’est le cas aujourd’hui, ce qui ne l’était pas encore une fois dans les années 60 et 70.
Soit nous nous ajustons par la déflation, une déflation violente liée à des politiques de dévaluations compétitives internes via des baisses de salaires et de coûts salariaux, et alors nous emprunterons directement le chemin grec. C’est évidemment cette solution qui est pour le moment à l’œuvre puisque les Allemands bloquent toute politique monétaire réellement expansive.
Nous allons donc progressivement puis de plus en plus rapidement nous enfoncer jusqu’à l’effondrement social, politique, économique, et démocratique final. Ce sera douloureux et Ambrose Evans-Pritchard vient de parfaitement le comprendre ou en tout cas d’en parler pour la première fois de façon très claire.
Nous y allons tout droit, alors préparez-vous.
Restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez-bien !!
Charles SANNAT
« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »