Non, non, ne me fusillez pas tout de suite en me disant que je suis très pessimiste avec un titre comme celui-là. Il n’est pas de moi… je suis innocent (pour une fois) ! C’est un article du toujours excellent quotidien The Telegraph à Londres. À un moment, j’ai espéré que la perfide Albion soit démantelée, mais le royaume de sa très vieille majesté tient toujours debout. En attendant, du coup, leur effondrement à eux, rien n’empêche donc nos amis anglais de parler un peu des problèmes des autres.
Mais où est donc passée la 7e compagnie ?
Au moment où nous parlons, l’attention est focalisée sur les difficultés de la France, d’autant plus que Manu (Valls) est allé voir Merkel et le patronat allemand pour leur expliquer « icheulibeudischee petite entreprize allemande » et « je vé faire ein grosse réformeu »… Bon, je concède que ma maîtrise de la langue de Goethe reste modeste.Bref, la France ci, la France ça, la France et sa Tour Eiffel, ses dettes, ses déficits, son taux de croissance miteux, son chômage pléthorique et tout le tintouin. Mais il y a pire que nous (si, si, je vous assure c’est possible), et ce pire se nomme « Italie ».
Attention, je précise que je ne suis pas italophobe. J’aime les Italiens (surtout les Italiennes, quoi qu’en dise la théorie du genre qui n’existe pas), j’ai découvert avec ravissement Rome et quelques autres coins assez spectaculaires de ce grand pays qu’est l’Italie, mais après les compliments d’usage, force est de constater qu’en termes économiques chez eux… la situation est digne d’une pizza trop cuite (chez nous ce sont les carottes qui sont cuites mais cela revient au même).
Enrico Letta… « le magicien »
Vous vous souvenez de ce type, oui jeune, très jeune, c’est un peu le Macron italien sauf que lui, il est Premier ministre là-bas. Bon, il nous a été vendu comme étant la solution à tous les maux de l’Italie, qu’il allait réussir à faire de la relance et de la rigueur simultanément et patati et patata… Et boom ! Patatras… évidemment. D’ailleurs, c’était prévisible. J’en profite pour vous glisser au passage qu’en Espagne, la paella est cramée et qu’au Portugal cela sent la morue faisandée MAIS tout va très bien madame la marquise, et l’euro est sauvé (j’adore le titre de ce film, un navet bruxellois mais c’est un autre sujet).L’endettement italien explose encore un peu plus et il n’était pas brillant. Les déficits ? Itou. La croissance ? Y’a pas. Le chômage ? Tout plein ! Les licenciements ? Un gros paquet de charrettes tendance wagons entiers. La chienlit économique quoi !
Je laisse donc la parole à nos amis anglais.
Traduction par mes soins
« Quelque chose de grand commence à se profiler et à changer en Italie. En effet, ce pays est sur la bonne voie pour devenir le premier grand pays à faire un défaut souverain.De quoi l’Italie a-t-elle le plus besoin immédiatement ? D’une croissance économique décente.
Aucun pays n’incarne mieux le malaise économique européen que l’Italie. Les gens disent souvent que l’Italie ne peut pas avoir d’ennuis parce qu’elle est si riche… Et elle l’est riche, en beauté naturelle et trésors historiques, avec les villes et les merveilleux paysages, des gens adorables, la nourriture merveilleuse, le vin et d’un mode de vie attrayant.
Mais comme pays, elle ne fonctionne pas vraiment.
Certains aspects du problème ont été là depuis des siècles ; certains sont relativement nouveaux. Avant la guerre, une grande partie de l’Italie était pauvre. Pendant les années 1950 et 1960, bien que la politique italienne était chaotique et le gouvernement dysfonctionnel, l’Italie s’est industrialisée et l’économie a progressé très vite en grimpant rapidement dans les classements de PIB.
En 1979, en PIB mesuré, l’Italie a même dépassé le Royaume-Uni, un événement dont les Italiens se réjouissaient en l’appelant Il Sorpasso (« le surpassement » ou « le dépassement », comme on veut).
Les problèmes sous-jacents étaient masqués.
Bien qu’il y ait une tendance à une inflation élevée, le soulagement était toujours à portée de main sous la forme d’une livre plus faible, c’est-à-dire de dévaluations monétaires répétitives et régulières.
Et l’économie italienne a continué de croître. Mais alors que tout a commencé à aller mal, le Royaume-Uni a dépassé l’Italie de nouveau en 1995 et l’écart entre les deux économies s’est creusé depuis.
Pour voir le problème en perspective, tous les pays du G7, sauf l’Italie et le Japon, ont maintenant dépassé le niveau du PIB dont ils jouissaient avant la Grande Récession qui a démarré en 2007 avec la crise des subprimes. Le Canada est 9 % au-dessus du niveau de 2008, alors que le PIB italien est encore 9 % en dessous. De plus, l’économie continue à se contracter.
Ce n’est pas une nouveauté. Depuis que l’euro a été créé en 1999, le taux de croissance annuel moyen de l’économie italienne n’a été que de 0,3 %. Autant dire rien du tout ! Croissance 0 en Italie depuis maintenant 15 ans !!
Certes, tout n’est pas la faute à l’euro. Il y a un besoin urgent de réforme et le système politique semble toujours aussi incapable de fournir ce qui est nécessaire. Avec les délocalisations et la mondialisation, l’Italie a été l’un des premiers malades de la montée de la concurrence des pays émergents.
Alors que l’Allemagne produit du haut de gamme, l’Italie était dans le moyen de gamme, que la Chine et d’autres ont réussi à produire à moindre coût très rapidement (même problème pour l’industrie française qui a toujours été moyen de gamme).
L’euro n’a certainement pas aidé parce que, dès le début, les coûts italiens ont continué à augmenter plus vite que ce qu’ils ont fait en Allemagne et d’autres pays clés. Cette fois, cependant, il n’y avait plus pour l’Italie la possibilité d’agir sur les taux de changes et les dévaluations pour retrouver de la compétitivité. Personne ne s’est occupé de ce sujet central et les coûts ainsi que les prix italiens ont été laissés en plan.
Certes, le taux d’inflation a fortement baissé. En effet, il est maintenant légèrement négatif. Cela n’est guère surprenant étant donné que le taux de chômage tourne à 12,6 %. Contrairement à d’autres membres périphériques de la zone euro, l’Italie n’a pas fait grand-chose pour réduire son écart de compétitivité.
Alors l’Italie finira sans doute par faire comme la Grèce ou l’Espagne ou encore l’Irlande. Elle baissera les salaires et donc ses coûts de production et cela finira par rendre les produits italiens plus concurrentiels mais aggravera un autre grand problème de l’Italie : la dette.
Bien qu’officiellement à 3 % (attention, le gouvernement italien a quelques milliards régulièrement d’arriérés de paiement à ses fournisseurs qu’il ne comptabilise pas dans le déficit), le déficit du gouvernement n’est pas particulièrement élevé, le vrai problème financier est lié à l’encours de la dette, accumulé à la suite d’une longue série de déficits. Il est frappant d’ailleurs de constater qu’au cours de la récente période d’austérité, le ratio de la dette sur PIB a augmenté. Il est aujourd’hui de plus de 130 % du PIB.
Si l’économie stagne et que les prix chutent, alors le PIB nominal va diminuer lui aussi et mécaniquement, cela va provoquer une très nette dégradation du ratio de dette/PIB même si le budget est en équilibre (c’est d’ailleurs exactement ce phénomène qui explique que l’endettement de la Grèce continue à augmenter alors que ce pays a bénéficié de plusieurs énormes plans d’aide).
L’Italie est très proche de la situation que les économistes appellent « le piège de la dette », c’est-à-dire lorsque le ratio de la dette augmente de façon exponentielle.
La seule issue possible est soit par l’inflation, soit par le défaut.
L’Italie ne peut pas s’en sortir par l’inflation puisqu’elle n’a pas sa propre monnaie. Donc, à moins que quelque chose ne commence à changer très bientôt, l’Italie est sur la bonne voie pour un défaut souverain d’anthologie.
Vous entendez souvent le point de vue que la crise de la dette publique en Italie est impossible parce que les Italiens ont un taux d’épargne personnelle très élevé et que par conséquent, il y aura toujours des fonds pour acheter de la dette.
Cela signifie que la dette italienne est principalement due aux Italiens eux-mêmes.
C’est en grande partie vrai. Mais il peut toujours y avoir une crise budgétaire. Tout simplement parce que si les Italiens ont des économies, cela ne signifie pas pour autant qu’ils vont volontiers verser cet argent à l’État, en particulier lorsque la non-viabilité des finances publiques implique qu’à un certain stade, il y aura un défaut.
Comme nous l’avons vu, la dette grecque a pu être « restructurée » sans agiter le système financier parce que la Grèce est marginale dans le système financier mondial. Mais l’Italie n’est pas la Grèce. Le marché italien des obligations d’État est le troisième plus grand au monde, après les États-Unis et le Japon. Quelqu’un quelque part est assis sur d’énormes stocks de dette italienne – pour la plupart des banques italiennes. Ainsi, une crise de la dette italienne se transformera inévitablement en une crise bancaire.
(Notez par ailleurs que les banques françaises et allemandes sont bardées d’obligations italiennes…)
Alors vous direz que pour le moment, il n’y a aucun problème. Les marchés sont heureux de prêter au gouvernement italien à 10 ans à 2,4 %, soit juste un petit 1,3 % au-dessus de l’équivalent allemand.
Rappelez-vous, avant que la crise ne frappe, c’est exactement ce que les marchés font généralement. Leur spécialité est de passer de l’insouciance à la panique en un tournemain.
Comment l’Italie pourrait-elle échapper à tout cela ?
Les problèmes profondément enracinés ne vont pas s’améliorer du jour au lendemain.
Le pays a besoin d’une réforme fondamentale de son système politique, de ses tribunaux, de son système fiscal et la législation sur le travail. Même si tout cela était réalisé, l’Italie resterait toujours embourbée dans une dette publique colossale.
Comme le reste de la zone euro, ce dont l’Italie a le plus besoin immédiatement, c’est d’une croissance économique décente.
Peut-être qu’à l’échelle européenne, la reprise sera atteinte grâce à une combinaison d’audace de la BCE et de détente budgétaire allemande, mais mieux ne voudrait pas trop compter là-dessus.
L’option radicale pour l’Italie serait de quitter l’euro et de permettre, grâce à une monnaie faible, de générer un boom des exportations, une hausse de l’inflation, plus d’impôts et une charge de la dette plus supportable. »
Eh bien voilà… pendant que tout le monde roupille encore y compris notre gouvernement, il faut que nos deux Manu (le Macron et le Valls) sachent qu’une nouvelle crise de la zone euro est en gestation. Pour le moment, le feu couve et c’est une évidence. La question est quand est-ce que les flammes apparaîtront aux yeux de tous ?
Préparez-vous et restez à l’écoute.
À demain… si vous le voulez bien !!
Charles SANNAT