C’est en juin 2015 que je relatais les problèmes de certains départements qui s’inquiétaient alors de voir les dépenses sociales exploser. Le RSA, à leur charge, continue en effet de grossir à mesure que la situation économique se dégrade et l’État, trop heureux d’avoir laissé cette manne sociale à leur charge, n’entend pas trop les aider pour renflouer leur trésorerie.
Et ce constat d’une trésorerie de plus en plus tendue n’est pas nouveau : toujours en juin 2015 et dans sa publication officielle, l’Observatoire National de l’Action Sociale (ONAS) remarquait que 2014 n’avait pas été tendre avec les trésoreries départementales, d’autant que, malgré des « efforts de rationalisation », les dépenses avaient malgré tout augmenté de 4,3% (ce qui se traduit par 1,4 milliard d’euros en plus, tout de même). À l’époque, je rapportais les discours de la directrice de l’ONAS qui insistait sur l’aspect imprévisible de ces dépenses sociales et du RSA.
Mais baste, c’était en juin. De l’eau a coulé sous les ponts, des euros ont coulé dans les caisses de l’État et de ses collectivités territoriales… et de bonnes résolutions ont coulé par le fond : malgré les atermoiements des uns et des autres, la situation n’a absolument pas changé. Et lorsque l’année nouvelle est arrivée, les problèmes de trésorerie se sont à nouveau refaits sentir : quatre présidents des conseils départementaux d’Île-de-France recommencent à gémir de moins en moins discrètement.Jean-Jacques Barbaux (Seine-et-Marne), Arnaud Bazin (Val-d’Oise), Pierre Bédier (Yvelines) et François Durovray (Essonne), élus Les Républicains, dénoncent l’asphyxie budgétaire que le gouvernement, selon eux, organiserait sciemment. Dans la foulée et pour ne pas déroger aux bonnes recettes socialistes qui veulent qu’à tout problème correspond une solution composée pour 99% d’argent de l’État et pour 1% de termes marketing vaporeux, ils se sont réunis en association pour lui demander un «pacte de solidarité». Ce pacte, c’est le 1% vaporeux, et les thunes qui vont les sortir de l’ornière, ce sont les 99% que le contribuable sera heureux (mais si) de leur filer.
Il faut dire que leur situation est inextricable, et je cite Jean-Jacques Barbaux :
«En plus de la baisse de la dotation globale de fonctionnement versée par l’État, les départements doivent affronter la hausse des dépenses sociales obligatoires, comme le RSA, ce qui nous oblige à mener des politiques d’économies.»Aaaaararggh, il l’a dit et c’est abominable : avec ces dépenses en hausse et ces dotations en baisse, ils sont obligés de mener des politiques d’économies, par opposition à la situation antérieure où, quand l’État s’occupait des dotations, ils menaient avec une assez jolie décontraction des politiques dispendieuses, je présume. Et le problème est aigu puisque des économies « drastiques » ont été menées : 68 millions dans le Val-d’Oise, 45 en Essonne, 25 dans les Yvelines, 17,6 d’euros pour la Seine-et-Marne.
Mais le plus dur est à venir, ces économies ne suffisant pas. Parallèlement, une hausse de la fiscalité est programmée.Et là, c’est la catastrophe puisque ce sont, on l’aura compris, « des mesures impopulaires ».
Non, sans blague ?
Les présidents de conseils généraux sont maintenant confrontés à un choix de plus en plus douloureux : soit faire des économies en fermant enfin, vraiment, les robinets à subventions débiles, superfétatoires ou très en dehors des attributions normales de l’État au niveau départemental, ce qui ne manquera pas de leur mettre à dos tous ceux qui étaient en dessous de ces robinets, soit augmenter la fiscalité, ce qui revient à mécontenter tous ceux qui approvisionnent ces robinets.
La bataille promet d’être épique puisque, socialisme aidant, les deux populations sont maintenant de taille équivalente et se sont placées, l’une et l’autre, dans une étreinte aussi morbide que langoureuse : l’une, qui réclame des aides, obtient l’oreille des politiciens et accroît donc les impôts de l’autre, dont chaque membre finit par trouver la ponction trop lourde et finit par basculer du côté des aidés. De fil en aiguille, il y a bientôt plus d’aidés que d’aidant, de ponctionneurs que de ponctionnés. Et lorsque l’argent vient à manquer, quoi que les politiciens fassent, ce sera impopulaire.
Bien malheureusement pour toute notre dispendieuse troupe de présidents sans courage et sans vision de long terme, la sortie de l’étreinte ne passe en effet que par la diminution drastique des aides, et la baisse conséquente des impôts. Un tel mélange, inouï en France depuis des décennies, ne peut se concevoir. Ce sera donc la hausse d’impôts et les économies de pacotilles sur les trombones, les transports en commun, l’intendance (qui suivra, vaille que vaille) ou l’infrastructure (qui tiendra bien encore quelques années).
Et pour parachever le ridicule, des négociations ont même été menées entre les départements et l’État pour tenter de « recentraliser » le RSA, c’est-à-dire de refiler la patate chaude à l’étage du dessus, étage qui nage pourtant dans le bonheur douteux de dettes déjà abyssales. Évidemment, ces négociations ont misérablement foiré.
Notons au passage que devant l’ampleur du désagrément que cette cure de minceur violente et obligatoire provoque sur le staff politique, les présidents de Conseils envisagent des « mesures de rétorsions » contre l’État et plus précisément, contre le président Hollande. La menace pourrait être un bluff, mais elle pourrait aussi s’avérer efficace puisque parmi les rétorsions envisagées, l’une d’elles serait d’imposer aux allocataires du RSA de s’inscrire à Pôle emploi. Ceci aurait un léger impact sur les chiffres du chômage et rendrait problématique l’inversion de cette courbe si chère au président, et, par conséquence, de compromettre sa candidature au renouvellement de son poste en 2017 (même si, ne soyons pas naïfs, on peut douter que Hollande s’embarrasse vraiment de ce genre de détails lorsqu’il s’agira de se représenter).
Bref, on le comprend : la situation globale est devenue extrêmement complexe et c’est un jeu de billard à bandes multiples qui se met en place. Impôts en hausse, RSA en baisse, chômage soumis au chantage des départements, dotations dans la balance, budgets des départements contre celui de l’État, et, de façon maintenant évidente, un contexte économique mondial délétère, tout est réuni pour que l’année 2016 soit particulièrement épineuse pour le pauvre président Hollande.
Heureusement, son passé parle pour lui : ♪♩ ces petites misères seront passagères, tout cela s’arrangera ♪♫ .