Tout cela a provoqué une baisse de plus de 3% du PIB en 2015 ce qui veut dire une récession importante et très significative.
L’économie russe reste saine au sens des grands critères financiers et l’endettement de la Russie par exemple reste faible par rapport à un ratio dette sur PIB d’un pays comme la France ou même des Etats-Unis.
Néanmoins et c’est l’immense faiblesse de l’économie russe, ce pays reste trop dépendant du prix des hydrocarbures.
C’est une grande mutation industrielle que doit faire la Russie une mutation qui d’ailleurs est en route depuis plusieurs années mais qui prendra encore beaucoup de temps.
Charles SANNAT
Les perspectives pour l’économie russe restent sombres pour 2016. Tel sera certainement l’une des conclusions du séminaire franco-russe qui se tiendra à Moscou du 25 au 27 janvier.
Très certainement, la situation ne sera pas aussi mauvaise qu’elle l’était en 2015, et ce en dépit de la forte dépréciation que le rouble connaît au début de 2016. La croissance pourrait reprendre à la fin du deuxième trimestre et atteindre, pour la fin de 2016 un taux compris entre 0,5 % et 1%. Bien sûr, les évolutions du prix du pétrole sont un facteur important, et qui explique en partie la forte dépréciation du Rouble, mais ce prix n’est certainement pas un facteur décisif. Même si les prix du pétrole devaient se situer au niveau de 50 USD le baril à la fin de 2016, l’impact sur l’économie russe en sera modéré. Le véritable problème que la Russie doit affronter est celui de son modèle de développement et du financement de celui-ci.Un modèle en criseEn réalité, le choix du modèle de développement est directement lié à celui du modèle de financement. Ceci pose le problème de savoir si la Russie pourra s’extraire, ne serait-ce qu’en partie, du cadre de la globalisation financière qui pèse aujourd’hui sur ses options en matière de développement (1).
La vérité est que le modèle de développement des années 2002-2008, modèle qui s’était largement constitué dans le cadre de la globalisation financière, a épuisé ses capacités. Ceci était évident dès le début de la crise mondiale de 2008 qui avait provoqué une première remise en question. Pourtant, les autorités russes ont vécu, de 2010 à 2014, dans l’illusion d’une possible perpétuation des logiques économiques antérieures. Cette illusion a pris fin avec la montée d’un conflit entre la Russie et les pays occidentaux (conduits par les Etats-Unis), conflit qui par ailleurs montre les limites de la globalisation financière.
Ce modèle de développement, et les structures financières qui y sont liées, expliquent la très grande sensibilité de l’économie russe aux sanctionsfinancières et en particulier à la rupture dans les liens avec les grandes banques occidentales. Un nouveau modèle doit donc être mis en place. Il est cependant clair que cela prendra du temps et nécessitera des efforts prolongés. Un effort tout particulier devra être consenti pour la création de nouvelles institutions.Les efforts du gouvernement russe
Il est vrai que le gouvernement russe a mis en œuvre une priorité sur le développement d’un secteur de la fabrication moderne dès les années 2012-2013. Mais, quand la crise ukrainienne a commencé à remodeler les relations internationales, la Russie n’avait pas rompu avec son modèle traditionnel de développement ni avec sa dépendance envers les marchés financiers internationaux. Dans une certaine mesure la crise dans les relations internationales pèse aujourd’hui pour rendre le changement de modèle à la fois une nécessité absolue, mais aussi une entreprise très difficile. Jusqu’à présent, la Russie est toujours pris au milieu d’une sorte de nouvelle «transition», mais le temps lui est compté.
Le gouvernement russe pourrait-il concevoir vraiment ce changement de modèle sans refonte massive du système de financement? Jusqu’ici, le gouvernement a promis de persévérer dans sa volonté d’utiliser des mécanismes fondés sur le marché. Il n’y a rien de mal ici. Mais cela dépend beaucoup du genre de mécanismes fondés sur les marchés qui sont utilisés et aussi de quels marchés qui servent de référence. La présence d’« échec de marché » est un fait bien connu en économie (2). Ces « échecs de marché » imposent des mesures réglementaires et institutionnelles spécifiques. C’est en particulier le cas avec les contrôles de capitaux, qui pourraient permettre de « lisser » les fortes fluctuations du taux de change.Contrôle des capitaux et « trilemme » de politique économique
On sait, depuis la formulation du « trilemme monétaire » (3), qu’un pays ne peut pas avoir simultanément un taux de change stable, une politique monétaire indépendante et active et des marchés de capitaux ouverts. Tout pays, ou toute zone monétaire, est donc forcé d’ajuster en permanence le taux de change en raison de la réduction (éventuelle) du solde de la balance des paiements ou bien d’imposer des restrictions sur les transferts de capitaux car ces derniers se révèlent fortement pro-cycliques (4), ou bien de construire une politique monétaire qui prendra en compte la politique monétaire d’autres pays (et qui perdra alors son autonomie par rapport aux objectifs particuliers de la politique économie) s’il veut maintenir un taux de change relativement stable. Le problème de la stabilité financière est ainsi lié à celui de la stabilité monétaire (5). On sait aussi qu’un taux de change laissé aux seules forces du marché peut être entraîné à la baisse ou à la hausse par des spéculations à court voire très court terme (6). C’est ce qui a entraîné un retour en grâce de l’idée de contrôles des capitaux (7).
Pour la Russie, il était important de bénéficier d’un taux de change relativement stable et surtout d’éviter de fortes appréciations et dépréciations dont le potentiel déstabilisateur sur l’économie est grand. Cela a donc conduit à l'”importation” d’une doctrine de politique monétaire par la Banque Centrale qui n’était pas nécessairement adaptée à la situation économique de la Russie, et ceci alors même que cette politique « importée » était mise en cause dans ses pays d’origine (8). Ceci s’est donc traduit par l’adoption de politiques monétaires (9) inspirées par le « nouveau consensus macroéconomique » (10), et en particulier par le ciblage de l’inflation (11). Or, le rôle de la Banque Centrale ne peut se réduire à la simple lutte contre l’inflation. Cette dernière a une dimension structurelle. La politique de ciblage de l’inflation (Inflation Targeting) s’est aujourd’hui avérée une impasse (12), ce qui était prévisible en raison ses contradictions théoriques de cette politique (13).Vers un contrôle des capitaux?
L’alternative était la fermeture du marché des capitaux. On soutient qu’une telle mesure aurait impliqué une réduction de l’investissement directe étranger. Cependant, on a historiquement constaté que la fermeture du marché aux flux de capitaux à très court terme (ce que l’on appelle la « hot money ») n’a pas empêché l’investissement étranger direct.
L’académicien Sergueï Glaziev (14), a considéré que la fermeture du marché des capitaux constituait une étape nécessaire dans le développement de l’économie russe car les capitaux étrangers sont pour leur grande majorité constitués par des placements spéculatifs à court terme qui visent à engendrer des revenus eux aussi à court terme et qui ne peuvent pas devenir de véritables investissements en actifs fixes. En outre, Glazyev — dans son travail (15) — introduit une dimension supplémentaire au trilemme habituel, le qualifiant alors de « quadrilemme ». Il considère en effet que l’opportunité d’émettre une monnaie de réserve a joué un rôle particulier dans l’atténuation des effets de la crise financière mondiale. C’est ce qui conduit, en conséquence, Glazyev à formuler ainsi l’un des aspects du « quadrilemme »: “Si la Banque nationale ne dispose pas d’un monopole sur la question d’une monnaie de réserve mondiale et si elle maintient ouverte le mouvement transfrontalier de capital, elle ne peut pas contrôler le taux de change ou les taux d’intérêt(16).”
La pertinence de l’expérience française de l’après-guerre
On mesure alors l’intérêt que peut soulever l’expérience de la France, mais aussi celle d’autres pays, qui ont fait fonctionner pendant des décennies leurs économies dans des cadres fortement réglementés en ce qui concerne le financement des entreprises, et dans le cadre d’un contrôle des capitaux pour les relations entre ces économies et le marché mondial. Les prêts consentis à des secteurs spécifiques de type spécifique pour des entreprises à faibles taux d’intérêt soit pour couvrir capital circulant ou investissement en capital fixe ont été une caractéristique des économies européennes dans les années 1950 jusqu’au début des années 1980.
Le principal problème auquel la Russie est confrontée aujourd’hui est de réorganiser son secteur de financement pour permettre aux entreprises émergentes la possibilité de se développer vraiment et de réduire fortement son exposition à la finance internationale. Pour ce faire, le gouvernement russe doit admettre qu’il aurait besoin d’un déficit budgétaire plus important que les 3% prévus jusqu’à présent pour 2016 et probablement jusqu’en 2018 (quelque chose qu’il pourrait être fait assez facilement en raison de l’inflation). Mais, il est encore plus important qu’il élabore une nouvelle structure de financement canalisant l’épargne russe vers les nouveaux secteurs et des entreprises.Ceci est une priorité absolue pour le gouvernement. Néanmoins il faut comprendre que cette priorité induirait un changement institutionnel considérable non seulement dans le secteur bancaire, mais aussi dans la façon dont la Banque Centrale gère la politique monétaire et dans les pratiques utilisées par le ministère des Finances.
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