Par h16 et Baptiste Créteur.
Si, pour certains, notamment en hauts lieux, la Crise est une notion floue cantonnée à des chiffres négatifs sur des présentations Powerpoint colorées, pour d’autres, c’est un fait tangible qu’ils peuvent constater chaque jour.
Prenez Michel.
Une dizaine d’années de cela, l’entreprise où il travaille, spécialisée dans la confection textile, commence à connaître des difficultés, ellipse pudique pour dire que les ventes décrochent et les recettes peinent à équilibrer les dépenses. L’augmentation continue du nombre de petites lignes illisibles sur les fiches de paie, symptômes purulents d’un mal profond sur les paies aux charges tumescentes, rend la tâche encore plus complexe en accroissant toujours un peu plus les difficultés administratives et pratiques pour rendre le travail compétitif. Et l’inflation vigoureuse des impôts sur le bénéfice achève le tableau en empêchant d’investir pour se moderniser et innover.
Après des années de tracasseries, de mesures d’économies pénibles, d’aménagements plus ou moins heureux des conditions de travail, des contrats et des méthodes mêmes de production, l’inéluctable arrive : il faut licencier. Sur 500 personnes, la direction estime que 30 départs sauveront l’entreprise, au moins pour un temps.
Bien évidemment, la nouvelle connue, les syndicats entrent en lutte, avec cet acharnement et cette humanité musclée qui les caractérisent, pour éviter toute perte d’emploi, toute modification dans les statuts et ces droits acquis jadis à la force du poignet. So- So- Solidaires avec les salariés, et évidemment intraitables avec les
Les licenciements n’ont finalement pas lieu. Bien sûr, l’entreprise fait faillite, mais les syndicalistes ont tout prévu. D’une part, Roger, le leader syndical et longtemps sous les feux médiatiques pendant les âpres années de combat, a été amené à occuper un poste politique important. Au moins, lui est tiré d’affaire. D’autre part, un dossier a été monté pour que ses camarades syndiqués puissent racheter l’entreprise pour une bouchée de pain sous la forme d’une coopérative. Michel a assisté aux présentations et pris sa décision : il investira ses indemnités contre une part de la coopérative, et sera ainsi son propre employeur. La plupart des salariés ont fait de même, et la production reprend donc.
Les médias locaux s’enflamment, les nationaux suivent, et rapidement, les hommes politiques de tous bords viennent saluer le maintien en activité d’une entreprise industrielle dans le Bouchonnois, cette région autrefois prospère qui rayonnait jadis par ses industries métallurgiques et textile mais dont la prospérité ne laissait guère de trace que dans les yeux nostalgiques des anciens.
Las.
De petits nuages persistent pourtant à s’accumuler sur Michel et ses camarades coopératifs : le carnet de commandes bien rempli ne suffit pas à dégager de réelles marges, et bientôt l’entreprise fait à nouveau des pertes. Et lorsqu’on est son propre patron, c’est avec anxiété qu’on voit les déficits se creuser.
Pour faire bonne mesure, une chef d’entreprise enthousiaste vient leur donner des cours de gestion. Jadis honni des syndicats à grands coups de slogans, le capital retrouve une place essentielle dans les cours des actionnaires. Avant la reprise de la boîte par la coopérative, les syndicalistes n’oubliaient jamais de rappeler que le profit mène le monde à sa perte ; à présent, ils se gardent de tous commentaires oiseux et attendent avec impatience de pouvoir en faire, même un peu…
Tout comme ils n’évoquent pas la notion de trésorerie, de concurrence et de coût du travail. La chef d’entreprise, elle, le fait et ce n’est pas si compliqué : sans profits, point de salut ; les salariés coûtent cher et doivent produire plus qu’ils ne coûtent ; et si les salaires sont toujours payés avec une semaine de retard, c’est parce que la trésorerie ne permet pas de les payer en temps et en heure.
La situation est un peu tendue. Mais on a l’habitude (on est en France, hein !), on ne se laisse pas démonter. On fait appel à des spécialistes de l’organisation pour améliorer la productivité. Moyennant quelques ajustement d’horaires, on améliore les rendements ; la flexibilité, c’est important, surtout quand on est son propre patron, n’est-ce pas.
Bien évidemment, tout le monde y va de sa bonne idée. C’est ainsi que la mairie de Grenouilly, commune du Bouchonnois dans laquelle est implantée la coopérative de Michel, décidera d’une subvention exceptionnelle (qui impactera modestement les impôts locaux que le même Michel aura à payer un peu plus tard pour renflouer les caisses de la municipalité). Et c’est comme ça que le Conseil Général se mobilisera pour que les commandes de maillots des équipes locales de football soient passées dans le département. Michel sourit quand son fils, qui joue chez les minimes, lui annonce que le maillot coutera 2€ plus cher cette année, et le fiston est fier de savoir qu’il portera, en plus de ses couleurs, un peu d’amour paternel.
Mais malgré deux recapitalisations, l’entreprise ne parvient pas à sortir vraiment la tête de l’eau. La chef d’entreprise qui les aide bénévolement leur apporte la triste nouvelle un mardi après-midi : la faillite de l’entreprise sera déclarée au tribunal dans les 48 heures. Le Ministre de la Vigueur Entrepreneuriale sera injoignable pendant le reste de la semaine. Les rédactions de presse, informées, ne trouveront pas le temps de déléguer plus qu’un pigiste : le pays palpite sur les histoires de cœur du président et n’a plus d’oreille pour les coopératives en déroute…
Pour Michel, ça sent le sapin.
Vous vous reconnaissez dans cette histoire ? Vous pensez qu’elle ressemble à des douzaines de cas relatés par la presse ? Vous lui trouvez une résonance particulière dans votre vie ? N’hésitez pas à en faire part dans les commentaires ci-dessous !