Je partage bien évidemment cette analyse, et je voudrais profiter de ces quelques lignes pour l’étendre.
Tous les jours se multiplient des exemples d’évolutions, voire de révolutions, dans le domaine de l’emploi et des nouveaux services que les individus sont à même de proposer. Ainsi, Le Monde nous relate la toute récente introduction du « Flex » travail chez Amazon, aux États-Unis : moyennant des conditions d’accès très simples (majorité, permis de conduire, pas d’antécédents judiciaires), n’importe qui peut s’improviser coursier pour le compte du géant en ligne.
Bien sûr, La flexibilité de ce travail (tant dans les horaires que dans le mode de travail détaché de toute hiérarchie) est le revers d’une pièce où la couverture sociale est entièrement laissée à la responsabilité du coursier : l’entreprise permet à « l’employé intermittent »d’aménager complètement ses horaires, son lieu de travail, mais ne s’occupe pas de son assurance maladie ou chômage. Rien qu’ici, on comprend déjà toute l’insurmontable abomination qui peut se lire dans les yeux exorbités de l’un ou l’autre de nos militants syndicaux communistes tout droit issu de l’inspection du travail qui, à l’évocation d’un tel statut, est déjà pris d’une rage folle (Gégé, surveille ta tension).
La réalité c’est que, comme tout le reste, le travail salarié tel qu’on l’entend de nos jours est quelque chose qui évolue à grand pas. La révolution industrielle a permis des gains énormes de productivité par la spécialisation et la division du travail. L’arrivée des technologies de l’information est en train de modifier profondément le rapport qu’on aura avec cette spécialisation et cette division du travail : l’Humanité aura encore longtemps besoin d’experts et de la division du travail, mais un même individu va pouvoir se spécialiser dans plusieurs domaines et travailler pour plusieurs clients au cours d’une même journée ou d’une semaine.
En effet, il était jusqu’à présent complexe d’organiser, de coordonner, de répartir les tâches, de transmettre et de partager l’information ; ceci nécessitait des infrastructures coûteuses, présentes dans des entreprises où la concentration capitalistique est importante, et constitue de fait un ticket d’entrée élevé qui imposait aux individus de se joindre à l’entreprise (via le salariat) plutôt que de la concurrencer. À présent, grâce aux nouvelles technologies, le ticket d’entrée s’est véritablement effondré : un smartphone ou un appareil équivalent (qu’il soit mobile ou spécialisé) permet de remplir des douzaines de fonctions d’un seul coup, ce qui crée de nouvelles opportunités pour répondre à des besoins existants, et, mieux encore, peut créer de nouveaux besoins qui nécessitent de nouveaux emplois. Bientôt, il ne sera plus nécessaire, ni rentable (et à terme, ni même possible) de travailler pour le même employeur huit heures par jour, tous les jours, pendant 20 ou 30 ans, et multiplier les
Or, de façon particulièrement intéressante, on apprend parallèlement à ces développements, dans un exemple choisi récemment mais en réalité placé au milieu de cent autres tous aussi illustratifs (Gégé, si tu me lis, …), que les inspecteurs du travail et ceux de l’URSSAF ont une fâcheuse tendance à saboter les contrats des auto-entrepreneurs qui ont eu l’outrecuidance de travailler pour des collectivités locales. En effet, depuis avril 2015, le directeur régional de l’Urssaf Bretagne a jugé bon de prévenir par courrier les élus locaux que l’emploi de ces dangereux individus pourraient facilement les faire sombrer dans l’illégalité du travail dissimulé.
Ce n’est pas une nouveauté, tant l’inspection du travail que les URSSAF ayant cette propension naturelle à prétendre dégotter du travail dissimulé dès lors que les rentrées d’argent frais ne sont plus aussi bonnes, et à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’indépendants, de petits patrons, d’auto-entrepreneurs, bref, autre chose que des salariés. Le coup du DG de l’URSSAF breton était donc prévisible et il n’étonnera que les plus naïfs — ou les plus cyniques — encore prêts à croire que ces organismes travailleraient vraiment pour l’intérêt des parties concernées (Gégé, si tu me lis encore, …) alors qu’en réalité, ces administrations, quasiment en roue libre, fabriquent tous les jours un peu plus de misère.
Eh oui : l’État aime les salariés tendrement, avec gourmandise même parce que ce sont les moutons les plus faciles à tondre. Outre qu’ils remplissent très habilement la niche d’action des socialistes et des communistes (celle étiquetée « forçats de la Terre » et « classes exploités »), ces salariés sont aussi la source de la force des syndicats et, par facilité de ponction, celle des administrations et des myriades d’organismes sociaux qui tournent autour.
La disparition de ces salariés signifie très clairement l’évaporation des syndicats (ou du moins, ceux qu’on connaît) et la perte complète du levier des administrations, des organismes ponctionneurs et redistributeurs. En outre, cette disparition signifie aussi qu’on transforme un corps social assez bien défini en une masse d’individus assez indépendants dont les besoins et les demandes sont de moins en moins agglomérés et qui, nouvelles technologies obligent, ont les moyens de le faire savoir. Ces différents éléments expliquent aussi pourquoi la disparition de ce statut effraye à ce point les élus et les administrations qui ne savent absolument pas comment gérer cette nouvelle donne. Un indépendant est, par construction, plus difficile à « sédentariser », à traquer, à ponctionner.
Mais voilà, posez-vous la question : l’avenir est-il aux grandes entreprises multinationales aux salariés toujours plus nombreux, ou, au contraire, aux corporations qui reposeront sur le travail collaboratif d’individus détachés ? Bien évidemment, il ne s’agit pas de dire ici que les grandes entreprises comptant des dizaines de milliers de salariés vont disparaître du jour au lendemain, mais bien que la tendance nouvelle, celle qui imprimera durablement le XXIème siècle ne sera pas celle de la concentration. Pour rappel, l’Éducation Nationale, c’est plus d’un million de fiches de paie. La SNCF, c’est 250.000 employés. Microsoft n’arrive pas à la moitié (117.000 personnes). Google n’en occupe pas la moitié (57.000). Quant à Uber, il en compte 2200… Dès lors, l’avenir repose-t-il sur de grosses administrations, de grandes entreprises aux bureaucraties lentes à réagir, ou sur des entreprises très dé-concentrées capable de s’adapter à base salariale réduite à sa plus simple expression ?
Or, bien malheureusement, plutôt qu’accompagner la société dans son changement, plutôt que favoriser les auto-entrepreneurs, les petites structures et plutôt que favoriser la prise de risque et de responsabilité des citoyens qui le font vivre, tout montre que l’État français a choisi de combattre cette profonde mutation, de mettre en œuvre tout ce qu’il pourra pour asticoter, agacer, persécuter, ponctionner ceux qui tentent de s’adapter à la nouvelle donne.
Forcément ça va bien se passer.