La mésaventure que vient de connaître la Société Générale avec l'un de ses trader indélicat n'est malheureusement pas un cas isolé et l'histoire de la finance internationale est riche d'énormes bourdes de ce style. Je vous proposais il y a quelques semaines un petit texte sur les plus belles bourdes des professionnels, des erreurs que l'on peut tous connaître, placer un ordre d'achat au lieu d'un ordre de vente etc. L'histoire de Jérôme Kerviel, ce désormais célèbre trader de la banque française, est cependant d'un tout autre niveau, de par l'ampleur de la perte enregistrée mais aussi par la façon de procéder.
Au fil de l'histoire, on trouve toutefois un point commun à tous les gros perdants de la bourse : la fraude. Ces derniers commencent à perdre sur les marchés et au lieu de couper la perte et de passer à autre chose ils la masquent au service de contrôle (middle et back office). La suite logique se déroule comme un joueur de casino ou de poker, ils doublent la mise pour essayer de se refaire, une nouvelle perte survient ils redoublent la mise, etc.. Cet effet boule de neige, quand il est découvert, devient alors une catastrophe d'une ampleur considérable.
Ce jeune trader de 30 ans a ainsi pu masquer une perte de près de 5 milliards d'euros à ses supérieurs, une perte qu'il a du réaliser au fil de plusieurs mois tant son montant est considérable. On peut estimer ses prises de position sur le marché de 30 à 50 milliards de dollars, un montant pharaonique qui dépasse de loin les attributions d'un simple trader de base. Ces chiffres sont tellement élevés qu'ils donnent le tournis et qu'on a bien du mal à trouver des bases de comparaison. À titre d'exemple cependant on peut noter que le PIB de l'Albanie n'est que de 2 milliards d'euros par an...
À chaque scandale de ce type, les établissements bancaires nous annoncent à grands coups de communiqués de presse qu'ils renforcent leur système de contrôle. Néanmoins, l'histoire se répète régulièrement et on se demande finalement comment ces établissements sont gérés de l'intérieur. Il y a presque trois niveaux hiérarchiques pour demander un taille-crayon au service des fournitures de la Société Générale mais une autonomie totale pour engager des dizaines de milliards d'euros sur le marché, ça laisse perplexe !
Le scandale est tout frais et nous n'en connaissons pas encore tous les détails qui seront révélés au cours des prochaines semaines. Pour l'instant je vous propose de faire un tour d'horizon de quelques méga-pertes enregistrées dans les établissements financiers au cours de ces dernières années par la faute (et souvent la fraude) de certains opérateurs.
- Amaranth Advisors : ce hedge fund à perdu 6,5 milliards de dollars (environ 4 milliards d'euros) en 2007. Son gérant, le Canadien Brian Hunter, avait fait de mauvais paris sur les cours du gaz naturel et il s'est acharné en voulant aller contre le marché. Ce dernier avait été grisé par des gains précédents et il a cru qu'il pouvait faire la pluie et le beau temps. Leçon numéro un, le marché a toujours raison.
- Banque Barings : la vénérable banque anglaise qui comptait parmi ses clients la reine d'Angleterre s'est retrouvée en situation de banqueroute en 1995. À l'origine de ce scénario catastrophe, on trouve le trader britannique Nick Leeson. Ce dernier a d'ailleurs été rendu célèbre par l'adaptation au cinéma de son histoire. Il a agit typiquement comme le joueur de casino, commençant à engranger des pertes, à les masquer à sa direction et à prendre des positions de plus en plus importantes pour tenter de se refaire. Nick Leeson qui pariait sur la hausse des marchés asiatiques a été complètement anéanti par le tremblement de terre de Kobé qui a fait chuter brutalement les bourses de la région, faisant exploser sa perte.
- Banque Daïwa : le scénario est quasiment identique à celui de la Barings avec à la clé une perte supérieure à un milliard de dollars. L'histoire se passe en 1995 et elle est le fait du trader Toshihide Iguchi qui a réussi à masquer ses pertes pendant plus de 10 ans à sa direction.
- Le fonds LTCM : la faillite de ce hedge fund américain a provoqué une grave crise boursière en 1998. Le fonds créé par John Meriwether et qui comptait parmi ses décideurs d'anciens banquiers de haut niveau, des prix Nobel et d'anciens membres de la réserve fédérale américaine était ce qui se faisait de mieux en termes de sophistication financière à l'époque. Fort de cette impressionnante carte de visite, le fonds gérait des milliards de dollars qu'il faisait fructifier en utilisant des effets de levier importants. Au départ spécialisé sur des opérations d'arbitrage il a lui-même tué le marché sur lequel il opérait de par la taille de ses positions qui rendaient impossible et beaucoup moins rentables les opérations d'arbitrage. Il est donc passé à la vitesse supérieure en augmentant son effet de levier jusqu'à détenir plus de 1000 milliards de dollars de positions sur le marché. La crise russe est passée par là et le fonds a fermé ses portes avec près de 110 milliards de dollars de pertes.
Rodolphe VIALLES, fondateur d'Abcbourse.com