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Jacques SAPIR

Jacques SAPIR

Diplômé de l'IEPP en 1976, a soutenu un Doctorat de 3ème cycle sur l'organisation du travail en URSS entre 1920 et 1940 (EHESS, 1980) puis un Doctorat d'État en économie, consacré aux cycles d'investissements dans l'économie soviétique (Paris-X, 1986).
A enseigné la macroéconomie et l’économie financière à l'Université de Paris-X Nanterre de 1982 à 1990, et à l'ENSAE (1989-1996) avant d’entrer à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales en 1990. Il y est Directeur d’Études depuis 1996 et dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il a aussi enseigné en Russie au Haut Collège d'Économie (1993-2000) et à l’Ecole d’Économie de Moscou depuis 2005.

Il dirige le groupe de recherche IRSES à la FMSH, et co-organise avec l'Institut de Prévision de l'Economie Nationale (IPEN-ASR) le séminaire Franco-Russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie.

Pétrole et diplomatie russe

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La réunion qui rassemblait les pays de l’OPEP et les producteurs de pétrole « non-OPEP » qui s’est tenue ce samedi et ce dimanche à Vienne, sous les auspices conjoints de la Russie et de l’Arabie saoudite, pourrait bien annoncer des changements importants sur le marché du pétrole. La décision de ralentir la production qui y a été prise apparaît comme plus ferme et plus solide que les décision précédentes, justement parce qu’elle concerne et les pays de l’OPEP et les pays « Non-OPEP ». Les prix du pétrole, qu’il s’agisse des prix « spots » ou des prix pour les livraisons à 3 mois, ont immédiatement réagi, et sont montés au dessus de 55 $ le baril. Cette réunion apparait comme un succès diplomatique de première grandeur pour la Russie, qui a beaucoup œuvré depuis un an pour la constitution de ce front entre pays membres et pays non-membres de l’OPEP. Elle témoigne de l’influence, aujourd’hui grandissante, de la diplomatie russe.

Le contexte d’un accord historique

Cette réunion a été l’occasion d’un accord, que certains qualifient d’historique, de réductions coordonnées des productions entre les pays de l’OPEP et les pays « Non-OPEP ». Mais, cette réunion a vu un événement extraordinaire. L’Arabie saoudite a indiqué qu’elle était prête à réduire la production de pétrole plus que prévu, dans une annonce qui a pris par surprise les observateurs et ce quelques minutes après que la Russie et plusieurs autres pays de l’OPEP se soient engagés à réduire la production l’an prochain[1].

Il faut ici remettre la réunion des 10-11 décembre dans son contexte. Il s’agit du premier accord de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole avec ses concurrents, les pays dits « non-OPEP », depuis 2001. Le fait que l’Arabie Saoudite ait décidé de surenchérir sur l’accord initial est significatif. Les commentaires saoudiens représentent en réalité un effort énergique des producteurs pour renverser le contrôle du marché pétrolier mondial, déprimé par la surproduction persistante et les stocks d’un niveau record. Ceci peut d’ailleurs s’expliquer par l’usage qui est de plus en plus courant du pétrole non seulement comme matière première mais aussi comme instrument financier de réserve par des banques et des fonds d’investissement. Cela explique l’importance décisive des prix du pétrole pour la valorisation potentielle de ces réserves, qui constituent désormais des « actifs financiers » de plein droit. Ces actifs servent aux sociétés et aux Etats à garantir des emprunts qu’ils souscrivent, servant alors de collatéral à ces emprunts. Mais, on doit aussi tenir compte des problèmes spécifiques de l’Arabie saoudite.

Ce pays s’est engagé depuis maintenant deux ans dans un bras de fer avec son voisin, l’Iran, et mène une guerre cruelle et sans merci au Yémen. Il a voulu, par une politique de production à tout va déstabiliser l’Iran. Or, c’est lui qui a été déstabilisé. Les finances saoudiennes ne sont pas, et c’est un euphémisme, en bon état alors que l’Iran peut visiblement continuer de supporter des prix du baril inférieur à 50 $. Le ministre saoudien a déclaré qu’il était prêt à passer au-dessous du niveau psychologiquement significatif de 10 millions de barils de pétrole/jour, niveau qu’il a maintenu depuis mars 2015, selon les conditions du marché. M. Al-Falih a fait son annonce après que les pays non membres de l’OPEP ont convenu de réduire la production de 558 000 barils / jour, ce qui laisse supposer que l’Arabie Saoudite attendait l’accord avant de s’engager à de nouvelles réductions. L’OPEP avait convenu il y a deux semaines de réduire sa propre production de 1,2 millions de barils de pétrole/jour. La réduction non-OPEP est égale à la croissance anticipée de la demande l’année prochaine en Chine et en Inde, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie.

Les limites de cet accord

Néanmoins, il faut tenir compte du fait que le pacte entre l’OPEP et les pays non membres de l’OPEP englobe les pays qui exploitent 60% du pétrole mondial, mais exclut les principaux producteurs tels que les États-Unis, la Chine, le Canada, la Norvège et le Brésil. La chaîne d’annonces qui a été faite dans le cadre de cet accord indique bien que l’Arabie saoudite tente de pousser les prix du pétrole au-dessus de 60 $ / baril et peut-être au plus près de 70 $ / baril, car ce pays tente de combler le trou budgétaire qu’il connaît. De plus, l’Arabie saoudite se prépare à la privatisation partielle de la compagnie Saudi Aramco, en 2018.

Mais, si les prix du pétrole sont montés de près de 15% dans ces dernières heures, il reste peu probable qu’il puisse atteindre les 70 $ par baril. En effet, la production d’huile de schiste aux Etats-Unis reprendra de manière vigoureuse dès que l’on sera au-dessus de 60 $ le baril, du moins pour les forages qui appartiennent aux grandes compagnies, celles qui ont les moyens techniques d’extraire de l’huile de schiste à partir d’un cout de l’ordre de 40$ le baril. On peut penser que l’un des résultats de cet accord sera de stabiliser autour de 60 $ le baril le prix du pétrole pour les mois qui viennent. Les rumeurs sur des prix de l’ordre de 70 $ le baril sont pour l’heure clairement prématurées.

Un succès diplomatique et économique pour la Russie

M. Al Falih, le ministre saoudien du pétrole et son homologue russe, M. Alexander Novak ont révélé qu’ils travaillent depuis près d’un an sur l’accord, se réunissant à plusieurs reprises en secret. Voilà qui montre que cette réunion ne doit rien au hasard. Même si l’on pouvait penser que pour régler le problème de surproduction une rencontre entre les différents pays producteurs s’imposait, cette rencontre reflète bien l’influence acquise depuis maintenant plusieurs mois par la Russie qui, elle et elle seule, a les moyens de faire dialoguer des pays en conflits, comme l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Cela traduit l’importance de la diplomatie russe, mais aussi ses nouvelles capacités, acquises par une intervention de plus plus forte au Moyen-Orient. Le rôle de la Russie en Syrie, que l’on constate par la reprise de la vile d’Alep par les forces gouvernementales, n’est pas étranger à ce poids de la diplomatie russe. De même, la Russie s’implante de plus en plus en Egypte, remplaçant ici les Etats-Unis. La vente par la société italienne ENI de 30% de ses parts dans le champ pétrolier off-shore de Shorouk à Rosneft en témoigne[2]. La participation, certes symbolique, de militaires égyptiens aux combats aux côtés des forces gouvernementales syriennes est un autre exemple de l’influence de la Russie au Moyen-Orient.

« C’est vraiment un événement historique », a déclaré M. Novak, le ministre russe du pétrole. « C’est la première fois que de nombreux pays pétroliers de différentes parties du monde se sont rassemblés dans une pièce pour accomplir ce que nous avons fait », a-t-il ajouté en parlant aux côtés de Monsieur Al-Falih. La Russie s’est donc engagée à réduire sa production de 300 000 baril par jour l’an prochain, ce qui représente une baisse sensible par rapport à son plus haut mois de trente dernières années, à 11,2 millions de barils de pétrole/jour. Le Mexique a accepté de réduire de 100 000 baril par jour, l’Azerbaïdjan de 35 000 baril par jour et celui d’Oman de 40 000 baril par jour. La contribution du Mexique, quant à elle, devrait se faire par le biais de ce que l’on appelle un «déclin naturel contrôlé», ce qui signifie que ce pays ne réduira pas délibérément la production mais laissera plutôt sa production chuter à mesure que ses champs de pétrole vieillissants s’épuiseront. Dans un mouvement qui n’a pas été sans surprendre, le Kazakhstan a promis une réduction de 20.000 barils par jour. Il semble bien que ce dernier pays ait subi une forte pression diplomatique. La coupe kazakhe est particulièrement importante parce que la production de ces pays d’Asie centrale augmente rapidement après qu’une importante société pétrolière ait commencé à pomper en octobre. Ici aussi, il est clair que l’influence de la diplomatie russe a été déterminante.

Le Rouble s’est immédiatement renforcé par rapport tant au Dollar des Etats-Unis qu’à l’Euro. Au-delà, cet accord vient s’ajouter à l’annonce par un consortium composé par la société suisse Glencore et le fond souverain du Qatar de participer à la semi-privatisation de Rosneft, pour un montant de plus de 10 milliards de dollars. Cela témoigne de ce que la Russie est redevenue un pays avec lequel il faut compter sur le marché du pétrole et au-delà, dans les relations économiques internationales.

[1] http://www.worldoil.com/news/2016/12/10/saudis-signal-deeper-cuts-after-deal-with-non-opec-countries

[2] http://www.worldoil.com/news/2016/12/12/eni-sells-30-stake-in-shorouk-concession-offshore-egypt-to-rosneft
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