Et pourtant, malgré cette place évidente au sommet des idioties, l’usage des bio-carburants (tant les huiles que les alcools) ne cesse de s’étendre.
On sait, depuis la dernière crise et les rapports circonstanciés de la Banque Mondiale et de la FAO, qu’utiliser du maïs, du colza ou du tournesol pour produire des huiles et de l’éthanol qu’on brûlera joyeusement dans nos voitures ensuite, incline furieusement à provoquer des tensions sur les marchés des matières premières agricoles, tensions qui peuvent aller jusqu’à des émeutes.
Mais quand bien même : ce n’est pas parce qu’une idée est intrinsèquement idiote qu’il faut s’en tenir là.
Même si la production de biocarburants est extrêmement coûteuse et complètement inadaptée au parc automobile mondial, cette idée ne pouvait pas être arrêtée en si bon chemin. D’une part, cela reviendrait à remettre en cause les douzaines de petits robinets à subvention qui déversent de l’argent public gratuit dans les gosiers de ceux qui, justement, mobilisent des terres arables pour ce genre de lubies. On comprend que certains se sont fait des fortunes avec le procédé (en entrée, des terres cultivable et un gros paquet d’argent des autres, en sortie, quelques litrons d’un produit qui partira en fumée) et ils n’entendent absolument pas que la bonne combine s’arrête, quitte pour eux à arroser, à leur tour, quelques élus compréhensifs et quelques organisations non gouvernementales-mais-presque.
D’autre part, arrêter brutalement la production de ces biocarburants reviendrait à admettre que les écologistes et les politiciens à leur suite se sont trompés en les promouvant avec autant d’entrain. Dans un cadre scientifique, cela pourrait encore aller, mais l’écologie ne souffre pas d’amendements dans le dogme, comme toute religion directement révélée à ceux qui en sont les doctes professeurs.
Et puis, même si le bilan économique d’un litron de colza est franchement mauvais — cela coûte beaucoup plus cher qu’un litron d’essence minérale, surtout avec la récente dégringolade du prix du baril — au moins ce produit peut-il fanfaronner dans les dîners mondains d’être éco-compatible puisque renouvelable. Autrement dit, dans la doxa officielle, l’huile de tournesol ou l’éthanol de maïs sont peut-être des produits de luxe réservés à la population occidentale riche au ventre plein, mais au moins ils ne polluent pas notre atmosphère en la lardant de coups de CO2 néfaste.
Soit. Sauf que ça aussi, c’est une légende taillée dans du bois de pipeau : les biocarburants ont un « bilan-carbone » franchement mauvais. Dans une étude récente de l’ONG Transport & Environment au nom particulièrement rigologène de Globiom et commandée par la Commission européenne, tous comptes faits, les biodiesels (qui représentent 70% des biocarburants dans l’Union européenne) provoquent 80% d’émissions de CO2 en plus des diesels fossiles qu’ils remplacent, avec une mention spéciale pour les biodiesels issus d’huile de palme et de soja qui sont trois et deux fois pires respectivement (cf p8 du rapport).
Entre les changements d’utilisation des sols pour les productions de ces huiles et de ces éthanols, le déplacement de ces huiles parfois sur de grandes distances (l’huile de palme n’est pas produite là où elle est consommée, loin s’en faut), le bilan est donc globalement très mauvais.
Oh, zut alors ! Encore un projet écolo, correctement identifié comme idiot dès le départ par tout ceux qui ont deux doigts de bon sens, qui s’avère effectivement ruineux à court et moyen terme et qui loupe finalement l’objectif qu’on lui avait assigné dès le début avec maestria. Si d’autres projets écolos aussi ambitieux n’étaient pas construits sur le même schéma avec les mêmes résultats désastreux, la surprise aurait vraiment été totale.On pourrait parler de l’énergie éolienne, par exemple, avec ces turbines chargées de terres rares dont l’extraction est extrêmement polluante et dont le bilan carbone est désastreux. On pourrait, mais ce serait méchant.
On pourrait aussi évoquer le bilan carbone des voitures électriques qui sont remplies de lithium (là encore, très polluant) et qui se rechargent en tétant des réseaux électriques dont l’énergie est produite à partir de fossiles dans l’écrasante majorité des pays du monde. Ce serait probablement inutile, tout comme il serait inutile de mentionner les autonomies jusqu’à présent rikiki de ces mêmes véhicules.
Mais plus dans l’actualité, et toujours pour continuer dans les exemples de projets écolos idiots et rigoureusement contre-productifs, on aura surtout envie d’évoquer la récente course de Formules E organisée par l’inénarrable mairie de Paris, jamais en retard pour soutenir des événements écologiquement catastrophiques en croyant faire avancer « la bonne cause ». Comme il fallait promouvoir des voitures électriques, et que les Mia de Ségolène Royal ont eu quelques petits soucis, l’équipe municipale a jugé bon d’installer une piste de course au milieu de la Capitale, histoire de faire vrombir ou disons buzzer les
« Au départ, la Fédération internationale de l’automobile avait pensé au bois de Vincennes. On a dit non. Si on le faisait, il fallait frapper fort, au cœur de la ville. On assume. »Enfin, « on », « on », c’est vite dit, puisque ce sera surtout le contribuable parisien qui va assumer, et c’est lui qu’on va frapper fort avec la jolie facture de l’événementiel branchouille écopublicitaire. De surcroît, il faut rappeler que cette magnifique illustration de la politique écologique gérée en dépit de tout bon sens aura nécessité l’épandage de plusieurs milliers de litres de bitume sur les pavés parisiens (un bitume bio, éco-conscient et syntonisé avec Gaïa, soyez en convaincus), avec de pesants engins de chantiers (qui ne roulent pas au bio-éthanol ou au bio-diesel, désolé). Bitume qu’il va falloir retirer une fois la manifestation terminée. Là encore, ce n’est pas cher, c’est le bio-État qui paye. À tel point que le projet a franchement irrité le groupe … écolo à la mairie tant le « bilan carbone » de la manifestation a été déplorable.
Autrement dit, en parfait accord avec les habitudes écologiques, on lance des projets dont le résultat est à peu près diamétralement opposé avec les buts officiellement recherchés, et tout le monde se congratule joyeusement en s’enfilant des coupettes de champ’, voire on relance le bastringue dans la foulée en décrétant non pertinente cette réalité qui refuse de se plier aux demandes impérieuses.
Compte-tenu des conclusions de l’étude Gloubi-Globiom, l’Union européenne aurait donc tout intérêt à diminuer nettement les incitations à produire un carburant finalement pas du tout écolo. L’avenir dira ce qu’il en est, mais, rassurez-vous, pendant ce temps, en France, le cap a été choisi et on n’en changera pas avant un moment : c’est décidé, même lorsque tout le monde aura compris l’erreur économique et écologique de ces produits, la France continuera de trouver des débouchés aux biocarburants.