Difficile en effet pour celui qui prend le temps de se pencher sur la question de trouver une quelconque logique dans les mouvements observés.
Dans tout marché, le prix obtenu est normalement le résultat d’un accord entre ceux qui achètent et ceux qui vendent le produit considéré. Même si sur la plupart des marchés il faut composer avec les évidentes distorsions introduites par les États au travers des taxes, des ponctions fiscales diverses et des contraintes légales, notamment au niveau des passages de frontières, on peut raisonnablement admettre que le prix connu sur le marché est obtenu par cette entente entre ceux qui produisent et ceux qui consomment, ceux qui vendent et ceux qui achètent.Sur le marché de l’or, cette notion « raisonnable » semble avoir progressivement disparu ces dernières années. J’évoquais la question dans un billet de 2013 où je notais une incohérence entre les mouvements enregistrés officiellement dans les principaux entrepôts de lingots d’or, couplés aux demandes officielles, tant des banques centrales que des acheteurs particuliers, et les cours obtenus. En substance, il était alors plus que douteux de croire à un marché de l’or parfaitement fiable, sans intervention massive de différents acteurs qui, tous, semblaient concourir à affaiblir notoirement les cours.
Il faut en effet savoir que ces cours sont, de fait, à peu près fixés de façon régulière par quelques grandes banques qui se chargent d’acheter ou de vendre de grosses quantités d’or sur le marché, et qui peuvent ainsi véritablement décider ses grandes tendances.
En outre, elles bénéficient d’un mécanisme spécifique au marché de l’or : le métal étant à la fois rare, cher et particulièrement dense, il est globalement très mal aisé de le déplacer d’un vendeur à son acheteur, surtout lorsque la quantité se monte rapidement en tonnes. Il a donc été jugé, à raison, bien plus simple d’échanger les titres de propriété plutôt que les positions géographiques des lingots. Très rapidement, un marché de l’or papier s’est organisé, où les transactions se basent essentiellement sur l’échange de titres (papiers) correspondants à des quantités d’or. Très rares sont les acheteurs à prendre possession physique de l’or correspondant au titre acheté : les lingots peuvent donc rester, sagement entreposés dans des coffres sécurisés.
Cependant, d’année en année, des petites dérives sont apparues qui ont permis aux banques, organisatrices de ces marchés d’échanges de titres papiers, de vendre plus de papier que l’or physiquement disponible. Après tout, les acheteurs d’or ne demandent pas la livraison physique, et revendent leurs titres une fois une plus-value encaissée ; dès lors, autant multiplier le nombre de titres, personne n’y trouvera rien à dire.
C’est exactement ce qui s’est passé, avec une véritable explosion du papier négocié pendant que les quantités physiques d’or effectivement disponibles dans les stocks ne cessaient de diminuer (certains acheteurs se décidant tout de même, discrètement, à obtenir la livraison). Très concrètement, depuis le début de 2016, le ratio entre le papier et l’or physique est ainsi passé d’une once physique pour 100 onces papiers à plus de 500 (autrement dit, chaque once physique est maintenant « possédée » plus de 500 fois).
Devant ce constat, on peut bien sûr se dire qu’il s’agit d’une dérive des établissements chargés de la bonne tenue du marché de l’or, ou d’une grosse bévue dans la catégorie « J’ai ripé, chef » qui ne mérite guère plus qu’un entrefilet dans quelque journal spécialisé. Cependant, sachant que ces petites opérations durent depuis plusieurs années et qu’en outre, malgré les achats compulsifs d’or par les banques centrales (Chine en tête) et les particuliers, les cours du métal précieux peinent à retrouver les 1300$ l’once alors qu’on les avait vu dépasser les 1800$ l’once en 2011, on est en droit de se demander quelle proportion de franche bidouille tout ceci ne cache pas pudiquement.
Bien sûr, cette thèse a longtemps été présentée comme véritablement complotiste, puisqu’elle impliquait au moins à mots couverts que de grandes banques (y compris centrales) s’entendaient entre elles pour écraser autant que possible le cours du métal précieux, afin de camoufler l’intérêt du public pour l’or, excellente protection contre l’inflation. L’argument s’essoufflait notamment au vu d’une inflation en berne.
Cependant, parallèlement à la déflation, une véritable guerre contre le cash a été entreprise par les autorités d’à peu près tous les gouvernements du monde, et ce, d’autant plus que les taux d’intérêts, négatifs, encouragent de fait les particuliers à sortir autant que possible l’argent liquide des banques, qui sera taxé lorsqu’il dort en dépôt. En somme et du point de vue de l’or, si la déflation est un argument pour rester liquide (« cash is king »), les intérêts négatifs sont au contraire une incitation extrêmement forte à convertir ces avoirs « papier » en biens physiques, l’or et l’immobilier arrivant en tête.Dans ce contexte, une bidouille des banques n’était donc pas si improbable et nettement moins complotiste qu’il aurait pu paraître de premier abord. En outre, l’exemple des manipulations forcenées sur le LIBOR (le marché des taux interbancaires de Londres) que j’évoquais en 2012 pose un précédent fâcheux qui permet de rappeler que dans cette hypothèse de tripotage, ces banques n’en seraient pas à leur coup d’essai.
C’est donc sans véritable surprise qu’on a appris, ces derniers jours, que la Deutsche Bank, un des établissement directement concerné par les mouvements sur le marché de l’or et acteur majeur de ce marché, a effectivement admis devant les autorités américaines avoir manipulé le marché de l’argent, ainsi que celui de l’or.
La plainte étant enregistrée et la banque allemande cherchant maintenant à s’éviter des suites judiciaires financièrement douloureuses, on peut s’attendre, dans les prochains jours, à en savoir un peu plus sur les méthodes employées et sur la quantité d’efforts qui fut déployée pour modifier le prix de l’or.
Cependant, devant une telle admission de culpabilité, on peut s’étonner du grand silence des médias. À l’exception des rares articles dans la presse spécialisée, les journalistes de la presse traditionnelle semblent avoir fait l’impasse sur une information pourtant essentielle. Peut-être est-ce pour masquer leur ignorance des mécanismes en jeu, mais il n’en reste pas moins que l’information mérite cependant plus de place, n’en déplaisent à ceux qui nuisent debout.
En effet, savoir que les cours de l’or et de l’argent ont été massivement manipulés permet de mieux comprendre pourquoi il n’y a plus de lien entre les prix constatés et la demande observée, pourtant forte et continue. Or, un prix honnête est une information indispensable pour les individus, et notamment une information qui leur permet de déterminer l’ampleur du stress actuellement présent sur le marché de la monnaie fiduciaire. À mesure que la guerre contre le cash va s’intensifier, à mesure que les taux négatifs seront reportés sur les comptes courants, on doit logiquement s’attendre à une hausse sensible des prix de l’or, refuge naturel pour ceux qui doivent conserver leurs avoirs mais se départir du cash.
Au passage et de façon intéressante, un autre marché, qui sert lui aussi de refuge en ces temps troublé pour l’argent liquide, montre une belle santé. Le bitcoin ne peut en effet pas subir de pré-ententes malsaines du système bancaire pour en fixer le prix. L’intérêt que les participants au réseau Bitcoin montrent pour cette monnaie numérique est donc correctement reflétée dans son prix… Qui grimpe gentiment.
En tout cas, je suivrai avec attention les suites de l’affaire avec la Deutsche Bank, et l’écho qui en sera donné dans nos médias.