Notre brave Stéphane, idéologie décroissante en bandoulière, a décidé de nous entretenir d’une passionnante « étude » réalisée par deux chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) – c’est français, c’est de la qualité française ! – étude qui essaye d’estimer les externalités négatives des pesticides (les coûts qu’ils entraîneraient) et qui montrerait que dans certains cas, ce coût pourrait excéder largement les bénéfices offerts par les herbicides, fongicides et autres insecticides.
Et pour s’en convaincre, on pourra lire les arguments déployés par nos chercheurs et relayés avec gourmandise par le petit journaliste en mal de propagande écolo facile : pour ce triplet, c’est sûr, les coûts des pesticides (calculés par leurs soins) sont largement supérieurs aux bénéfices qu’on peut en retirer. Méchants, méchants pesticides !
Et ces coûts, calculés pour les Etats-Unis, arrivent tout de même à la somme impressionnante de 35 milliards de dollars. Cette coquette somme se répartit en plusieurs postes, dont le premier (de 18 milliards de dollars) correspondrait (conditionnel obligatoire) au coût des décès par cancers directement imputables aux pesticides. Apparemment, cela représenterait 2000 vies perdues, soit … 9 millions de dollars par vie.
Dans les autres postes de coûts, dans son article d’analyse des cabrioles du Monde, Anton Suvalki revient aussi sur d’autres éléments farfelus. Je vous encourage à aller le lire, c’est assez édifiant, notamment le passage sur les oiseaux (évalués à 35$ pièce, dont 30 comme « valeur récréative »).
Pour ma part, j’ai surtout noté l’idée ébouriffante des « frais d’évitement », qui seraient induits par les excédents de dépense des ménages qui ont opté pour l’alimentation biologique afin de minimiser le contact avec les pesticides.
En introduisant cette notion, on touche ici au sublime. Partant de ce principe, absolument plus rien n’échappe à des coûts d’externalité négative qui sont d’autant plus élevés que l’alternative, pardon, l’évitement, est coûteuse. Par exemple et suivant le même principe, on devrait compter comme externalité négative tous les coûts des jets privés que les millionnaires achètent et utilisent pour ne pas avoir à emprunter les transports en commun. Et toujours selon le même principe, le coût des transports en commun est une externalité négative assez phénoménale qu’on doit incorporer dans le calcul du bénéfice de la marche à pied : après tout, prendre le bus entraîne bien des « frais d’évitement » d’une longue randonnée citadine…
Applicable à tout et n’importe quoi, un nouveau monde de macro-économie délirante s’offre alors à nous. Tout étant une affaire de choix, et les choix plus onéreux étant par définition toujours au détriment des choix moins coûteux, les externalités négatives au sens de ces « chercheurs » et de notre « journaliste » chevronné jaillissent alors de partout dans un gloubiboulga chimiquement pur dont on peut alors asperger le lecteur avec toute la force d’une bouche à incendie.
Dès lors, peu importe les bénéfices puisqu’on pourra toujours faire correspondre en face des sommes aussi grandes (et farfelues) que possible pour les ridiculiser. Le fait que grandisse sans cesse le nombre d’humains nourris grâce à l’usage ces pesticides ne rentre pas en ligne de compte ; le « bénéfice de non évitement » est impossible à calculer puisque pour ce faire, on doit imaginer un monde sans pesticides, c’est-à-dire soit avec une population nettement moins importante, soit avec une population mal nourrie nettement plus grande. À combien s’établit le bénéfice d’un humain qui atteindra l’âge d’un an parce qu’il aura été correctement nourri ?
Eh oui : sous couvert de journalisme, sous couvert de recherche, on assiste – encore une fois – au martèlement compulsif d’un message bien connu : les pesticides, c’est mal, c’est méchant. En fait, tout se passe comme si la question du titre de l’article (« Et si les pesticides coûtaient plus qu’ils ne rapportent ? ») n’était que purement rhétorique…
Alors, tant qu’à faire dans le rhétorique, autant s’interroger tout de suite : et si pour changer Le Monde faisait du journalisme, du vrai ?