Scandale ! Le Président d’Intermarché clame à qui veut l’entendre qu’il a voulu aider le secteur porcin et qu’il est poursuivi par l’Union Européenne pour l’avoir fait !
« Sur le porc, l’été passé, Intermarché s’était accordé avec Leclerc pour acheter le kilo 1,40 euro (…). Mais ça n’a pas tenu. Maintenant, Bruxelles nous tombe dessus et enquête », a déclaré en pleurnichant le patron d’Intermarché, dans un entretien au quotidien Libération.« L’Europe considère que cet accord était discriminant vis-à-vis des pays tiers. Donc maintenant, nous sommes très prudents pour trouver des solutions. »
Ces déclarations ont fait le tour des médias, chacun criant au scandale contre l’Europe quand il ne s’agit tout simplement d’appel patriotique à sortir de l’Union. Méchante, méchante Union Européenne qui empêche les uns et les autres de s’entraider !
La réalité, cependant, est un peu plus nuancée.
Tout explose en août 2015.
Les routes sont bloquées, la filière porcine est en ébullition, bref, nous sommes en pleine crise. Alors que ses causes sont multiples, les éleveurs pointent comme responsables l’embargo russe et l’État français, incapable d’agir pour régler le problème. Mais voilà : en août, le Français doit pouvoir profiter de ses vacances d’été et il est donc impensable de bloquer ses routes. Parallèlement, la grande distribution s’agace de voir les éleveurs plomber leur chiffre d’affaires par leurs actions comme, par exemple, le blocage des parkings des supermarchés, de leurs plateformes logistiques.
Ce qui devait arriver arriva : à force de le titiller, l’État décide de prendre activement le problème en charge et, pour que la catastrophe soit complète, François Hollande intervient en lançant quelques petits cris mous :
- à l’encontre de « la grande distribution pour grande distribution, pour qu’elle offre aux consommateurs la qualité et aux agriculteurs un prix »
- à l’encontre des industriels parce que « les agriculteurs ne peuvent pas vivre que des aides, il doit y avoir des prix pour les rémunérer »
- à l’encontre des consommateurs puisqu’ils doivent « faire aussi un effort » et « manger autant qu’il est possible les produits de l’élevage français » même s’ils doivent « payer quelques centimes de plus pour leur steak ou leur jambon ».
Bref, tout le monde est prononcé coupable de pousser les agriculteurs à la misère. Tout le monde, sauf l’État, bien sûr.
Or, si les éleveurs font bel et bien de la surproduction, c’est principalement pour faire face à la multiplication rocambolesque des taxations et des normes qui ont considérablement augmenté leurs frais et les ont poussés à produire plus pour essayer d’y faire face. Il faut dire qu’en France, l’habitude a été prise d’empiler nos propres normes aux européennes au lieu de les y substituer. Et par un retour de boomerang assez pervers, cette surproduction qui devait les sauver les enfonce au contraire encore plus.
Mickaël Guilloux, responsable de la section porcs à la FDSEA de Mayenne et à la FRSEA Pays de la Loire n’hésite d’ailleurs pas à pointer les pouvoirs publics :
« Aujourd’hui, il y a une distorsion de concurrence avec nos concurrents espagnols et allemands. Mais c’est l’État qui nous impose des charges sociales, des charges fiscales, des charges environnementales. »Malgré tout, sollicité, l’État décide d’agir avec toute l’efficacité que l’on lui connait.
Le prix d’achat du porc, théoriquement libre et fixé par la rencontre de l’offre et de la demande sur le marché breton, n’est pas assez élevé pour que les éleveurs s’en sortent ? Aucun souci : « il suffit » de limiter la liberté, « y’a qu’à » fixer un prix minimum !
D’un « il suffit » à un autre « y’a qu’à » et aux termes de concertations « diverses et sérieuses », l’État « conseille » un prix plancher d’achat du porc à 1,40 euros du kilo et en contrepartie, s’engage à des aménagements normatifs et fiscaux. La filière du porc aurait du être sauvée et le sujet clôt.
Mais nous sommes en France. Donc non.
L’incitation du gouvernement a, en effet, irrité les acheteurs. La Cooperl et Bigard/Socopa (30% des parts de marché) montent au créneau et décident de se retirer du marché breton du porc, entraînant une suspension des cotations. Eh oui : pendant que l’État français tente de maintenir artificiellement un prix haut, les éleveurs allemands, eux, proposent leur production à 25 centimes de moins. Comme l’indique d’ailleurs la Cooperl,
« Les capitaux de la Cooperl sont la propriété de ses adhérents, ils n’ont pas vocation à financer un cours politique pour tenir la tête hors de l’eau à une partie de la production française. »Du côté des industriels, ça proteste aussi ; le Syndicat national de l’industrie des viandes (SNIV-SNCP) rappelle qu’en fixant ainsi des prix planchers arbitraires, on plombe tout le reste de la filière. Bizarrement, avoir des prix d’achat parmi les plus élevés d’Europe n’aide pas à vendre mieux la production alors que les distributeurs sont engagés dans une guerre vers la baisse des prix.
Dans ce contexte tendu, certains distributeurs, comme Intermarché et Leclerc, s’entendent alors, sous le regard bienveillant du gouvernement, pour acheter le porc national plus cher. Oui, l’État français a bel et bien encouragé la formation d’un cartel au mépris des dispositions du traité de Rome.
Mais puisqu’on vous dit que c’est pour sauver des petits éleveurs, voyons ! Forcément, c’est mieux, non ?
Mhmhm… Eh bien rappelons que ce traité instaure la libre concurrence avec pour contrepartie la libre circulation. Sur le principe donc, s’entendre entre entreprises, c’est mal (art. 85), et ce, même si l’État français dit « bingo », que ce soit sur les prix ou la quantité produite. Par ailleurs, toujours sur le principe, difficile de soutenir qu’il n’y a pas entrave à la concurrence quand on s’engage à acheter la production exclusivement nationale à un prix donné, impliquant de fait qu’on n’achètera pas l’étrangère, et qu’on la vend en s’entendant sur un prix plus élevé.
Et même sans aborder la question de l’abus de position dominante (art. 102 TFUE), l’intervention de l’État soulève un point intéressant : peut-on encore parler de marché libre si les États décident d’intervenir pour favoriser certains de leurs nationaux en fixant les prix et encouragent des pratiques anti-concurrentielles ? C’est dans ce cadre que l’Union Européenne ouvre une enquête contre Intermarché ainsi que contre l’État français.
Du reste et n’en déplaise à ceux qui nous gouvernent, l’État n’a aucun pouvoir pour fixer les prix et n’a d’ailleurs aucun moyen d’action réel pour contraindre les différents intervenants de la filière du porc à respecter les engagements pris, ce qu’ils se sont bien gardés de faire.
Le gouvernement, à nouveau interpelé, a réagi au travers de Manuel Valls qui a appelé l’Europe à prendre ses responsabilités, ce qu’elle semble avoir fait en décidant de l’instauration d’un nouveau régime d’aide au stockage privé pour la viande de porc. Reste à connaître les modalités d’application d’autant qu’une révision des normes inutiles est également à l’ordre du jour.
De son côté (surprise, stupéfaction, étonnitude), l’État n’a pas plus respecté ses engagements : une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire a été rejetée, il y a quelques jours, en commission à l’Assemblée nationale. Cette proposition avait pourtant l’avantage de proposer un allègement des taxes sur les exploitations, de mettre entre parenthèse les normes françaises pour appliquer uniquement les normes européennes à titre expérimental, de favoriser un système d’étiquetage pour identifier les provenances françaises plus clairement et de permettre de développer la contractualisation, nouveau concept à la mode, et qui consiste essentiellement à laisser les professionnels s’organiser entre eux (par exemple, Intermarché a mis en place avec ses éleveurs porcins partenaires un système de contractualisation des prix).La situation de la filière porcine n’est décidément pas simple, mais il apparaît après analyse que ses difficultés proviennent d’une mauvaise gestion de certains des acteurs du secteur (par manque d’investissement pour moderniser leurs outils) et del’interventionnisme massif de l’État français, tant en amont avec un empilement mortifère de normes et de taxes, qu’en aval avec une franche manipulation des prix, qui, non content de mettre les éleveurs en danger, a fragilisé tous les industriels derrière eux. À chaque nouvelle intervention, l’État a désorganisé un peu plus un secteur qui a pourtant prouvé son efficacité et sa rentabilité.
Au malheur des éleveurs, piégés par ces interventions catastrophiques, s’ajoute celui des contribuables, ponctionné par trois fois : la première, lorsqu’il s’agit de financer les aides pour la survie de la filière, la seconde, lorsqu’en tant que consommateur, il se retrouve à surpayer un produit au motif qu’il serait d’origine nationale, et la troisième, lorsqu’il devra éventuellement payer l’amende que l’État aura contractée en violant les traités qu’il s’était pourtant engagé à respecter.
Et petite cerise sur le gâteau qui n’en avait pourtant pas besoin, les prix étant plus élevés, le Français consomme du porc certes français, mais de moins en moins. Mais puisqu’on vous dit que c’est pour sauver des petits éleveurs, voyons !
Sérieusement, s’il n’y avait pas l’État, qui bousillerait si parfaitement tout un secteur de l’économie ?