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Guy Wagner

Guy Wagner

Je suis chief economist à la Banque de Luxembourg.

Dans mon blog, je commente les derniers développements sur les marchés financiers ainsi que mes évaluations sur leur future évolution.
Ces pages s’adressent aux investisseurs dans des fonds et actions avec un certain intérêt pour les marchés boursiers.


Mon parcours

Licencié en Sciences Economiques de l'Université Libre de Bruxelles, je rejoins la Banque de Luxembourg en 1986, où je fus successivement responsable des départements analyse financière et Asset Management. Depuis 2005, je suis administrateur-directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments.

Une Afrique qui s'endette à nouveau

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Une dette insoutenable

Suite aux différentes crises que les pays en développement ont connues, il y eut une profonde remise en question de certains principes de développement édictés dans les années 1980 dont le plus important était leConsensus de Washington. Des gouvernements d’Amérique latine, d’Afrique ainsi que plusieurs économistes réputés ont dénoncé les plans d’ajustement structurels qui accompagnaient ce dernier, certains les qualifiant même de plans d’appauvrissement structurels

En Afrique sub-saharienne, au lendemain des indépendances, les dettes ont augmenté dans la plupart des pays au point de devenir insoutenables. En 1996, la Banque mondiale et le FMI lancèrent l’initiative en faveur des pays pauvres et très endettés (PPTE). Cette dernière permit de « créer un cadre de référence dans lequel tous les créanciers, y compris les créanciers multilatéraux, pouvaient accorder un allègement de la dette aux pays les plus pauvres et les plus lourdement endettés du monde et ainsi réduire les contraintes exercées par la charge du service de la dette sur la croissance économique et la lutte contre la pauvreté de ces pays. » (1)

Image : Ozumba Mbadiwe Way, Victoria Island 


Source : Banque africaine de développement


Un environnement favorable et des réalités nouvelles

Parmi les pays concernés, la plupart provenant de la région sub-saharienne, bon nombre se sont ré-endettés au cours des récentes années. Cependant, plutôt que de contracter des dettes multilatérales, ces États ont émis directement sur les marchés financiers accroissant ainsi à nouveau leur dette extérieure. Les mesures d’assouplissement monétaire aux Etats-Unis, au Japon et en Europe et la baisse des rendements obligataires observés au niveau mondial ont alimenté une quête globale de ceux-ci. Cela a constitué une fenêtre d’opportunité historique pour les pays qui désiraient tirer parti d’un environnement de taux bas. Par ailleurs, au-delà d’une conjoncture propice, la meilleure santé relative de ces différentes économies en développement les encouragea à augmenter leur dette extérieure sans détériorer leur ratio d’endettement outre-mesure même si, de façon générale, on assiste à une dégradation de leur notation moyenne.

Evolution de la notation souveraine des pays d'Afrique sub-saharienne  



Source : Standard & Poor's 

Ainsi, au mois d’avril 2014, le Nigeria mettait à jour la base de calcul de son PIB. Ces corrections révélèrent une économie plus diversifiée et ne dépendant pas uniquement du pétrole et de l’agriculture. Aujourd’hui, l’économie nigériane s’avère dominée par le secteur des services et l’industrie non-pétrolière. Suite à cette révision, le pays est devenu la plus grande économie du continent devant l’Afrique du Sud en affichant un PIB de 510 milliards de dollars. Quant au ratio dette/PIB, il est passé à 11% en 2014 contre 19% auparavant. Depuis, 37 autres pays africains ont décidé de réviser leur méthode de calcul.

 Dette/PIB du Nigeria (en %)



Source : Trading Economics

Multiplications d'émetteurs sur les marchés 

Pour les raisons évoquées supra ainsi que d’autres plus spécifiques au dynamisme des différentes économies concernées, un nombre croissant de gouvernements d’Afrique sub-saharienne ont donc décidé de recourir aux marchés pour se financer et ce, parfois pour la première fois : la Namibie en 2011, l’Angola en 2012, le Kenya, le Ghana et le Sénégal, dans la foulée, ont peu à peu enrichi les différents indices recensant les émissions des pays émergents. En 2014, le titre émis par la Côte d’Ivoire pour un volume de USD 750 millions de dollars avait suscité un intérêt pour près de 5 milliards de dollars d’ordres. En début d’année, l’indice JPMorgan EMBI Global Diversified affichait un surplus de rendement par rapport à la dette du Trésor américain de l’ordre de 360 points de base (ou 3,6%) alors qu’à l’intérieur du même indice le Sénégal s’inscrivait à 410 points au-dessus de la courbe des taux américaine, le Nigéria, la Zambie ou encore le Gabon à 500 points et l’Angola, le Ghana et le Mozambique, à plus de 600 points de base. Ces niveaux attestent de l’attractivité relative de ces  "nouveaux" débiteurs

Sur cette seule année 2014, différents émetteurs de la région ont levé 8 milliards de dollars de dette sur lesmarchés internationaux, ce qui constitue un record selon l’agence Standard & Poor’s. Dans la majorité des cas, les émissions ont été sursouscrites. 

Ecarts de rendements par rapport aux emprunts du Trésor américain (100 points de base = 1%)



Source : JPMorgan, Standard & Poor's et BLI

Inquiétudes et risquesDans ce contexte, le principal enjeu pour le continent demeure celui de pouvoir rendre ses différentes économies plus diversifiées et leur croissance plus inclusive. Le risque est de revoir apparaître des États insolvables. A titre d’exemple, le Ghana, dont la dette publique a plus que doublé à 55% du PIB sur les 7 dernières années, déçoit les attentes non seulement des marchés (la prime exigée y est des plus élevée de la région) mais aussi de sa population. Entre 2012 et 2015, l’inflation est passée de 9% à plus de 16% et la croissance du PIB, de 14% à 5%. A cela se rajoutent différents problèmes d’infrastructure dont ceux liés à l’approvisionnement énergétique. Enfin, pour parfaire le tout, aux Etats-Unis, la Réserve fédérale annonce lanormalisation prochaine de ses taux d’intérêt. Cette hausse à venir des taux directeurs couplée à uneappréciation du dollar aura un effet conséquent tant sur le service de la dette que sur les mouvements de capitaux.



(1) « Banque mondiale, le Coup d’État permanent : L’agenda caché du Consensus de Washington», 15 mars 2006, Eric Toussaint. 


Jean-Philippe Donge
Head of Fixed Income




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