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Vincent Benard

Vincent Benard

Vincent Bénard est analyste à l'Institut Turgot (Paris) et, depuis mars 2008, directeur de l'Institut Hayek (Bruxelles). C'est un spécialiste du logement et  de la crise financière de 2007-2008 (subprimes). Grand défenseur du libéralisme économique, Vincent décortique tous les errements des Etats providence !

Contrôle des loyers: vers un désastre locatif à Paris

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Nombre de commentaires : 2 réactions
Il y a environ deux ans, Cécile Duflot, Ministre du logement, faisait voter au sein de sa loi ALUR un contrôle des loyers dans une dizaines de zones dites “tendues”. Le gouvernement Valls, au nom d’un salutaire pragmatisme, a décidé de le supprimer, sauf… à Paris intra-muros, allez savoir pourquoi, et le décret d’application vient d’être promulgué ce vendredi 12 juin. Le contrôle y entrera donc en vigueur le premier Août.

 
L’économiste suédois Lindbeck, classé plutôt à gauche et ancien président du comité d’attribution du prix Nobel d’économie, a comparé l’effet du contrôle des loyers à celui de bombardements massifs: une de ses études, publiée en 1963, intitulée “The housing shortage. A study of the price system in the housing market”, l’avait amené à constater que la situation du logement à Stockholm, qui n’avait pas connu la guerre, n’était pas meilleure qu’à Londres, pourtant très touchée par les bombardements, quelques années après la fin du conflit (Les choses ont beaucoup changé à Londres, par la faute de lois ultérieures, principalement le renforcement du “Town and Country Planning Act de 1965. Hors du champ de cet article).

Oubliant les leçons de Lindbeck et le quasi consensus, chose rare, des économistes sur la question, les radios généralistes se sont toutes fendues ces derniers jours de micro-trottoirs montrant des jeunes locataires heureux de cette décision, et se demandant ingénument si cette loi signifiait la fin des loyers élevés à Paris. “Enfin une mesure en faveur des locataires”... Quelle bêtise !

L’histoire nous apprend que le blocage protégera les locataires en place mais rendra impossible, pour une personne actuellement non logée sur Paris Intra Muros, d’y trouver une location. Cela fera gonfler les loyers en proche banlieue, puisque la concurrence de l’intra-muros aura disparu. Jusqu’à ce que le législateur, constatant les dégâts, étende le blocage aux premières couronnes de banlieue, et ainsi de suite...

 

Et puisqu’on parle d’histoire de blocage des loyers, voyons les dégâts qu’il a déjà causés en France par le passé.

 

Le contrôle des loyers de 1914 à nos jours

 

C'est en 1914 qu'un blocage des loyers fut mis en place. Les hommes envoyés au front abandonnaient travail et salaire, laissant leurs familles dans la difficulté. Aussi le blocage des loyers avait il pour but d'empêcher que les familles des soldats donnant leur vie à la France ne soient chassées de chez elles.

 

Plus ennuyeux est qu'après la guerre, par manque de courage des hommes politiques, et parce que de très nombreuses familles se retrouvaient orphelines d'un père tombé au champ de bataille, ce contrôle ne fut pas aboli, et une loi limitant l'augmentation des loyers fut promulguée. Le contrôle instauré était un contrôle de type "dur": le territoire était quadrillé en zones pour lesquelles l'état fixait des plafonds par mètre carré.

 

Ajoutons que le législateur, sachant parfaitement ce qu'il faisait, n'ignorait pas que sans protection légale du contrat de location en faveur du locataire, les propriétaires se dépêcheraient de rompre leurs baux en espérant vendre leur logement au plus vite pour se débarrasser d'un actif potentiellement déprécié. La loi de contrôle des loyers s'accompagna donc de clauses de maintien obligatoire dans les lieux du locataire, les situations dans lesquelles le propriétaire pouvait récupérer un logement étant très sévèrement encadrées. Aucune loi de contrôle des loyers ne peut être promulguée sans être accompagnée de telles dispositions coercitives envers les propriétaires.

 

Les résultats de ce contrôle furent économiquement et socialement désastreux. En effet, la rentabilité du placement immobilier chuta dans de telles proportions que l'investissement immobilier locatif fut ramené à presque zéro ! Et entre les deux guerres, la France a produit 1,8 millions de logements, soit moins de 100 000 par an. C’est 2 fois moins que la Grande Bretagne ou 2,2 fois moins que l’Allemagne, alors que cette dernière a connu pourtant deux décennies très difficiles (hyper-inflation, nazisme…)

 

Ajoutons que parce que le blocage des loyers ne leur en a donné ni l'incitation ni les moyens, les propriétaires ont fait peu d'efforts pour améliorer leur patrimoine locatif.

 

Il en résulta qu’à la veille du second conflit mondial, 72% des familles d'ouvriers français habitaient dans des logements de moins de 3 pièces, contre 56% en Italie, 52% en Allemagne, 19% en Angleterre ! Et de nombreux témoignages d'époque indiquent que l'état du patrimoine locatif français était un des plus mauvais du monde occidental.

 

Avant guerre, la pénurie de logements était estimée à plus de 2 millions d'unités. Au lendemain de la guerre, dégâts obligent,  le déficit de logements a atteint 4 millions, dont 2 millions d'unités manquantes et 2 millions nécessitant des réparations d'urgence. En outre, sur les 13,4 millions de résidences principales recensées, seules 1,2 millions – (moins de 10% !) bénéficiaient de la totalité des éléments du confort moderne de l'époque: Eau courante, WC, électricité, douche, chauffage !  Au lendemain de la guerre, la situation du logement en France était désastreuse, et la guerre n'en était pas la seule cause, et de loin.


(Nb les chiffres ci dessus sont cités par un économiste -de gauche-, JM Stebé, dans cet ouvrage)


La loi de 48, un progrès, mais très insuffisant

 

Après guerre, les leçons du blocage des loyers étaient comprises, et des propositions de rétablissement de la liberté des loyers furent inscrites à l'agenda parlementaire. Mais l'instabilité des majorités parfois hétéroclites de l'époque conduiront au compromis bancal de la fameuse loi de 1948, qui prévoyait la liberté des loyers pour les logements neufs, mais un maintien des logements anciens dans le régime des loyers calculés par l’administration. Ce n’est qu’au début du nouveau millénaire que le nombre de logements soumis au “blocage loi 48” est tombé à presque rien, mais il en reste encore (cf tableau ci dessous). C’est une fois encore à Paris Intra Muros que la loi a produit le plus d’effets adverses.

tab1
 

Cette loi, décriée a juste titre par les propriétaires de logements très anciens, constituait néanmoins un léger progrès par rapport la situation antérieure, qui permit à la construction privée de refaire timidement surface. Malgré tout, en 1952, tous secteurs confondus, la France construisait 20 logements pour 10.000 Habitants, contre 99 en Allemagne occidentale, plus libérale.

 

En effet, les loyers exigibles pour les nouveaux logements (libres) étaient 10 à 20 fois supérieurs à ceux des logements encadrés : les locataires de logement anciens n'avaient donc aucun intérêt à abandonner leur logement à loyer encadré. Le marché de l'investissement locatif se limitait donc aux seuls nouveaux entrants dans le logement.

 

Ajoutons que cette loi a introduit un privilège d'hérédité du bail: les enfants habitant sous le toit des parents locataires pouvaient hériter du bail. Il n'était pas rare que, lorsque la fin approchait, les enfants rejoignent leurs parents malades peu avant leur décès pour permettre cette prorogation du bail. La solidarité entre générations, il n'y a que cela de vrai ! Ce n’est qu’au début des années 90 que le législateur a quasiment supprimé le privilège d’hérédité du bail.

 

Pour acheter un logement, il n'était pas rare qu'il faille verser au locataire un dessous de table plus élevé que le prix versé au propriétaire (c’est arrivé notamment à mon Grand Père, qui paya en 1952 un dessous de table trois fois plus élevé que le prix du logement, à son occupant). Et encore dans les années 70, pour trouver un logement à louer à Paris, il était fréquent qu’il faille verser un dessous de table (la “reprise”) au locataire en place.

 

La loi de 1914 modifiée par la loi de 1948 instituait de facto une confiscation de la valeur des logements au profit des locataires : pas étonnant que dans ces conditions, l'investissement locatif privé soit resté modeste.

 

Ce n'est qu'au début des années 70, décennie de l’âge d’or de la construction avec plusieurs années à plus de 500 000 logements annuels (contre 300 à 400 000 ces dernières années, alors que le nombre de ménages à loger est bien supérieur), lorsque les jeunes issus du Baby boom sont arrivés en masse sur le marché du logement, que l'offre privée a repris un rythme de croisière et que l'on a observé un rattrapage quantitatif, mais aussi qualitatif, de l’offre de logement. Mais pour que ce salutaire réajustement se poursuive, il eut fallu poursuivre le désengagement de l'état dans le logement. Malheureusement, c'est l'inverse qui va se produire en 1982, avec l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir.

 

La Loi Quillot de 1982 : retour du contrôle des loyers, et chute de l'investissement immobilier.

 

Alors que l'inflation était forte, et que deux chocs pétroliers mal gérés par des politiques économiques interventionnistes avaient provoqué une multiplication par 8 du chômage entre 1973 et 1981, la demande politique des électeurs pour instaurer une plus grande sécurité pour les locataires augmenta. Cette demande sera exaucée par la loi dite loi Quilliot du 22 juin 1982, qui établit, d'une part, un régime de contrôle des loyers basé sur l'indice INSEE de la construction, et qui réinstaura un droit accru au maintien du locataire dans les lieux même en cas de défaut de paiement. Plus que la sévérité du contrôle, c'est la crainte de le voir se durcir, ainsi que celle de voir les tribunaux cautionner les locataires irresponsables, qui attisa la crainte des propriétaires bailleurs.

 

Il est difficile de déterminer la part de responsabilité de la loi Quilliot par rapport aux autres erreurs économiques commises par les gouvernements Mauroy et Fabius entre 1981 et 1986, pour expliquer la chute libre des mises en construction de locatifs privés durant cette période, mais constatons que la loi Méhaignerie de 1987, en assouplissant le contrôle du loyer et en rééquilibrant les relations entre locataire et propriétaires, a relancé le marché.

 tab2

Les socialistes reprirent l'assemblée en 1989. La loi Mermaz-Malandain du 6 juillet 1989 a donc rétabli le contrôle de l'augmentation des loyers basé sur l'indice INSEE et a sérieusement encadré les possibilités de réévaluation des loyers en région Parisienne. L'effet négatif sur l'offre de logements, notamment à Paris, a été immédiat, au point que le député Malandain a lui même demandé un assouplissement de sa propre loi quelques années plus tard. Sans succès.

 

C’est la loi Mermaz Malandain, légèrement retoilettée depuis, qui constitue toujours la base légale des baux en France. Il est donc faux de dire qu’en France, les loyers ne sont pas encadrés, même si cet encadrement est moins strict que par le passé. De fait, l’investissement locatif en France est si faible que les gouvernements se croient obligés de l’aider via des dispositifs de défiscalisation, qui induisent eux mêmes leurs propres effets pervers.

 

Le contrôle des loyers tel qu'il est pratiqué actuellement est moins contraignant que celui issu des lois de 1948 pour les logements très anciens, puisque la fixation du loyer de départ est libre. Mais son mode de fonctionnement assure au propriétaire qu'il ne pourra bénéficier intégralement des hausses du marché immobilier, alors qu'il risque de subir totalement l'effet des baisses. En effet, lorsqu’une crise fait baisser le prix des logements, comme on l’a vu entre 1992 et 1997 à Paris, rien n’empêche le locataire de faire jouer la concurrence ! Pile je perds, face je ne gagne pas…

 

Voilà qui n'incite guère les propriétaires à investir dans le locatif, à rénover leurs vieux logements, à remettre sur le marché leurs logements vacants. 

 

Et voilà pourquoi, paradoxalement, les nouveaux entrants sur le marché locatif, aux moyens généralement faibles, trouvent peu de logements disponibles, donc à la fois très chers et en mauvais état !

 

La mise en place du contrôle “ALUR”  des loyers à Paris va évidemment exacerber cette tendance. S'il perdure, préparez vous à un authentique désastre quantitatif et qualitatif pour le marché du logement à Paris, et, par contagion, à une hausse de la pression locative en première couronne… Sauf si la métropole du grand Paris cherche à étendre le contrôle à la banlieue. Gageons que la campagne des régionales sera l’occasion de surenchères démagogiques dans ce domaine.

 

Conclusion

 

L'histoire condamne absolument toute forme de contrôle des loyers. En prétendant aider les locataires existants, une telle mesure dégrade considérablement les conditions de marché pour les nouveaux entrants, ou pour les personnes que les hasards de la vie obligent à changer de logement, et ce d'autant plus que le contrôle exerce ses effets dans le temps.

 

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2 commentaires

  • Lien vers le commentaire titi vendredi, 19 juin 2015 07:31 Posté par zetiti

    D'accord avec vous à court terme du moins. C'est probablement la raison qui a poussé le gouvernement à la mettre en place : aucun impact économique immédiat si ce n'est électoral (faire plaisir à une partie de l'électorat de gauche, ainsi qu'à une partie de sa majorité, couper l'herbe sous le pied des parties plus à gauche, etc...).
    Mais quand on arrivera à la fin de la foire et qu'il faudra compter les bouses, hé bien, ce seront d'autres personnes aux manettes probablement, donc OSEF.

    Un des arguments de M. Bénard me parait, toutefois, légèrement fallacieux : celui qui consiste à dire qu'en période de contraction, un locataire peut faire jouer la concurrence. Théoriquement et d'un point de vue strictement économique : oui, mais en pratique, cela signifie devoir déménager, ce qui est à la fois coûteux, compliqué et pénible (sauf pour les nomades qui ont peu d'affaires), de façon exponentiel en fonction du nombre d'affaire qu'on possède. Ce n'est pas un décision qu'on prend simplement pour gagner quelques dizaines d'euros par mois à mon avis et les cycles immobiliers étant longs, il faut généralement longtemps pour y parvenir.
    Donc je ne pense pas qu'un propriétaire bailleur prenne énormément de risque, au contraire, je pense que, quand il a un locataire et que les loyers baissent ensuite, il va plutôt être protégé contre la baisse (bon, ce n'est valable que pour les biens un minimum familiaux évidemment). J'ajoute que, en ce qui me concerne, les locations autour de moi ont plutôt tendance à baisser alors que l'indice IRL progresse (très doucement, certes), ce qui est plutôt très bon pour un bailleur et que d'une manière générale, même en cas de hausse, l'IRL progresse également (peut être moins vite mais quand même).

  • Lien vers le commentaire Guillaume mardi, 16 juin 2015 14:45 Posté par Guillaume

    Les exemples historiques cités sont tous inflationnistes. Hors là nous sommes plutôt en délfation (baisse du prix d'achat, baisse des loyers, etc.). Donc à priori cette mesure n'aura aucun effet réel puisque le marché régule déjà la hausse des loyers... je ne pense donc pas que l'effet sera désastreux, mais que l'effet sera nul.