1. Le livre traite tout d’abord du retour d’une société patrimoniale. Thomas Piketty retrace l’évolution du rapport capital / revenu au XXIe siècle. Alors que le capital correspondait à sept années de revenus en 1910, ce ratio est tombé dans les années 1950-60 à deux-trois années de revenus suite aux chocs des deux guerres mondiales. Dans les années 2000-10, ce ratio patrimoine / revenus a atteint six en France et pourrait retrouver le niveau atteint à la veille de la première guerre mondiale.
Concrètement, un rapport capital / revenu de six signifie que si le revenu moyen est de 30,000 euros alors le patrimoine moyen est de 6 x 30,000 euros soit 180,000 euros (vous pouvez calculer votre propre ratio patrimoine / revenus pour vous situer par rapport à la moyenne). Le fait que ce ratio augmente signifie que le poids du capital est de plus en plus important dans l’échelle sociale. La comparaison des inégalités par le revenu ne suffit plus, il faut aussi prendre en compte les différences de patrimoines. L’héritage est ainsi de plus en plus déterminant alors que c’était moins le cas dans les années 1950-60.
Si on distingue à présent le capital privé et le capital public, on constate que la hausse s’est concentrée sur le capital privé et que le capital public a lui diminué avec la vague des privatisations et l’augmentation des dettes publiques. Le capital est ici calculé net des dettes publiques. Le capital en France est proche de zéro ce qui signifie que les dettes sont à peu près au niveau des actifs publics (immeubles, participations dans des entreprises,…). Cela permet de relativiser le niveau des dettes publiques. Les français sont riches et possèdent six fois plus que le niveau des dettes, aujourd’hui au niveau d’une année de revenus.
Il faut relativiser le problème des dettes publiques, l’Europe et la France en particulier sont des pays riches. Les français détiennent beaucoup plus de richesses que le niveau des dettes publique. Notre priorité en tant qu’investisseur doit plutôt être de développer notre capital et de choisir les supports les plus rentables, sans forcément chercher une valeur refuge
Mais alors pourquoi le capital croit-il plus vite que les revenus ?
Tout tient dans la différence entre le taux de croissance des revenus et le taux de croissance du capital. Ces deux taux n’évoluent pas au même rythme. Pendant les 30 glorieuses, ces deux taux étaient très proches. Mais aujourd’hui, le capital tend à retourner 5% pour une croissance des revenus de 1,5%.
Historiquement le taux de rendement du capital est en effet de 4-5%, ce qu’attestent plusieurs sources historiques. Dans les romans de Balzac, il est courant de parler de valeur de rente correspondant à 20-25 années de revenus soit un rendement équivalent de 4-5%.
La hausse de la quantité de capital en découle. Avec un ratio de six années de revenus et un rendement du capital de 5% on obtient une part des revenus du capital dans les revenus totaux de 6 x 5% = 30% (vous pouvez aussi calculer la part de vos revenus issus de votre capital pour vous situer à la moyenne). Cette vision historique permet aussi de comprendre comment ont perduré des sociétés inégalitaires. Dans un monde à faible croissance, ce qui a été historiquement le cas de l’humanité, la clé est de détenir le capital car celui qui le contrôle peut vivre sans travailler et le transmettre.
Dans ces conditions, je pense qu’avoir un revenu de son travail ne suffira plus forcément pour maintenir son niveau de vie. Si vous ne réfléchissez pas à votre stratégie de développement de capital, vous courez lentement mais surement à la baisse relative de votre niveau de vie. Pour les générations nées dans les années 1970-1980, il est ainsi plus dur d’acheter un bien immobilier avec son seul salaire (ou alors il faut qu’il soit très élevé). En lisant ce livre, je me suis d’ailleurs rappelé la réaction de surprise de cadres supérieurs, gagnant très bien leur vie mais incapables de devenir propriétaires et se demandant comment les autres faisaient, alors qu’eux même faisaient partie des 10% des plus hauts salaires.
2. Selon Thomas Piketty, nous assistons également à une re-concentration du patrimoine sur un nombre limité de personnes, malgré la forte baisse liées aux deux guerres mondiales.
Actuellement, les 10% les plus riches détiennent ainsi 60-70%% du patrimoine total. Les 40% du milieu détiennent 20 à 30% du capital total. Les 50% restant ne détiennent quasiment aucun capital. C’est beaucoup plus concentré qu’à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.
Selon Piketty, les inégalités pendant les 30 glorieuses étaient surtout liées au travail, alors que les chocs des deux guerres mondiales avaient beaucoup réduit le poids du capital.
Si on zoome sur le centile supérieur, ces rentiers dont parle Balzac dans la comédie humaine: on constate qu’ils détiennent aujourd’hui 20-30% du patrimoine total contre 60-70% à la veille de la Première Guerre Mondiale.
Mais nous pourrions nous rapprocher d’une situation plus inégalitaire encore, à la fin du XIXe siècle, où l’inégalité était extrême. Les 10% les plus riches détenaient alors 90% du capital. Le 1% supérieur détenant même 60% du capital. Dans les romans de Balzac ou de Jane Austen, il y a des descriptions précises de ces classes dominantes, de leur niveau de vie et de l’importance de leurs rentes. La progression dans l’échelle sociale ne se fait pas par le travail mais par le mariage et l’héritage. C’est tout le dilemme de Rastignac. Il lui est conseillé d’épouser une femme riche plutôt que de chercher à faire une carrière d’avocat. Car même avec un emploi bien payé, il ne sera pas en mesure de monter dans l’échelle sociale et d’assouvir son ambition.
La différence, c’est qu’aujourd’hui les 40% du milieu détiennent 20 à 30% du capital total. Cette classe moyenne ne détenait pas autant de capital à la fin du XIXe, il y a eu une diffusion du patrimoine, notamment grâce aux chocs causées par les 2 guerres mondiales et par les réponses politiques aux guerres.
Enfin, Thomas Piketty rappelle le rôle important que joue la démographie. La fin de la transition démographique au niveau mondial va ralentir la croissance de la population, et donc la croissance économique. Cela jouera un rôle dans les inégalités car la croissance de la population permet de diluer les positions acquises du passé. Ainsi les Etats-Unis, qui ont vu leur population passer de 3 à 300 millions en deux siècles, sont un pays ou le poids des héritages anciens est très faible comparativement à l’Europe.
Si la croissance à venir sera faible, de l’ordre de 1%, elle sera inférieure à la croissance du capital. Je pense que l’avenir sera très probablement favorable aux rentiers. Et on pourrait revenir à une société proche de celle de la fin du XIXe, avec des inégalités de patrimoines fortes et une grande importance des patrimoines hérités. Il est fort possible qu’une situation de forte inégalité aboutisse et reste en place. Concrètement, alors que les revenus de la majorité augmente de 1 à 2% par an, le capital des plus riches augmente de 5 à 7% par an. Les fortunes du passé auront un poids de plus en plus important...
Ce que cela veut dire pour nous:
- Avoir un revenu de son travail ne suffira plus forcément pour maintenir son niveau de vie. Il faut avoir une stratégie de développement de son capital
- Avec une croissance faible, l’avenir sera très probablement favorable aux rentiers.
- Il faut relativiser le problème des dettes publiques et ne pas investir forcément dans une « valeur refuge » comme l’immobilier parisien
- Il y a un risque potentiel de capture du pouvoir politique par ceux qui possèdent la majorité du capital comme on commencerait à le voir aux USA. Une société inégalitaire doit, pour subsister, justifier les inégalités (et expliquer ainsi que ceux qui ont de l’argent sont ceux qui ont réussi) et/ou contraindre par la force la population à l’accepter. Je vous recommande donc d’être très sceptique sur l’information diffusée dans la presse écrite, à la radio ou à la télévision. En effet, sans parler de propagande, il faut quand même avoir à l’esprit que l’information peut-être utilisée pour légitimer l’ordre établi. Soyez donc sélectif sur vos sources d’information !